Ariéty se morfondait, recroquevillée sur la banquette bordant la baie vitrée de sa chambre, l’épaule et la joue collées à la fraîcheur du plastoverre. Les yeux rougis, elle observait mélancoliquement l’immensité du monstre urbain New-Washington. En haut de la plus grande tour de la mégalopole, placée au centre de l’Etat, son regard dominait le monde, percevant précisément les riches demeures d’altitude et ignorant les profondeurs de la pauvreté. Elle se détourna de ce spectacle abyssal, observa son immense nouvelle chambre, son lit interminable qui pourrait accueillir une orgie sexuelle d’une douzaine de personnes, recouvert d’une centaine de peluches. Un des murs était recouvert d’une bibliothèque en bois précieux ancien, rempli de vieux livres d’aventure, de contes de fées et autres romans romantiques. Ariéty soupira à la vue de ce luxe et de cette profusion de cadeaux. Elle était reconnaissante à son oncle de l’avoir accueilli chez lui, de l’avoir choyé, de l’avoir gâté pour compenser sa tristesse. Mais cela semblait superficielle pour elle, ne comblait pas le vide de l’absence brutal et soudain de son père. Ariéty ne pouvait plus non plus noyer ses larmes sur l’épaule de sa mère disparue bien trop jeune quand elle avait onze ans. Sa mère… Ariéty ferma les yeux, essaya de se souvenir de son visage, son sourire… Non, rien n’apparaissait, juste une tache floue.
Ariéty était une jeune fille de dix-huit ans, brune à la peau légèrement mate. Ses yeux étaient noirs et brillant comme l’encre de Chine. Coiffure, maquillage, habits, elle ressemblait à toutes les jeunes filles de grandes familles.
Une sonnerie douce et chantante provint de l’entrée de sa chambre. Une voix réconfortante sortie du transpondeur logé sur la porte en acier synthétique.
« Ariéty ma chérie, c’est ton oncle. Je rentre.
La porte coulissa dans le mur sur un rythme pneumatique, et entra un homme tout juste trentenaire dans un costume coupé au millimètre. Il avait un corps très athlétique, sculpté à la salle de sports et à la chirurgie d’agrément. Ses cheveux brin coiffés en arrière fixés par une surdose de gel, semblait être formé d’un bloc.
« Ariéty, es-tu prête ?
– Non, mon oncle.
– Toute la famille est arrivée pour le diner. Tout le monde t’attend. Et tu as l’air apprêté. Je te laisse deux minutes pour réajuster ton maquillage.
– D’accord mon oncle, j’arrive tout de suite.
La grande porte à double battants coulissant s’ouvrit automatiquement sur la grande salle à manger décorée d’un luxe inouï masquant la technologie et la domotique les plus perfectionnées de l’Etat. Ariéty apparaissait sur le seuil de la porte monumentale. Tous les regards gravitèrent sur la jeune orpheline.
Une dame d’un âge indéfinissable au visage et mains colmatés par la chirurgie anti-âge bondit du sofa et s’approcha les bras tendus vers la jeune fille.
« Oh ma chérie, que tu es belle !
– Bonjour Grand-Mère.
– Grand-Mère, non, tu veux m’achever ou quoi. Je t’ai déjà dit de m’appeler Andréa.
– Maman, laisse la tranquille, maugréa l’oncle.
– Ecoute Théodorus, je compte continuer et affiner la bonne éducation de la fille d’Octave, répondit sèchement Andréa.
– Je vais m’en occuper, c’est pour cela que je l’ai adopté. Venez à table, installons-nous. Claudius mon frère, sort le champagne Clos d’Ambonney pour ses dames et le petit bourbon Parker’s pour nous.
– J’y allais déjà de ce pas. Nous devons trinquer en ce jour d’anniversaire national pour l’Indépendance de notre Etat NW.
– Qui est aussi notre anniversaire familial, surenchérit Andréa.
Théodorus tira le fauteuil pour installer sa grand-mère Essandre à sa droite, puis s’assit à l’extrémité de la table, sa mère Andréa à sa gauche. Son frère Claudius lui faisait face, et Ariéty était au côté de son arrière-grand-mère.
Tous levèrent leur verre en cristal.
« Au 14 mai, 206 ans que notre Etat est indépendant !… Déclama Théodorus. Il tendit son verre à whisky en direction d’Ariéty et conclue ;
« … Et à la mémoire de ton père, Octave, notre Vème président de l’Etat de New-Washington !
– A l’Indépendance ! A Octave ! répétèrent en cœur les membres de la famille présidentielle.
Tout le monde trinqua dans l’art de la bienséance. Quand les verres furent reposés sur la nappe nacrée, Théodorus se releva imposant un silence induit.
« Et je voudrais faire une promesse ce soir ! Je consacrerais toute mon énergie, tous mes moyens, pour retrouver l’assassin de mon frère… Et aussi laver mon honneur souillé !
Ariéty quitta la table avant le dessert avec le soutient poli de son oncle et retourna se réfugier dans cette grande chambre sombre. Elle se réinstalla sur la banquette accolée aux cimes de la ville-état. Elle était toujours en admiration quand la nuit tombait et que les mega-tours s’embrasaient en colonnes de feu, que les profondeurs scintillaient de milliers de couleur comme un tapis végétal fluorescent, que le trafic incessant des aéronefs formait un nuage de lucioles.
Ariéty se détacha de ce spectacle nocturne et activa la teinte opaque de la baie vitrée. Elle porta son attention sur sa tablette souple, restée allumée sur la même page depuis trois jours ; un article du NWNews sur l’assassinat de son père avec la photo du présumé assassin, un homme que l’on surnomme aujourd’hui ; O10.