Chap. 20 / 1 : La théorie du chaos

5 mins

        Je refermai ma bouche béante avant de gober je ne savais quel nuisible balancé par le courant d’air s’engouffrant dans notre geôle à ciel ouvert. D’un pivotement lent du cou, je fis un panorama précis de la scène apocalyptique. J’essayai de reconstituer le point de vue normale de la cité. Je vis pile face à moi, la tour Eiffel amputée de son membre phallique au-dessus du premier étage, entouré du champs de Mars transformé en début de forêt vierge. A ma droite, j’aperçu le palais des Invalides étrangement intact avec son dôme recouvert de feuilles d’or toujours à sa place. Au-delà, la Seine traversait de droite à gauche, coupant parfaitement l’image dans une légère courbe. Le quartier de la Défense aux tours écrêtées, marquait l’horizon. Le phénomène le plus incroyable se passait toujours sur ma droite juste au-delà des Invalides, là où devait se situer les Champs Elysées encadrés de l’Arc de Triomphe et de la Concorde. Il n’y avait plus rien… Même pas une ruine, pas un gravât… C’était parfaitement plat et lisse… Un disque parfait de deux kilomètres de diamètre avec pour centre l’entre-deux parfait sur les Champs, des deux monuments, l’Arc de Triomphe et l’Obélisque de Louxor désintégrés. La texture du sol était noire et brillante comme du pétrole brut. La comparaison avec un vinyle 33 tours était parfaite. Ceci était le point central de l’impact de l’attaque. Mais point de cratère et d’onde de choc circulaire dont la puissance et les dégâts s’amenuisaient avec la distance. Non, juste un cercle parfait au sol vitrifié. Après la force du souffle ne s’était pas propagée de façon ondulatoire avec une puissance décroissante selon la distance jusqu’à sa nullité. Non, cela ressemblait plus à un rayonnement à énergie variable. Les dégâts étaient visibles uniquement sur ces rayons comme le dessin enfantin d’un soleil avec ses traits qui partent du centre du cercle dans tous les sens. Plus étonnant encore, ce flux de dommages s’interrompait par endroit sur quelques centaines de mètres et reprenait de plus bel avec autant d’intensité. C’était pour cela que le palais des Invalides était intact et que plus loin la désolation était totale. Pour ça aussi que notre tour était encore debout. La force ne décroissait pas et semblait identique sur une distance infinie, qui avait atteint ma ville à plus de soixante kilomètres et au-delà, peut-être cent, deux cents, cinq cents kilomètres… Je ne savais pas. Non, tout cela n’était pas logique, tout cela défiait les lois de la physique connues par l’être humain. Voilà, tout ceci n’était pas humain. C’était extraordinaire… Extraterrestre !

Des larmes incontrôlées et inattendues coulèrent sur mes joues. Un frisson glacé parcourut mon échine, et ce n’était pas dû au souffle froid du vent qui envahissait la pièce. Si la scène face à moi était un écran de cinéma, je me dirais ; mais que ce map painting est magnifique. C’était un art qui m’avait toujours fasciné et je rêvais de travailler dans ce domaine, mais je n’avais pas assez de talent pour entrer à Boulle ou autres écoles d’art prestigieuses. Pourquoi pensai-je à ça à ce moment précis…

Je me tournai vers Marina comme pour marquer le clap de fin sur cette scène apocalyptique. Pourtant elle restait là, envahissante et réelle. Je sentis le regard compatissant de Marina. Je ne pouvais plus contrôler le flux lacrymal de mes yeux.

« Mais… Que s’est-il passé ?

— La fin d’un monde ! Le début d’une nouvelle ère.

— Quoi ?

— Mais est-ce une ère qui sera dominée par l’être humain ?

— Putain de chienlit !

Je me détachai de Marina pour marcher seul. En claudiquant je reculai vers ma paillasse. Je m’effondrai dessus comme une loque. Marina s’accroupit à mes côtés et me ramena à la réalité du moment.

« Alors, qu’est-ce que tu vas leur dire ?

