2ème Partie – CHAP.12/01 : Nouvelle saison

7 mins

    Le feuillage des arbres avait changé de couleur, s’était tinté de sang et de feu. Cela faisait trois mois que le souffle de la mort avait tout ravagé. La nature avait repris son court et avait adouci les lignes acérées des décombres. De la mousse verte, grise avait repeint les blocs de béton. Les mauvaises herbes s’en donnait à cœur joie pour redessiner le paysage. Les plantes sauvages rebouchaient les crevasses et les fissures. Des automobiles éventrées servaient d’habitat pour des centaines de nids d’oiseaux. Des canalisations d’eau qui avaient surgit du macadam accueillaient des terriers de lapins, de mulots et autres ragondins. Le centre-ville, la place du marché et la place de la collégiale s’étaient organisés en véritable camps de réfugiés avec des structures en dur ; un hôpital de fortune, un petit marché, un mini bureau municipale et un petit poste de police-secours. L’hôpital réunissait la plupart des médecins et infirmier(es) survivants de la ville. Un peu de chance avait préservé la vie du seul chirurgien traumatique de la collectivité. Les semaines suivant la catastrophe, le professeur Showlky avait fourni un travail surhumain enchaînant les opérations et les amputations vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec pour instruments des couteaux de cuisine, des pinces de bricolage et de l’eau croupi. Autant dire qu’il a eu le pire taux de décès de sa carrière. Le petit marché avait été organisé par des survivants locataires de petits carrés de potagers du bord de seine. Le troc et la solidarité était la monnaie d’échange. La couturière achetait des salades contre un recousage de pantalons, l’ouvrier en bâtiment échangeait un renforcement de structure de cabane contre des tomates et des pommes de terre. Le marché avait aussi son boulanger mais le stock de farine qu’il avait réussi à sauver des ruines de sa boutique commençait à devenir critique. Il avait reconstitué un four à pain dans un vieux poêle domestique. Une expédition se préparait pour récolter un maximum de sacs de farine dans la plus grande fabrique industrielle de baguettes située à une centaine de mètres du Décathlon, en espérant qu’ils n’étaient pas percés par des débris ou par les dents de rats ou autres bestioles, ou inondés et pourris. La viande était devenue une denrée quasiment inexistante et scandaleuse. On soupçonnait un éminent avocat d’avoir fait préparer par un boucher sans activité, un lapin pour son anniversaire. Ce même avocat s’était désigné volontaire pour être membre du conseil municipal de transition. Il était constitué de six personnes ; cet avocat, une ancienne fonctionnaire de la mairie, le chirurgien traumatique souvent absent des réunions du conseil, un ancien capitaine de police, le prêtre catholique Jean officiant à l’église St-Anne et Stéphane un ouvrier sur chaîne de l’usine Renault de Flins qui a été un des premiers à organiser le camp.

Le poste de sécurité d’urgence réunissait des policiers, des militaires, des pompiers et des ambulanciers. C’était une équipe de vingt personnes en tout. Le puits datant du moyen âge de la Tour St Macloud avait été rouvert fournissant le camp en eau potable. La vie s’était organisée. Une première vague de cadavres exposés à l’air libre avait été brûlé sur le parking à l’arrière de la collégiale après un office religieux très succin. Les blessés graves les plus faibles étaient morts les jours suivant, conduisant à une deuxième vague de crémation. Trois semaines plus tard, les malades infectés succombèrent et finirent brûlés sur le tas d’ossements noirs.

L’arrivée de l’automne et de la chute des températures amenèrent une inquiétude grandissante. Les cultures se faisaient plus rares malgré la pousse des légumes d’hiver. Mais une gelée, une grêle ou l’inondation des bords de seine pouvaient anéantir tout espoir d’avoir des légumes pendant ces nouvelles périodes de froid. Les stocks de denrées sauvés des décombres, des différentes épiceries, supérettes, fondaient comme neige au soleil. Des restrictions avaient été mis en place par le conseil avec l’aide des agents de la sécurité. Mais toutes ces personnes de bonne volonté n’avaient aucune légitimité légale pour le maintien de l’ordre et les décisions de justice. Ils ne pouvaient éviter les actions parallèles, nocturnes de petits groupes de survivants dans les ruines des commerces alimentaires.

Nous-même avions participé à ces actions pour notre survie. Était-ce de l’égoïsme, de la lâcheté, mais nous ne participions pas à la communauté à proprement dit. Nous arpentions le camp une fois par semaine pour échanger le produit de notre potager et de notre pèche contre des produits et des services nécessaires à nos besoins quotidiens ; rafistolage de nos godasses, conseils sur la culture de notre potager, eau potable du puits, serviettes hygiéniques, paracétamol, pièces détachées pour monture de lunettes (ces micros-vis pour fixer les branches de lunettes) …

Nous pouvions affirmer que monsieur l’imminent avocat avait bien eu du lapin pour son anniversaire, mais nous gardions le secret. C’est nous, sur notre île, qui avions attrapé cette petite bête si mignonne, au pelage si doux, au regard si attachant, une peluche vivante. Pourtant les émotions étaient passées au second rang quand, Karl s’était porté volontaire pour lui tordre le coup.

