L’Amour m’a trouvée et emprisonnée dans sa tour d’ivoire. Je suis seule? Non. Il me semble entendre des voix. Je ne tarde à comprendre que ce sont les murmures des anciens habitants de cette prison dorée. Ils chuchotent de doux mots, mots qui s’envolent dans la grande pièce où je me suis retrouvée enfermée malgré moi. Les fantômes viennent me voir. Ils me consolent de leurs doux bras blancs en me répétant inlassablement que c’est une belle chose d’être prise par l’Amour. Mais je ne voulais pas, leur dis-je une première fois.
On me répond que c’est lorsqu’on s’y attend le moins que c’est le plus surprenant. Je ne les écoute pas. Ce ne sont que des voix sans esprit ni réflexion. Je vois des sourires remplis de gentillesse et des yeux brillants d’amusement et de…pitié ? La colère boue en moi. Au diable leur pitié et leurs paroles!
Je tente de les repousser. Je ne voulais pas ! Répétai-je. Comment puis-je tomber amoureuse si je ne souhaite pas l’être ! Criai-je à l’assemblée d’ombres vivantes.
Je vois la porte au loin. Mais je sais ce qu’il m’attend si j’ose l’ouvrir. Un sens me le crie. Je finirai comme ces fantômes si j’ose toucher la belle poignée argentée.
Ils me demandent son identité. Je ferme les yeux et me laisse glisser contre le mur, les diamants de tristesse glissant sur mes joues pâles.
Son nom, susurrent les voix à mes oreilles. Dis-nous son nom…donne-nous son nom que nous puissions le scander dans cette prison d’ivoire pour qu’il puisse résonner à jamais dans ton cœur et ton esprit.
Je me prends la tête dans mes mains, m’arrachant les cheveux. Je hurle à l’injustice, dénonce un harcèlement, lutte contre le poison qui se répand dans mon cœur lentement. Les voix mielleuses des fantômes ne s’arrêtent pas pour autant.
Je n’en peux plus. Je me sens déjà affaiblie par ce sentiment maladif qui gagne chaque être risquant de s’aventurer sur les terres de l’Amour. Mes cris diminuent et le silence s’installe sous cet immense dôme couvert de riches inscriptions. Brisant le silence, je murmure son nom. Cette annonce impose un court instant de calme parmi les ombres. Puis le concert reprend de plus belle. Ce n’était que l’acte un. Un autre commence. Les musiciens me demandent pourquoi. Je ne sais que leur répondre et mes yeux divaguent sur les murs qui semblent se resserrer autour de moi. Je les laisse à leur spectacle tandis que je rejoue le mien.
En vérité, cette cellule, je la connais. Je me suis déjà retrouvée enfermée ici. Dévorée par cette même maladie, contaminée par la même personne, tourmentée par ces mêmes fantômes et ces mêmes questions. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas succomber à ses yeux si doux et ses paroles si douces, je ne voulais pas, je ne souhaitais pas, je résistais ! Ô comme je te hais toi qui occupe mes pensées et mon cœur à nouveau. Je te hais mais pourtant rien ne m’empêcherait de t’aimer.
Je l’aime, dis-je.
Les voix s’éteignent en accord avec la chute de cette pensée. Tous ici savons ce que cela signifie. L’Amour a gagné. Je l’aime. Cette phrase résonne en dans tout mon corps. “Je l’aime.” Même si cet appel est désespéré et sans espoir de retour, c’est la vérité et il est inutile de la fuir plus longtemps. “Je l’aime.”
Je me relève sous les regards attentifs des fantômes de ce dôme. Ils sont là car ils n’ont pas su affronter leur réalité. “Je l’aime.” Ils ont ouvert la porte alors qu’ils ont renié l’Amour au plus profond de leur esprit. “Je l’aime.” La phrase qu’ils n’ont pas pu prononcer. “Je l’aime.” Je suis devant la porte à la poignée d’argent. “Je l’aime.” Je vais revoir son visage et rire avec lui. Me plonger avec délice dans ses iris sans fond et rêver de lui sans crainte. “Je l’aime.”
Et si Il ne m’aimait pas ? Demandai-je.
Alors tu dépériras, rongée par le poison qu’il n’a pas pu retirer, soufflèrent les voix. Puis, le poison se consumera et tu renaîtras. Et l’Amour te reprendra dans tes mailles jusqu’à ce que tu trouves la personne qui te sauvera.
“Je l’aime.” Je tends ma main vers la poignée brillante. J’hésite. “Je l’aime.” Je suis prête à accepter ce qui brûle au fond de moi. “Je l’aime.” Le sang rugit à mes oreilles et l’Amour me saisit brusquement et me force à faire le grand pas. La porte s’ouvre.
“Je l’aime.”