Des bruits de moteur automobile nous interpellèrent. Comme nous étions habitués par l’absence de ce genre de son depuis des mois, le moindre retour de sonorité non-naturelle interpellait aussitôt nos tympans. Fred se pencha par une fenêtre au revêtement vitré disparu et aperçu deux véhicules cabossés circulant lentement entre les épaves et les gravats dans la rue adjacente. Fab tapota l’épaule de son ami pour le refocaliser sur notre objectif. On monta d’un niveau par l’escalier de service. La porte anti-incendie à double-battants résista à une première poussée. Avec six mains de plus, elle finit par pivoter. Nous refluâmes surpris à la vue d’un cadavre desséché, en partie décharné.
— Putain de merde, qu’est qu’il fout là ce con ! réagit Vanessa.
— Il est mort comme beaucoup de monde ces derniers mois, ironisa Fred.
— Sans déconner, mais de quoi il est mort ?
C’est vrai ça, de quoi ? Il n’y avait pas d’objet contondant à proximité du corps. Peut-être une chute l’envoyant se fracasser le crâne contre la porte, peut-être blessé mortellement ailleurs et traîné jusqu’ici, peut-être assassiné.
— Bref, on s’en fout, concluais-je. Continuons !
— On y est presque, c’est au fond du couloir.
Nous suivîmes Kylian en file indienne jusqu’à l’entrée du bureau du maire. « Mince, et si un autre collaborateur municipal survivant avait eu l’idée de récupérer ce téléphone » pensai-je subitement. L’épaisse porte en bois était fissurée dans sa diagonale. Vanessa devança Kylian et asséna un puissant coup de pied, jambe tendue, dans la paroi affaiblie. Elle chuta en deux morceaux à l’intérieur de la pièce.
— Sésame, ouvre-toi !
Kylian émit un petit sifflotement impressionné. Nous nous engouffrâmes dans le grand bureau. La pièce était relativement en bonne état. La grande baie vitrée avait explosé avec une partie de l’encadrement en métal tombée au sol. Du plâtre effrité parsemait et blanchissait le dessus du bureau monumental. Des plaques carrées du faux-plafond décrochées formaient un damier de jeu d’échec chaotique sur les dalles en imitation marbre. Kylian se dirigea immédiatement vers le meuble qui avait le moins de style, une simple commode en tôles d’acier avec une porte déroulante. Je le suivis de près et un objet posé sur le meuble de bureau basique attira mon attention. C’était une plaque rectangulaire aux dimensions d’une feuille de photocopie standard, recouverte de petites cellules noires photovoltaïques, maintenue debout par un socle en plastique. Un cordon en sortait avec à son bout une prise de smartphone.
— Putain de merde, un chargeur de téléphone solaire, m’écriai-je.
— Mon pote, si on trouve le téléphone intact, on peut dire qu’on aura un bol de cocu, s’avança Fred.
— Il est là, annonça Kylian accroupi, fouillant dans le meuble.
Il le dressa devant son visage et fit un demi-cercle sur lui-même pour nous le montrer à tous.
— Incroyable, il n’a pas un pète. Rien. On a plus qu’à le brancher au chargeur. Normalement, la pièce et notamment ce meuble ont été à l’abri de l’humidité et sont restés à température constante. La batterie doit encore fonctionner.
Soudain Fab resté à l’entrée, remarqua une curieuse nous observant. Kylian cacha le combiné dans la poche de son gilet et je masquai de mon corps autant que possible le chargeur solaire.
Une fille blonde à la peau d’un blanc laiteux peu ordinaire aux yeux bleus translucide assistait à notre découverte, adossé au mur du couloir. Elle devait être aussi âgée que nous.
— Bonjour, dit amicalement Fab.
— Qu’est que vous faite ? Demanda-t-elle sèchement.
— Oh, on cherche des trucs… Pour la survie, comme tout le monde quoi ! Bafouilla Fab.
— Et vous avez trouvé quoi ?
— Euh, rien de super intéressant. Du coup, on en profite pour faire une pause, mentis-je.
— Ouais, et on n’aime pas trop les petites fouilles merdes, tu vois, menaça Vanessa. Ce n’est pas contre toi en particulier, mais depuis le petit événement tragique d’il y a trois mois, nous sommes devenus un poil méfiant.
— Vanessa, arrête, elle n’a rien fait de mal !
— Allez ouste ! Vas voir ailleurs si on y est !