— Quoi ?

— Oui, ta petite théorie que tu dois broder pour A.H. si tu veux garder tes couilles accrochées entre tes cuisses.

— Merde, je viens de voir de mes propres yeux l’origine de la fin du monde et tu…

— Ceci n’est que la trace ! La fin du monde tu l’as vu il y a quatre mois, tu te souviens. Tu as eu largement le temps de digérer l’information.

— Hein ? Comment peux-tu être aussi insensible ? On voit que tu as partagé le même bide que ta démoniaque frangine. Désolé mais quatre mois ne m’ont pas suffi à digérer l’information comme tu dis. C’est pour ça que je me retrouve ici aujourd’hui. Pour ça que j’ai quitté mes amis, mon amour. Perdu mon meilleur pote… Parce que je ne digère pas l’info… Je veux savoir pourquoi… Je veux rationaliser le truc, mais je n’y arrive pas ! Chaque jour qui passe m’enfonce dans l’incrédulité. Chaque jour m’éloigne de la logique, du bon sens. Chaque jour me rapproche de la folie…

Marina s’approcha plus de moi et me caressa les cheveux en signe d’apaisement.

« Nous sommes déjà tous devenus fou, Micaël.

— Je ne veux pas. Je veux retrouver ma vie d’avant. Bitcher sur les meufs avec mes potes, avec Fab sur le banc de la cour de récréation.

— Sérieux, tu étais au lycée, non ? Et tu parles encore de cour de récréation ! Tu n’es plus en primaire ou au collège, mec ! Cette vie, tu ne l’avais déjà plus. Grandit un peu. Je croyais que c’était toi le meneur, le stratège, le guide. Maintenant, je comprends un peu mieux pourquoi tu as mené ton ami à la mort…

— Ta gueule, putain ! Tu ne sais pas ce que tu dis ! Je fais tout ça parce que je… Je les aime, putain !

— Tu es sûr ?

Nos regards se croisèrent et se fixèrent l’un sur l’autre, mes pupilles embrasées par la fureur que mes larmes ne pouvaient éteindre.

— Non… Non… C’est parce que je suis un putain d’égoïste. Tout ce qui m’importe, c’est moi, moi et encore moi. J’avais soif de savoir, de comprendre l’inacceptable. Et pour cela J’AI quitté la fille que j’aime, J’AI abandonné mes camarades les plus faibles, J’AI entrainé mes amis à la mort. Tout ça pour moi, pour comprendre.

— Ok, tu as fait le bilan de ta santé mental. Et maintenant que vas-tu faire, hein ? Que vas-tu faire pour que tout ce que tu as fait, bien ou mal, ne soit pas inutile ?

La flamme se tarit et mon regard s’échappa. J’étais épuisé. Je m’allongeai.

« Laisse-moi tranquille, s’il te plait

— Alors, c’est tout ? T’abandonnes, tu te recroquevilles sur toi-même comme l’égoïste que tu es ? Tu ne veux pas changer ? Être à l’image que tes amis voient de toi.

— C’est… C’est-à-dire ?

— Un leader, merde ! leur putain de leader !

— C’est justement l’erreur qu’ils ont faite. Je ne suis rien de tout ça.

— Si tu n’avais vraiment rien de tout ça, ma sœur t’aurait tué sur le champ.

— De quoi ?

— Tu as de l’intérêt. Tu réfléchis. Tu vois au-delà de ce que les autres voient. Tu t’intéresses aux autres. Tu anticipes, tu es ouvert à toutes les théories. C’est ça avoir l’âme d’un meneur.

— Mais putain, d’où tu sors ces conneries. On se connait à peine depuis une heure en durée consciente. Comment peux-tu émettre autant de théories foireuses sur mon profil psychologique ?

Marina rigola à plein poumons, action incongrue en cet instant.

« C’est mon talent !

— Ton talent ?

— Ouais, et maintenant tu vas rouvrir tes chakras et nous pondre une jolie histoire crédible pour demain.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx