04:03 – La nuit de l’Entre-Deux Lunes

6 mins

        Le programme majestueux offert, habituellement réservé à une personnalité de la noblesse ; un calvaire, se poursuivit pour Otis. La chaleur conviviale de Croch’Plateau commençait à lui manquer cruellement. Et cela ne faisait que quelques heures qu’il en était parti. Ruby le regardait d’un air compatissant surtout qu’elle savait que l’épreuve la plus rude approchait ; l’entretien avec le roi. Tout de même Otis continuait à être émerveillé par les splendeurs de la cité. A l’approche du château, son regard se portait de plus en plus haut, provoquant une raideur à la base de son cou. Les constructions étaient de plus en plus élancées, massives, décorées, sculptées.

« Comme est-il possible d’ériger de telles merveilles imposantes de la main de l’homme ? s’ébahit le jeune paysan.

— Et surtout de la vie de millier d’hommes, modéra Ruby.

— Comment cela ?

— Cette cité est en perpétuelle construction depuis quasiment mille ans grâce aux sacrifices de millier d’hommes et de femmes qui ont donnés leur vie, souvent écourtée par des accidents de chantier ou des maladies pulmonaires et musculaires, le corps brisé par les lourdes charges ou les chocs de la pioche. Tout ça pour la puissance, la prestance et le confort de quelques individus d’une famille royale.

— Le portrait que vous me peignez et tout de suite mon réjouissant.

La jeune femme détacha vivement son regard de la fenêtre pour fixer Otis, comme sorti de sa transe.

« Oh, veuillez m’excuser ! je me suis un peu perdue dans ma réflexion.

Un silence pesant flotta entre les deux passagers du carrosse. Ruby entortilla une de ses longues mèches brunes autour de son index pour cacher son embarra. Elle attendit quelques secondes, le temps de vérifier qu’une remontrance du cocher ne venait pas.

« Je n’ai pas à me plaindre de la sorte. Le roi et la reine ont été bons avec ma personne en me confiant la vie de leur fille.

— Ne vous excusez pas. Il est important aussi de prendre conscience des souffrances provoquées par cette cité. Vous et moi savons plus que personne ici la dureté de la vie, du travail, du service rendu à la communauté.

Sans s’en rendre compte, Otis avait pris les mains de Ruby dans les siennes. Prétextant d’un geste du doigt vers les portes ouvertes du château, elle s’en libéra.

« Nous sommes arrivés.

Un garde royale ouvrit la porte latérale du carrosse pour libérer Otis et Ruby. Il descendit un échelon puis se figea face à l’immensité. La jeune servante lui caressa l’épaule pour l’encourager à avancer. Un intendant vêtu entièrement de velours rouge les accueillit.

« Monsieur Attila, c’est bien cela ?

— Oui monsi… Messir… Monseign…

— C’est bien Otis Attila, monsieur Alstane, confirma Ruby.

— Veuillez me suivre, je vous prie.

La traversé des nombreux couloirs et salles, l’ascension des nombreuses marches, d’escaliers en pierre, d’étages plongea Otis dans un tourbillon vertigineux. Soudain, il émergea de ce périple devant la porte massive de chêne sculpté du bureau du roi, gardée par deux géants en armure rutilante. Alstane annonça le nom du jeune homme au garde le plus proche de la poignée. Avec le pommeau de son épée, il frappa deux coups à la porte. Puis elle s’ouvrit de l’intérieur par un serviteur.

Otis était pétrifié.

« C’est à nouveau à vous de jouer, lui souffla Ruby.

Une voix grave surgit de la pièce.

« Entre jeune homme. Je t’en prie, ne reste pas là planté comme un piquet.

C’était la voix de roi Jowen III. Le roi !

Otis entra raide, activé comme une marionnette. Le serviteur se courba à son passage. Alstane le précédait d’un pas tandis que Ruby était restée à l’entrée.

« Mon roi, le jeune Otis Attila, annonça l’intendant.

— Je sais. Je l’ai bien reconnu.

Le roi ne l’avait jamais vu.

C’est surement parce que je suis noir qu’il a l’impression de m’avoir déjà vu, pensa Otis.

« Laissez-nous je vous prie.

Alstane obéit et sans un mot quitta le bureau du roi. Le serviteur referma la porte, abandonnant Ruby au regard d’Otis, puis s’asseyait discrètement sur un fauteuil de la même couleur que sa livrée et de la tenture dans son dos le faisant quasiment disparaitre de la pièce.

Otis faisait face au roi debout. Sa vessie manqua lui faire défaut. Il ne clignait plus des yeux. Son cerveau peinait à analyser la situation. Je suis devant le roi ; l’homme le plus puissants des Terres Connues !

Le roi était un homme richement vêtu de velours, de fourrure, de fil d’or, de cuir. Arborait un lourd collier d’or symbolisant la royauté. Point de couronne sur sa tête, uniquement réservée aux cérémonies et aux réceptions royales. Sa tête semblait énorme. Impression aidé par une épaisse barbe blanche impeccablement sculptée. En ignorant tous ces atours luxueux, Otis se rendit compte que l’homme ressemblait beaucoup à son père. Large torse, ventre bien rempli, bras épais et musclés, il n’était qu’un homme avec beaucoup de point communs physique avec son père.