Notre invitée impromptue s’évanouit au fond du couloir. Je pensais ne plus jamais la revoir, mais bien au contraire, sa rencontre allait chambouler notre avenir proche. Je me tournai vers mon amie et lui posai une main sur l’épaule ce qu’elle n’apprécia guère mais elle le supporta.
— Vanessa, va vraiment falloir qu’on travaille ton sens de la communication et de la courtoisie.
— Mic ! Réveille-toi ! Insista Vanessa sans plus de mots.
Je portai à nouveau mon attention sur Kylian. Il venait de brancher le smartphone au chargeur. Avec sa manche Fred avait épousseté le panneau voltaïque. Fab gardait toujours l’entrée. Les quatre autres têtes étaient penchées, fébriles, sur l’écran du smartphone. Quelques secondes passèrent qui parurent des heures, installèrent un climat de suspens. Tout à coup, un sablier lumineux apparut sur l’écran, et se mit à pivoter avec l’indication ; 1% en dessous du sigle mobile. Nous levâmes les bras à l’unisson en signe de soulagement et de victoire.
— Yes !
— Si la Française des Jeux existait encore, j’irais jouer une grille de loto.
— Tu m’étonnes, ça à l’air presque trop facile ! Dis-je.
Ma propre réaction déclencha un moment de réflexion et de doute dans mon esprit.
— Bon, va falloir attendre une bonne heure pour qu’il soit en parti chargé, prévint Kylian.
Il modifia l’inclinaison et la direction du panneau vers la fenêtre et le soleil dont les rayons commençait à pénétrer dans le bureau du maire. Je tendis ma main au collaborateur municipale pour le féliciter. Il l’accepta et me la serra. Je serai un peu plus fort pour maintenir la prise et je lui lançai un regard insistant comme pour analyser son esprit.
— Merci beaucoup, finis-je par dire.
— Pas de quoi ! Dis Kylian sur un ton hésitant.
— Bon bah, patientons.
Je rejoignis Fab à l’entrée. Il me tapota la poitrine de satisfaction. Je me penchai dans le couloir et regardai de gauche à droite. Il n’y avait plus personne, plus aucune trace de la jeune fille blafarde.
Fred engagea une conversation sans trop d’intérêt avec Kylian pour disperser son attention pendant que Vanessa vint me souffler à l’oreille.
— Qu’est ce qu’on fait maintenant ? Va falloir s’occuper de son cas.
— Pas tout de suite, calme toi. Attendons que ce téléphone soit chargé. Et puis j’ai quelques interrogations à éclaircir auprès de lui.
— Pourquoi ?
— Tout ce qu’il vient de se passer est beaucoup trop simple. On dirait qu’on nous a mâché le boulot.
— C’est juste de la chance !
— Et c’est moi le naïf ?
Un moment passa. La pointe des rayons de soleil avait parcouru un arc de cercle d’une dizaine de centimètres sur le sol marbré. Je m’approchai à nouveau du téléphone pour m’informer de son taux de charge. L’écran affichait ; 58%. Très efficace ce chargeur. Le moment fatidique arrivait. Je rejoignis Kylian et Fred discutant au bord de la grande fenêtre. Vanessa se repositionna au centre du bureau. Elle se libéra d’une des bretelles de son sac à dos qui bascula sous son aisselle. Elle posa sa main droite sur la poche principale du sac.
— Dis-moi Kylian, pourquoi n’avez-vous pas mentionné l’existence de ce chargeur solaire ? Sachant ça, nous serions partis beaucoup plus confiant.
— Oh, nous étions persuadés qu’il était détruit, c’est pour ça.
— Comme pour le téléphone ?
— Non pour lui, nous n’étions pas sûr.
— Le maire n’avait-il pas dit que l’écran était cassé ?
— Vous savez c’est un vieux monsieur qui n’est pas très accoutumé à la technologie moderne. L’écran a dû être réparé aussitôt par notre service technique.
— Oui, c’est sûr. Il n’a plus l’air d’avoir la lumière à tous les étages, dis-je en montrant du doigt le haut de mon crane.
— C’était sa dernière année de mandat. Après trente-cinq ans aux responsabilités de cette ville, il avait décidé de prendre sa retraite pour profiter de ses petits-enfants.
— Où étiez-vous au moment de la cata ?
— A la mairie.
— Oui, mais où précisément ?
— Bah je ne sais plus précisément. Tout a été tellement vite.
— Vous ne vous souvenez plus ? Intervint Vanessa. Moi, je m’en souviens parfaitement. J’avais la tête collée autres deux sacs poubelles plongées dans une benne à ordures. Vous avez pris un coup sur la tête peut-être pour ne plus vous en souvenir.
