Ombres nocturnes – Première partie

2 mins
    L’obscurité recouvrait peu à peu le royaume tout entier. Ils n’avaient jamais vu ce genre de nuit, pesante et silencieuse. C’était un voile d’ombres qui tombait et les étouffait, qui semblait apporter la terreur et la sinistre tranquillité des jours maudits. Les habitants se terraient dans leurs demeures, calfeutrant portes et fenêtres, le coeur palpitant de peur, frémissant au moindre son étrange dans ce silence de mort. L’atmosphère était écrasante, malsaine ; ils attendaient l’arrivée de la Mort, qui tirait avec elle ce vélum macabre sur le théâtre de leur effroi. Pas un son ne filtrait des maisons, seul un bruit de pas persistait, toujours plus proche, toujours plus lointain. Rampant à genoux, il s’approcha des planches barricadant les fenêtres, le léger frottement de ses vêtements de lin résonnant comme le glas d’une cloche dans ce monde muet. La nuit se couvrait de ce linceul d’horreur, qui bloquait les étoiles et la lumière salvatrice de la Lune. Plissant les yeux, il jeta un regard par le faible interstice entre les planches, essayant de distinguer cette ombre mouvante, entourée de ces figures d’épouvantes, cauchemars vivants venant les tourmenter. Ils traquaient la moindre faiblesse pour s’emparer de l’esprit des mortels, les suppliciant pour l’éternité, provoquant folies et phobies lancinantes. Ils auréolaient leur Dame de cette brume de noirceur, la soustrayant aux regards éphémères des Hommes.
    Le jeune homme s’aggripa au rebord de la fenêtre. Il voulait la voir, cette Dame d’ombre qui cueillait les âmes la nuit venue. Personne ne savait à quoi elle ressemblait. Les légendes la disait décharnée, vêtue d’une capeline de feutre noir, mais il n’en avait que faire ; il voulait voir cette entité éternelle, porteuse de terreur. Ses souliers de cuir souple crissèrent contre les gravillons couvrant le sol de la grange, résonnant dans la nuit. Il retint son souffle, fixant les ombres mouvantes devant lui, craignant de les attirer dans sa cache. Les doigts moites se cramponnaient au bois, cherchant plus d’espace, avide de cette vision séraphique. La Mort ne pouvait être une apparition méphistophélique, une créature diabolique et repoussante. Elle était la régente de l’équilibre universel. Elle ne pouvait être qu’un ange, un archange, un séraphin même ! aux côtés de quelques divinités que ce soit, régulatrice éternelle de l’harmonie. Elle ne pouvait être qu’une sublime enchanteresse, protégée des regards impies par sa cour cauchemardesque. L’ombre stoppa son avancée, les volutes épaisses du voile se liant et se déliant autour de cette divine reine. On aurait dit que l’univers entier retenait son souffle alors qu’il fixait les spirales de ténèbres s’effiler, révélant cette Dame de brume dans l’obscurité de leur Égide.

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