« J’ai déjà tuer un homme, je devrais être capable de tuer un lapin, avait froidement déclaré notre ami.

En contrepartie, l’avocat avec la complicité d’un pharmacien nous avait offert six mois de trithérapie avec un dosage aléatoire non personnalisé pour Tania, mais c’était toujours ça.

Notre club house s’était transformé en domaine privé, en forteresse. Nous avions dressé des palissades tout autour du bâtiment, évacué les gravats de l’intérieur et alentours pour construire une deuxième couche de protection à un mètre des palissades. Derrière les vestiaires, Karl avait organisé un atelier de mécanique, mais surtout un beau potager. Il cultivait jusqu’à présent ; salades, tomates, carottes, pommes de terre. Karl espérait à la prochaine visite au camp obtenir des semences pour des poireaux, des navets, des courges et autres légumes d’hiver. A côté, notre génie de la mécanique avait réussi à réparer deux scooters et une mobylette. A l’intérieur, des travaux amateurs d’isolation avait été entrepris pour constituer un dortoir à l’abri de la pluie et du froid (tout était relatif). Le comptoir du bar s’était transformé en salle à manger et la terrasse en cuisine en pleine air recouvert d’une bâche bleue de chantier pour retenir un maximum de chaleur provenant du feu de bois. Il fallait avouer que nous étions fortement enfumé le soir pendant le repas mais le confort de la température du feu était prioritaire. Nous avions dégagé une plage de plusieurs mètres au bord de la seine pour notre atelier pèche. Karl, Romain et Edouard avaient fabriqué des cannes à pêche à base de longues branches d’arbre séchées et fumées au feu de bois, et de cordelettes d’emballage et de câbles de guirlandes électriques débarrassés de ses diodes lumineuses. Un matin, nous avions été réveillé par des caquètements. A notre grande surprise, trois poules s’étaient introduites sur notre campement. Voilà de vraies survivantes ! Elles avaient échappé à la catastrophe, aux inondations, aux prédateurs animal et humain, aux conditions météorologiques et à leur propre fragilité. Elles avaient échappé aux velléités gourmandes et à l’estomac de Karl grâce aux conseils de Syvanna. Ces poules rapportaient beaucoup plus en nutriments avec les œufs pondus quotidiennement qu’avec leur chair. Edouard avait émis un doute sur leur capacité à pondre. Elles avaient subi de graves traumatismes psychiques ainsi que du stress. Karl et Vanessa s’étaient tout de suite affairés à la fabrication d’un poulailler. Effectivement les événements donnèrent raison à Edouard. La première semaine après leur installation dans leur nid douillet, aucun œuf ne sortit. Mais après plusieurs jours de confort, de caresses, d’alimentation, les premiers œufs s’offrirent à nous. Après trois semaines, la production était régulière. Nous avions renforcé nos stocks de vêtements chauds en prévision de la dernière saison à venir. Fini les jupes, robes et shorts, ils avaient laissé la place à des pantalons de survêtement, des jeans solides résistants au froid, aux ronces, aux éventuelles morsures d’araignées ou de rats. Le glamour adolescent de l’Avant n’existait plus. Pull large, pantalon recousu, longues chaussettes par-dessus les bas de pantalon, grosses chaussures de marche, bonnets ou casquettes tachés faisaient partit de notre panoplie vestimentaire.

J’avais consacré le principal de mon temps, bien sûr à aider notre groupe pour notre autosuffisance, mais aussi à récolter un maximum d’informations sur la situation extérieure à notre ville. J’étudiais toutes les possibilités d’expédition, les hypothèses de situations géostratégiques et politiques, la situation écologique, la possibilité de contamination radioactive ou autres virus synthétiques. Mes recherches au camp du centre-ville ne m’avaient pas apporté beaucoup de réponses. Jusqu’à présent nous recevions aucun signal radio. La fibre et les lignes internet ADSL étaient désespérément vides. Deux anciens ingénieurs avaient entrepris de relier un système de communication télégramme et morse à la principale ligne téléphonique enterrée sans assurance qu’elle ne soit pas coupée à un point d’ici Paris, ou Lyon, Marseille… Je n’avais trouvé personne possédant un compteur Geiger pour mesurer la radioactivité présente. Nous ne savions rien à ce sujet. Cela se trouve, nous étions tous condamnés à une mort horrible. Mais d’après les derniers échos que j’avais eu, aucun mal de la thyroïde n’avait été constaté. Je me renseignais chaque semaine sur l’arrivée éventuelle de réfugiés provenant de Paris ou sa proche bordure. Personne, rien, à croire que personne n’avait survécu. Cela mettait à mal ma volonté de me rendre là-bas. J’avais tenté de rencontrer des volontaires pour rejoindre la capitale. Beaucoup de beau-parleurs, pour pas beaucoup de courageux.