— C’est quoi cet interrogatoire ? Nous devions être dans ce bureau.
— Donc monsieur le maire savais que le téléphone n’était n’y dans sa poche, ni posé sur son bureau.
— Je vous l’ai dit, c’est un vieux monsieur.
— Et vous ?
— Oui je le savais mais avec la panique…
— Vous auriez pu corriger les dires du maire, hier soir.
— J’ai oublié.
— En cas d’incident comme nous avons vécu, la procédure d’évacuation ne vous impose-t-il pas de vous saisir du téléphone en priorité.
— J’en sais foutrement rien, et nous avions d’autres choses à penser. D’ailleurs, je crois qu’on ne pensait plus à rien. Juste à sauver notre peau.
— Vue le relatif bon état de ce bâtiment, pourquoi n’avez-vous pas élu domicile ici ?
— Vous savez, nous avons été pris dans le mouvement de panique. Sans qu’on s’en aperçoive le flux de la foule nous avait mené aux abords du pont de Saint-Cloud.
— Vous auriez pu y revenir.
— Oui, mais Hubert avait été très affaibli par cette marche forcée. Et c’est là que nous sommes tombés sur Robert et sa famille. Il nous a aidé, puis nous a installé dans ce camp de fortune qui est devenu au fil des jours un petit village où le maire se sentait en sécurité.
— Et depuis trois mois, l’envie de retourner à la mairie ne vous a pas effleuré l’esprit.
— Si bien sûr ! Mais Hubert est très affaibli aujourd’hui. Il ne désire plus quitter le cocon que Robert et d’autres lui ont créé.
— Et une expédition comme la nôtre avec vous et d’autres jeunes.
— C’était prévu ! Si vous n’étiez pas arrivés, nous y serions allés sûrement dans les jours à venir.
— Tout ce temps ! Bah dis donc, vous n’êtes pas très curieux de savoir ce qu’il se passe, ce qu’il va se passer.
— Nous avons pris beaucoup de temps à construire des abris, à constituer des stocks de nourriture, à créer des moyens d’en produire, à créer un système d’approvisionnement d’eau potable, à s’aider mutuellement. Bref, nous avons été très occupé et le temps s’évapore très vite.
J’observai un instant mes compagnons. Une certaine inquiétude marquait le visage de Kylian. Vanessa tata la poche de son sac à dos pour sentir l’acier du revolver entre ses doigts.
— Monsieur le maire ne fera rien de ce téléphone, déclarai-je.
Comprenant soudainement la situation et la suite probable des événements, Kylian se raidit.
— Bien sûr que oui ! C’est un représentant de la nation. C’est à lui que revient la responsabilité de communiquer avec l’instance dirigeante provisoire, si elle existe vraiment.
— Je n’en doute pas. Cela devait être le cas avant la cata, mais comme vous nous l’avez dit, c’est un vieux monsieur affaiblit qui ne prendra plus aucune décision.
— Ce n’est pas vrai…
— Donnez-nous ce téléphone et son code d’accès, coupa Vanessa.
— Mais pourquoi ? Revenez avec moi au tunnel. C’est juste à côté. Nous avons mis à peine une heure pour venir jusqu’ici.
— Justement, vous étiez à trois quart d’heure d’ici, et vous n’êtes jamais venus depuis trois mois.
— Mais je vous l’ai dit, nous avons été très…
— Occupé… Je sais. Il n’empêche que nous, nous aurions trouvé une petite heure dans la journée pour venir. Ce n’est tout de même pas le bout du monde. Surtout quand on sait qu’on a la possibilité de récupérer un outil qui permettrait de communiquer avec nos forces ; militaires, policières, politiques ou que sais-je.
— OK, nous avons peut-être pris un peu de temps, mais voilà, nous sommes ici pour le rattraper.
— D’accord avec vous. Allumez ce portable et entrez le code d’accès. Nous allons passer un coup de fil tout de suite.
— Mais non, ce n’est pas ce qui était convenu !
— Ce que vous ne comprenez-pas, monsieur le collaborateur municipal, interpella Vanessa, c’est que contrairement à vous et à votre bonhomme en fin de vie, nous vivons dans l’urgence. Donnez-nous ce putain de code.
— Mais… Mais de toute façon, je ne le connais pas, bégaya Kylian reculant à tâtons et butant contre le bureau.
