Chap. 21/02 : L’Exposition Universelle

5 mins

Les convives assoiffés de violence se positionnèrent en arc de cercle fermant une boucle avec la façade nue de l’immeuble. Je tournai sur moi-même, paniqué, pour chercher une issue à ce combat dénué de sens. Rien, la seule échappatoire était le grand saut dans le vide. Cette déambulation me provoqua le tournis. Mes mouvements hystériques se figèrent au contact du dos de Marina, statique et sereine. Nous étions dos à dos, chacun face à notre adversaire.

« Tout ceci est insensé ! où vont-ils trouver du plaisir à regarder un massacre de quelques secondes, maugréai-je.

        Parle pour toi, je compte bien régler son compte à ma frangine. Ensuite, je ferais bouffer ses couilles à ce tas de muscles débiles.

        Putain de merde, t’as vraiment un problème avec nos parties.

Nous avions été libérés de nos chaines. Quelles mansuétudes ! Mais le collier trop serré me meurtrissait la gorge et m’empêchait de respirer pleinement. Dans ma tête, je commençais à lister mes moments les plus terrifiants que j’avais vécu depuis le cataclysme. Et celui-ci entrait dans mon top 3. Je ne m’étais jamais battu de ma vie, sauf cette tentative à Mantes pour sauver les filles avec l’aide indéniable de Karl.  Quand j’avais dix ans au tournoi interscolaire de judo, j’avais pris un ippon au premier tour en dix secondes face à une fille. Oui à cet âge-là, ma fierté de petit garçon en avait pris un coup. J’ai su par la suite qu’elle était licenciée au judo et cela m’avait réconforté un peu. Même aux jeux vidéo j’étais nul. Je me faisais massacrer tout le temps à Street Fighter ou Mortal Kombat. En revanche, j’adorais les films de tatanes, avec de superbes chorégraphies de combat créées par les maitres du cinéma chinois, hongkongais, indonésiens ou thaïlandais. Je passais mes débuts de nuits dans mon lit à fantasmer et m’identifier à Ip-man, Néo, John Wick ou aux héros de The Raid, Ong Bak. La réalité était que ma seule envie était de fuir à tout prix. Mon épaule meurtrie me rappelait encore plus ma fragilité.

« Allez, battez-vous que diable ! hurla le gourou nazi.

Je sentis le corps de Marina se détacher de mon dos, le dernier contact rassurant qui me restait. Elle avait pris l’initiative de se jeter en première sur sa sœur. Je ne vis pas la suite de ce combat car je restais le regard fixé sur le colosse. Un sourire presque gêné marquait son visage serein. Embarrassé, il ne tirerait aucune gloire à chasser un souriceau malingre.

« Finissons-en, s’esclaffa le géant.

Il fit une enjambé lourde vers moi, les bras écartés prêts à m’écrabouiller entre ses mains qui chacune faisait la taille de mon torse.

« Pas si vite ! Fait un peu durer le plaisir. Décortique-le comme une bonne crevette ! s’amusa A. H. . Montre-lui les saveurs de la souffrance.

C’est bien ma veine.

