Chapitre 22 : Apocalypse Now
Un vrombissement inhabituel croissait dans l’air. Une symphonie de bruits bien connue mais disparue depuis le jour du chaos. Un concert de mélodies mécaniques, de rotors, de réacteurs, d’hélices interrompit le jeu macabre du 56ème étage de la Tour Montparnasse. Tous les regards se focalisèrent vers le ciel de Paris. Un essaim de points noirs flottait au loin encerclé par le soleil radieux très bas dans le ciel en cette période d’automne. Ce qui ressemblait à des insectes, commençait à grossir. Leur forme se précisait à mesure de leur progression. C’étaient des aéronefs, des centaines d’engins volants. Des acclamations de joie éclatèrent dans l’assistance. Tous s’approchèrent du bord de l’immeuble. Certains commencèrent à faire des signes avec leur bras levés.
« Enfin, les secours arrivent ! s’exclama un membre du groupe exalté.
A.H. grimaça et se renfonça dans son fauteuil. Cette arrivée inattendue ne l’enchantait pas autant que ses ouailles. L’intervention des forces gouvernementales m’était à mal l’expansion de son royaume.
Les vibrations étaient de plus en plus intenses. Le claquement de mes dents sur le sol étant devenu insupportable, je déployai un effort insurmontable pour soulever ma tête de quelques centimètres seulement. L’accalmie des violences à mon égard, avait soulagée quelque peu mon cerveau. Ma vision avait retrouvé une netteté relativement correcte. J’observais ce balai aérien avec intensité. Je clignai plusieurs fois des paupières pour m’assurer que ce n’était pas un mirage. Non, c’était bien réel. Cette scène aurait pu être accompagnée par la Chevauchée des Walkyries. La flotte d’engins compacte se précisait. Ce qui m’interpella tout d’abord, c’était la composition de cet ensemble hétéroclite. Il devait y avoir une centaine, peut-être deux cents appareils, et ils étaient quasiment tous de modèles différents. C’était un mélange d’hélicoptères gros porteurs ou biplaces, d’avions chasseurs à réacteurs, de bombardiers à hélices. Les autorités avaient surement dû regrouper tous les engins volants qui restaient en état de fonctionnement dans le pays. Trois mois… Plus de trois mois pour organiser cette intervention aérienne de masse. Pourquoi autant de temps ? Pourquoi ne pas avoir envoyé que quelques véhicules de secours tout de suite après la catastrophe. Tout cela n’était pas logique. Était-ce vraiment les secours ? … Ou une force d’invasion ? Cette pensée affola mon esprit. Au prix d’un effort épuisant, je m’étais assis, l’épaule gauche appuyée contre l’UPN salvateur. Je cherchai du regard Marina. Je la repérai rapidement car elle se dirigeait vers moi à quatre pattes. Arrivée près de moi, elle m’enlaça.
« C’est incroyable, ils sont enfin là. Ils viennent nous sauver, s’émut Marina.
— Je… Je ne sais pas.
— Comment ça ? Que veux-tu dire par là ?
— Pas le moment de discuter. Faut se barrer d’ici tant qu’ils ne nous portent plus attention.
Soudain, une explosion déchira l’air. Une gerbe de feu gonfla au creux d’immeubles haussmannien du 8ème arrondissement. Les yeux de l’assemblé se remplir de stupeur.
« Voilà ce que je voulais dire par là !
— Putain, mais qu’est-ce qu’il se passe ?
— Ils ne sont pas là pour nous aider, mais pour nous anéantir !
— Quoi ? Mais pourquoi ? On est déjà complètement anéanti !
Des multitudes de trainées de projection s’échappèrent de sous les ailes des chasseurs ou des tubes lance-missiles d’hélicoptères, pour tapisser la ville de champignons de feu et de poussières. La terreur éclata dans la salle. Tous le monde se regardait, paniqué, s’interrogeant sur la marche à suivre. Des colonnes de fumée et des incendies gigantesques dansaient partout sur la ville. Les explosions s’approchaient dangereusement de la tour.
Marina m’agrippa sous les aisselles pour m’aider à me lever.
« Faut qu’on bouge de là ! hurla-t-elle.
— On fait une des plus belles cibles de Paris.
Nous nous frayons un passage dans la cohue vers la sortie de la salle du trône. Plus personne ne faisait attention l’un à l’autre. Seule la fuite et la survie comptaient. Nous nous fondions dans la foule effrayée. Nous n’étions rien. Plus aucun intérêt portés sur nous. Sauf pour une personne. Irine avait attrapé les cheveux de sa sœur.
« Où tu comptes aller comme ça, salope !
— Ah ! mais lâche-moi conasse !
— Je ne crois pas non, on a un combat à terminer.
— Mais tu vois pas que ça va être un vrai tir aux pigeons d’ici quelques secondes ?
— Rien à foutre !
Marina ne croyait pas si bien dire. Une trainée blanche furtive, un sifflement, et l’impact assourdissant d’un missile percuta et éventra le coin supérieur de la tour. Les parois de bois séparant les pièces furent soufflées et volèrent à travers l’étage, frappant tous les individus se trouvant sur leur passage. Le bâtiment trembla et cilla. Le souffle de l’explosion nous projeta et nous plaqua contre d’autres fuyards eux-mêmes plaqués contre le mur du couloir. Le choc nous avait séparé d’Irine. Il manquait une grosse mèche de cheveux à Marina, surement encore entre les doigts de sa sœur que nous n’apercevions plus. Je pris le visage de Marina entre mes mains et vis dans ses yeux des larmes concoctées par la peur.
« Ça va ! criai-je trop fort pour couvrir mon acouphène.
— Oui… Oui, quittons cet enfer !
Nous étions pris dans un flux d’évacuation que nous ne pouvions pas contrôler comme affluée par le courant d’un torrent. Les mouvements de panique, les coups, les vagues brusques tentaient de nous séparer. Mais Marina me tenait de mains fermes et j’essayai avec les forces qui me restaient dans faire autant. Nous coulions le long du couloir vers le hall de l’ascenseur. Soudain, nous fumes stoppés dans ce courant de corps humains. Le hall de l’ascenseur formait un bouchon. Nous nous écrasions les uns sur les autres. Marina, plus petite que la moyenne, commençait à suffoquer. J’essayai le mieux possible de lui sortir la tête de la mêlée. Dans ce mouvement incontrôlable, nous fumes replaqués contre le mur du hall et percutions une superposition de caisses en bois chargées. Je nous extirpai du flot pour profiter du recoin, de la bulle libre que formait les caisses lourdes empilées contre le mur. Sans solution de progression, nos jambes cédèrent à la fatigue et nous nous asseyons contre les boites en bois. Un peu de répit pour reprendre notre souffle tandis que les nazis s’agglutinaient en masse les uns contre les autres. Des corps tombaient au sol victimes d’étouffement, puis piétinés pour les achever. Les explosions continuaient sans discontinuer faisant trembler la tour. A chacune d’elles, elle semblait s’affaisser.