Le mois dernier, un petit groupe de cinq jeunes hommes désespérés avait tenté d’attaquer et de s’emparer de notre camp. Nos fortifications avaient alors fait leur preuve. Les barricades de fortune et quelques coups de perche dans le ventre avaient eu vite fait de les décourager. Nous étions un peu victime de notre succès. La rumeur s’était propagée au centre-ville d’une petite communauté auto-suffisante confortable. « Confortable » ; la rumeur exagérait toujours au fil du temps. Elle nous exposait un peu plus aux dangers de conflits, de jalousie et d’envie. Mais notre organisation était maintenant bien rodée. Nous avions un planning bien ordonné jonglant avec les heures de quart de surveillance, de travail au potager, de pèche, de ramassage des œufs, des travaux ménager, de reconsolidation du bâtiment, de mécanique, de réparations multiples, de couture…

Je saisis la pierre blanche fortement chargé en calcaire et pointue posée sur le comptoir. Je dessinai un petit «M » sur le mur, à la suite d’une longue série de lettres qui se répétait tous les sept caractères.

« Mercredi ! »

C’était mon jour. Le jour où je me rendais au camp principal du centre-ville. J’étais excité à chaque fois que je m’y rendais. Quel serait mon lot d’informations et de surprises aujourd’hui ? J’aimais aller enquêter, fouiner, récolter des renseignements utiles. Mon parcours dans le camp était toujours le même, j’avais des points de chute obligatoire ; le centre de sécurité avec son stand de communication radio, le mini hôpital qui accueillait systématiquement les nouveaux arrivants, la tente du conseillé soudoyé par nos soins, et autres contacts malins et fouilleur comme moi. Vanessa insista pour m’accompagner allant à l’encontre de son agenda.

— Tu n’es pas de ramassage d’œufs ce matin ?

— Arf l’ennuie, le taff’ de ouf’ ! Je pense que Syv’ peut s’en charger toute seule. En plus elle adore ces bestioles à plumes. Vas-y Mic, j’ai besoin de sortir de cette forteresse qui ressemble de plus en plus à une taule.

— Tu exagères un peu, non ? T’es bien contente d’y vivre dans cette taule.

— Ouais, ouais… Laisse-moi venir avec toi ! … Et pourquoi je te demande d’ailleurs ? T’as pas le choix, je viens.

— Le choix, on ne l’a jamais avec toi.

— N’est-ce pas ? Tu m’aimes, hein ?

— Oui, c’est ça, soupirai-je.

……..

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ccccccccccccc bbbbbbb
2 années il y a

Incroyable, décroissance forcée, des Robinson en zone urbaine.
C’est tellement réaliste et crédible que ça fait froid dans le dos.
Quel talent, je me répète mais c’est pas grave.

O. DeJavel
2 années il y a

Nous assistons ici à un important saut dans le temps. Nous serions en automne, mais je ne me rappelle pas de la saison des derniers chapitres. Donc, la gestion du temps serait à parfaire. Il faudrait au moins mentionner que x mois ont passés.

La question est de savoir pourquoi ce bond en avant ? Mic avait survécu à un putsch, mais en quoi son parcours initiatique étaitil signifiant ? Sans doute avait-il compris l’importance de laisser l’autre vivre son deuil. Mais c’est peu…

Là maintenant, ce bond en avant ne nous apprend rien sur le cataclysme ni sur le parcours des personnages. À moins que ton objectif soit de brosser un tableau de l’apocalypse (laquelle ?) les personnages eux nont pas avancé. La brique, les poules et le mortier c’est pas ce qui est le plus intéressant.

En l’absence de progression sur le cataclysme, la question que le lecteur se pose, est de savoir ce que Mic va faire pour baiser Syvanna. Et là-dessus, on a rien de croustillant.

La question à répondre est la suivante : Jusqu’où Mic est-il prêt à aller pour l’amour de Syvanna ? Chercher des médocs pour sa sœur ? Bruit de buzzer. Cette question est éteinte. L’avocat a mangé un lapin. Enfin, tu vois ? Il faut des défis. Il faut éviter de brosser un portrait d’un personnage qui subit son sort, bravement. Il ne faudrait pas qu’il gagne le cœur de Syvanna en étant le plus gentil. Le personnage doit VOULOIR quelque chose et être prêt à en payer le prix, c’est comme ça qu’on exprime l’amour dans une histoire.

Je note qu’on ne sait pas à qui Mic parle dans le dernier échange. Et je note également que Mic ne veut rien de spécial. On est tombé à plat, comme si c’était une nouvelle histoire.

Pas facile hein ? On continue !

O. DeJavel
1 année il y a

J’irai voir le Royaume de Dunia avec plaisir.

Et je continue de te lire ici. Effectivement pas facile d’écrire sur un site d’écriture. Allez ! Je passe au chapitre suivant. 🙂

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