Le géant abattit sa paluche droite contre mon épaule blessée, me faisant valdinguer à plusieurs mettre en arrière, tombant sur le dos et glissant sur le sol en vinyle avec un couinement ridicule. La plaie se rouvrit instantanément et le liquide chaud dégoulina à nouveau sous mon sweat. La douleur intense me vrilla le cerveau et faillit m’égarer dans l’inconscience. Mes yeux se brouillèrent. Je me tournai sur le ventre pour essayer de ramper dans le sens opposé de mon bourreau. J’aperçu la bataille féroce des deux sœurs agrippées l’une à l’autre, chacune essayant d’appliquer des prises de soumissions. Je trainais mon corps sur le sol lisse et glissant avec mon bras valide. Soudain, ma progression fut stoppée. Ma cheville était emprisonnée dans les mâchoires qui servaient de doigts au colosse. Il me souleva comme une paille et me retrouvais pendu la tête en bas. Le sang me montait à la tête, ou descendit dans le cas présent. Ma vue se brouillait davantage. Je n’avais plus conscience de l’espace dans lequel j’évoluais. Mon martyriseur tata de la pointe de sa Rangers mon épaule en charpie comme pour vérifier que j’étais encore bien vivant. Mes grognements en étaient la preuve. Il appuya un peu plus ses coups de pieds dans mon ventre. J’avais le sentiment qu’il jouait au Jokari avec mon corps. A. H. avait demandé expressément de faire durer le plaisir, mais le géant semblait à cours d’idée face à mon impuissance à résister. Il marqua une pause de réflexion, baissant légèrement son bras, faisant reposer ma tête au sol, la joue couinant sur le revêtement vinyle libérant un fluide baveux sanguinolent. Je revis le duel de Marina. Irine semblait avoir pris le dessus. Elle chevauchait sa sœur couché sur le dos, les mains autours de son cou. Marina essayait de la frapper, griffer au visage pour la faire lâcher prise. Mais la blonde esquivait et maintenait la pression sur son cou. Ses ongles longs commençaient à pénétrer l’épiderme de la gorge de Marina, échappant des gouttes de sang. D’un geste instinctif, la brune frappa avec sa jambe le séant de sa sœur la déséquilibrant la tête en avant. Une aspiration bruyante libéra les poumons de Marina, et elle se remit sur jambes flageolantes. Irine de même après un roulé-boulé chaloupé. Elles se faisaient face comme des chattes en colère le dos hérissé. Marina se frotta le coup avec la main le maquillant d’une écharpe rouge d’hémoglobine. Ma tête quitta à nouveau le sol, le géant avait pris une décision. Mon corps partit dans un mouvement de balance. Je fouettais l’air en pivot autour du tronc du colosse. Je tournoyais, prisonnier de ma cheville. Et puis, il n’y eut plus de pression autour de celle-ci. Je volais. Je planais. Il m’avait lancé comme un frisbee vers le panoramique de Paris. J’allais connaitre la sensation terrifiante de la défenestration. Mais mon vol fut stoppé par une des poutres IPN métallique du squelette de la tour. Elle me fracassa le dos. Je m’écrasai au sol, un bras pendant dans le vide. Quelle chance d’avoir percuté ce mince fil d’acier me séparant du vide ! Quelle chance de pouvoir continuer à souffrir !

A. H. s’extirpa furieux de son fauteuil, les bras en l’air, les poings rageurs.

« Je t’ai dit de faire durer le supplice, bon sang ! Réfléchit un peu débile ! Que fait-on à la crevette avant de la manger ?

Le géant regarda son maitre l’air hagard. A. H. se passa la main sur le visage, désabusé.

        Arrache-lui la tête… Délicatement !

 Comment un être humain pouvait en arrivé à un tel stade de perversité violente, de méchanceté gratuite. Naissons-nous comme ça, ou le devenons-nous. Le traumatisme du chaos est-il l’élément déclencheur ? Surement, mais pas seulement. Il doit être la goupille éjectée de sa grenade.

Ma tête avait heurté trop de choses ; le sol, l’UPN en acier et à nouveau le sol. Mon cerveau grésillait, émettait des milliers de signaux électriques ; tous de douleur. Mon corps vibrait, victime de spasmes incontrôlés, des larsens vrillaient mes oreilles. Je voulais que tout ça s’arrête. Cette souffrance. Ces palpitations douloureuses. Que ça s’arrête, mon dieu…

Ces vibrations… Ces vibrations n’étaient pas que dans mon crâne. Elles provenaient aussi d’ailleurs. Du sol, de la structure, de l’atmosphère, du ciel… Je relevais difficilement la tête, le menton collé au vinyle. Le plancher tremblait me faisant claquer des dents.

Quelque chose approchait… Comme si on avait percé avec le manche d’un balai un nid de frelons en colère…

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