« Assieds-toi ! ne te fais pas prier.

Otis s’assied mécaniquement comme tiré par le bas par un palan.

« Avant toute chose et toute cérémonie, nous tenons à te remercier au nom du royaume d’avoir protégé la vie de notre fille.

Le roi dérogeait au protocole qu’il s’était lui-même organisé.

« Et à la suite de ton intervention, j’ai tout de suite ordonné la construction d’une route pavée à l’endroit de l’accident tout au long de la descente de la colline jusqu’à l’embranchement du bord de la falaise.

— Nous… Nous vous en remercions majesté.

Le roi pris un instant de silence pour observer le jeune homme qui lui faisait face, tête baissée, le nez presque dans son col de chemise.

« Allons redresse toi ! tu as de quoi être fier de toi et de ton service rendu au royaume.

— Oui… Mon… Mon roi…

— Dis-moi, tu as fait forte impression auprès de ma fille Syvannah.

— Surement dû au traumatisme de l’accident… Cela n’arrive pas tous les jours… Dans la vie d’une princesse.

— Tu as raison, nous la couvons beaucoup trop. Sa mère la choie à la limite du convenable. Mais tout de même, elle n’a parlé que de toi pendant le diner d’hier soir. Je la soupçonne de s’être épris de toi. Me trompe-je ?

— Oui monseigneur… C’est… C’est qu’une impression… La princesse est encore sur le coup de l’émotion…

— Tu dis que le roi se trompe.

Un voile glacial tomba sur le visage d’Otis terrifié. Aucun mot ne put sortir de sa bouche gelée.

Un rire puissant éclata de la gorge royale. Le roi aimait titiller par son statuts ses jeunes sujets.

« Quel est ce regard de condamné à l’éviscération ?

Ce supplice existait-il vraiment ?

« Oui, le roi se trompe parfois. Et j’espère bien que se soit le cas, n’est pas ?

— Oui, mon roi se trompe.

Il éclata à nouveau de rire. Ce jeune homme n’avait vraiment aucune conscience de l’étiquette royale. Cela l’amusait beaucoup. Cela le rendait plus humain, moins déifié.

« Parle-moi de toi. Comment es-tu arrivé à Croch’Plateau avec cette… Cette couleur de peau ?

— Un couple de commerçant fuyant l’instabilité du royaume de Zakusini à ma naissance m’a confié à la famille Attila.

— Ce n’étaient pas tes parents ?

— Non monseigneur, une jeune noble zakusinienne restée à terre leur avait confié ma personne pour traverser la mer de Dunia et me mettre en sécurité sur les Terres Riches. Je n’ai pas plus de détails sur mes parents biologiques.

— Donc tu as du sang noble quelque part ?

— Cela fait partie de l’histoire, seul Dunia sait si tout cela est vrai. Je suis fier et heureux d’appartenir aujourd’hui à la famille Attila et à la communauté de Croch’Plateau…

— Et fidèle serviteur d’Hartlan.

— Oui majesté.

— Bien, bien. Nous allons aussi récompenser ton dipcoy pour sa bravoure. Nous lui offrons une année de fourrage.

Quelle ironie quand on sait que ce sont les paysans de Croch’Plateau qui produisent ce fourrage.

— Merci, votre majesté est trop bonne.

— C’est normal. Maintenant passons à notre soirée. Nous te recommandons, surtout la reine, de respecter une certaine distance physique et… Emotionnelle avec la princesse. Nous ne voudrions pas qu’elle soit détournée de son objectif principale ; choisir un prétendant pour fiancé. Nous n’accepterons pas un deuxième échec. Vous comprenez les enjeux, n’est-ce pas.

Par pitié, sortez-moi de là. Je veux revoir Ruby et… Ma famille.

— Oui majesté. Je serais tellement discret qu’elle ne prendra pas conscience de ma présence.

— Ah ! ah ah ! pas trop tout de même. Une partie de ce banquet est en ton honneur.

— Merci majesté.

Le roi se pencha au-dessus de son bureau et approcha sa tête d’Otis. Son visage semblait incommensurable, envahissait le jeune paysan et le bousculait dans l’abîme.

« Bref, pas touche à ma fille ! susurra l’homme le plus puissant de tous les royaumes réunis.

Otis déglutit difficilement.

« Alstane ! cria le roi.

L’intendant entra dans la seconde.

« Veuillez conduire notre ami aux appartement de la princesse Syvannah, je vous prie. Il a bien besoin de se rafraichir et de côtoyer des gens de son âge.

— Oui majesté, il sera fait selon votre désir.

Otis se leva et se dirigea vers la sortie de façon un peu désarticulée.

« A tout à l’heure au banquet, jeune héros.

— A… Tout… Heure…

La porte se referma et Otis sembla reprendre sa respiration comme s’il l’avait retenu pendant tout l’entretien. Il s’adossa au mur du couloir, aspirant de grandes bouffées d’air. Ruby était là. Ruby, la personne qui le rattachait encore à la réalité.

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