— Un vieux ne s’y connaissant pas en appareil technologique moderne, ne se rappelant même pas que l’écran a été changé, ne se souciant guère de ce téléphone en fin de compte, tu veux me faire croire qu’il ne t’a pas confié ce code d’accès. Donne-le, menaça Vanessa.
— Peut-être, mais il ne l’a pas donné à moi.
— Kylian, soyez raisonnable. Je pense la même chose que mon amie. Alors s’il vous plaît arrêtons de perdre du temps. Je voudrais surtout savoir si nous captons quelque chose. Nous avons plus de chance d’avoir du réseau ici ; une mairie que sous un tunnel, voyez-vous.
— Je ne sais pas…
— Nous sommes plus proche du centre de Paris. Il y a beaucoup plus d’antennes relais à proximité et donc plus de chance de trouver un signal viable.
— Écoutez…
— Mais au moins pour tester le signal, bon sang !
— Je ne peux pas… Je crois…
Vanessa dézippa la fermeture de la poche principale de son sac à dos et en sortit le pistolet. Kylian surpris essaya de reculer mais était bloqué par l’important bureau. Il s’appuya avec les mains sur le porte document laissant ses empreintes sur la poudre de plâtre. Vanessa pointa l’arme sur l’homme désemparé.
— Fait gaffe, je ne sais pas m’en servir… prévint Vanessa. Elle enleva le cran de sécurité. Enfin presque. Mais à bout portant, je ne risque pas de te rater.
— Vanessa, merde, range ça, suppliai-je.
— Et en plus, je suis assez tendu, je risque de riper sur la gâchette, mec.
— S’il vous plaît… Je vous en supplie, bafouillait Kylian barrant son visage avec ses paumes blanches farineuses.
— Crache merde ! Cria Vanessa tendant au maximum ses bras pour accentuer sa menace.
Kylian se retourna, s’affaissa des épaules et baissa la tête.
— D’accord, d’accord, je vais le faire, mais baissez ça.
— Vanessa, t’entend ? Range-le, dis-je.
Fred posa délicatement une main sur l’avant-bras de la jeune femme pour lui faire baisser sa prise. Elle se laissa faire, éjecta deux grosses bouffées d’air et reglissa l’arme dans son sac.
Kylian maintint quelques secondes une touche latérale du téléphone. L’écran s’illumina. Il tapa le code PIN, puis activa l’onglet contact, affichant une série de caractères incohérents. C’était le cryptage de l’appareil. Le clavier numérique apparut. Kylian tapa une série de caractères que j’essayai de mémoriser. B197905141806… Et merde, ça commençait à être long à retenir… 86A#. L’affichage se débloqua et inscrit clairement quelques numéros téléphoniques. J’avais déjà oublié le code secret. Kylian m’adressa le combiné. J’observai l’écran. Sur la barre du haut, je remarquai sur le triangle de réception réseau quatre barrettes vertes sur quatre. Première victoire, nous avions du réseau.
— Sélectionnez le premier numéro et c’est à vous de jouer.
Voilà une victoire concrète ! Le téléphone a été trouvé. J’ai bien aimé la créature blanche et la promesse de chamboulement.
Chapitre moins long, c’est bien. Tu coupes encore de 50% et ça ira. Idéalement, essayer de faire entrer tes chapitres dans 1 500 mots ou moins, (1 000 est encore mieux, 700 ça se désincarne)
Cette contrainte permet d’aller à l’essentiel. Toujours retrancher les détails non essentiels à l’action, le moins il y en a, le mieux c’est.
Tes chutes de fin sont toujours bonnes. Par contre, tes premières phrases de chapitre font souvent référence au décors plutôt que de pointer où va le récit. Gnarf ! J’y reviendrai.
Un truc pour structurer tes chapitres et t’assurer de leur pertinence :
Le protagoniste
Veut… xxxx (objectif)
Mais… yyyy (obstacle)
Alors… Zzzz (conflit)
Exemple :
Mic et ses amis veulent (Veut) loger un appel aux militaires
Mais (obstacle 1) le conseiller veut rapporter le téléphone
Mais (obstacle 2) ils ne connaissent pas le code secret
Alors (Conflit)… ils intimident le conseiller pour le forcer à loger l’appel.
Tout ce qui ne sert pas cette affirmation (les décors, les personnes rencontrées, les déplacements, etc.) devient un élément suspect et doit possiblement être retranché. Évidemment, certaines choses sont plantées pour plus tard. Elles font partie d’un autre « Veut-Mais-Alors »
Un de tes meilleurs chapitre à date !
Merci beaucoup pour tes conseils et tes encouragements.