« Einar! Toujours rien en vue ? cria Värtein au responsable de la vigie.
-Non toujours rien !
Espérons que ça durera comme ça se dit le jeune capitaine. Son second, Eriabos lui demanda :
-Mais pourquoi diable es-tu aussi anxieux ? Ce n’est pas la première fois que nous prenons la mer !
-Je ne sais pas. C’est peut-être ce nouveau navire. Il faut que je m’habitue. J’ai l’impression d’être trop visible, de devenir une cible pour des pirates.
-Värtein, c’est nous les pirates ! Et puis on a le pavillon de la guilde pour les informer qu’on est envoyés par Sivers lui-même. Il n’y a pas à t’en faire. »
Eriabos avait raison. Ils étaient envoyés par le chef suprême des pirates de Sastamey en personne : aucun autre pirate n’oserait les attaquer. En vérité, Värtein ne savait pas exactement pourquoi il était aussi nerveux. Certes, c’était la première fois depuis un âge que des gens du Nord allaient essayer de faire du commerce avec d’autres qu’eux-mêmes. Depuis le déclin de L’Empire et sa guerre contre les rebelles de Valorya, presque plus personne ne se souciait des peuples Barbares du nord de la forêt sombre.
Le but était de se faire passer pour un navire de commerce valoryen pour pouvoir entrer dans le port de Khyrim et ensuite trouver des contrebandiers qui verraient là l’opportunité de vendre des fourrures de rennes, de bisons, de loup blanc, ou de poudre de défense de mammouth pour les alchimistes, ou de liqueur d’aubépine pour les comptoirs des nobles de ces contrées arides. « Un énorme marché pourrait se développer en proposant des articles aussi exotiques » avait ainsi parlé Sivers.
Mais un âge constituait une longue période durant laquelle les peuples du Nord n’avaient pas traversé la Mer Intérieure, aussi des histoires étaient nées sur les périls que pourraient encourir les marins qui essaieraient de la traverser. Des contes qui avaient bercé l’enfance de Värtein. Mais depuis cette époque, des lunes avaient traversé le ciel de part en part, des vagues s’étaient écrasées sur la coque des navires qu’il avait commandés, des lames avaient été émoussées, du sang avait été gâché lors des nombreux abordages qu’il avait menés au nom de la guilde des pirates de Sastamey, la capitale de l’archipel du Siriagom.
Il connaissait Eriabos depuis des années. Il l’avait côtoyé depuis le temps où il n’était que simple pirate, et ils avaient combattu et navigué ensemble, jusqu’au jour où ils avaient abordé ce navire du sud. Les guerriers à son bord n’étaient pas des marins, mais des soldats envoyés pour appâter des pirates et ainsi les massacrer et envoyer un message clair de déclaration de guerre à l’encontre de la guilde de Sastamey. Mais les camarades de Värtein l’avaient remporté au prix de nombreuses vies dont celle du capitaine pirate, et l’équipage restant le désigna comme successeur. Puis il a gagné la confiance du chef de la guilde, et le voilà engagé pour une telle mission.
Il était occupé à faire le point avec le comptable du bateau lorsqu’il entendit Einar hurler :
« Tempête droit devant !!!
-Une tempête ? Que vois-tu ?
-Des nuages ! Mais ils sont étranges, c’est comme s’ils étaient tellement épais qu’ils tombaient dans la mer ! Un mur de brume ! »
L’effroi naquit dans le ventre du capitaine et il se mit à réciter à voix basse :
« Lorsqu’au loin la brume envahit
Le courage des hommes s’évanouit
Alors le monde des Hommes laissé au loin
N’existe plus que dans des rêves anciens
Apparait donc l’Île Secrète
Où toute certitude s’arrête. »
Le chebec se dirigeait droit vers ce monstre de brouillard, impossible de faire demi-tour ! Värtein se précipita dans sa cabine, sur son bureau, chercha en toute hâte son compas, et jeta par terre les cartes de Valorya pour arriver à celle de la Mer Intérieure. « Comment ai-je pu me tromper de cap à ce point bon sang ? » Non ce n’était pas possible. Pas lui. Pour aller de la ville pirate à Khyrim il suffisait de garder un cap de Sud-Sud-Ouest. S’ils étaient bien là où il craignait, ils avaient dû dériver vers l’Est, or il n’avait jamais observé de variation dans le cap du navire !
Il ressortit de sa cabine à toute allure et vit le chebec s’engouffrer dans la brume. Plus personne ne parlait, plus un bruit, même plus de vagues, une mer plate, morte. Ils avançaient. Les yeux écarquillés, regardant de tous côtés. Plus aucun moyen de savoir où allait le chebec. Il osa arracher son regard au brouillard, pour regarder sa boussole qu’il avait toujours dans sa main. L’aiguille tournait sans cesse, en rond. Cette vision fit naître la panique dans l’estomac du jeune capitaine et il en tomba son instrument pour se précipiter vers le bord du bateau pour vomir. Puis Einar cria:
« ATTENTION DEVANT !!! »
Une immense silhouette déchira la brume. C’était la plus grande statue qu’ils aient jamais vue, grande comme une montagne, elle représentait une femme, accroupie, portant une couronne. Le regard de pierre glaça le sang des marins, et son doigt pointé vers le bateau était absolument terrifiant, implacable. Ils passèrent tout près d’elle, sans un bruit, sans un murmure.
A quelques lieues d’eux ils devinèrent des monts, des forêts de sapins, et une énorme montagne. Mais toujours aucun son, pas une mouette, pas un bruit, d’origine humaine ou non. Ils virent ce qui ressemblait à un port, mais aucune agitation, aucun bateau amarré. Ils décidèrent de jeter l’encre. Après plusieurs minutes sans parler ni bouger, les marins tournèrent leurs regards vers Värtein.
Il se rappela ses rêves d’enfant, il n’avait pas toujours voulu être pirate. Il rêvait surtout de naviguer, de faire de cette mer sa demeure. « Né de la mer, j’en deviendrai le maître. » Donc il prit la seule décision possible dans ce cas :
« Mettez les canots à flot. Nous allons essayer d’identifier cet endroit.
-Värtein…
-Ecoute-moi Eriabos, je ne sais pourquoi, mais je sens que nous devons poser le pied sur ces rives. Je ne peux pas faire demi-tour. Fais-moi confiance comme tu l’as toujours fait, mon ami. »
Et ils mirent les canots à l’eau, arrivèrent sur la plage de galets gris. Ils allumèrent des torches pour voir plus loin, essayer de contrer cette brume.
« Ça ne servira à rien. »
Ils se tournèrent rapidement vers la voix féminine en tirant leurs sabres, fous de panique. La voix était pourtant posée, froide, calme. Et une femme, dans un accoutrement d’un autre temps, d’une beauté inconnue de par le monde, se tenait devant eux. Impassible.
« Tu es Värtein Fils-de-Sel. Ton destin était d’accoster sur cette plage. Je suis Hubicana, et je serai ta reine. Cet endroit est ton royaume à présent. Tu ne pourras plus le quitter. Ce lieu est hors du temps, tu es désormais immortel, comme tous tes hommes qui ont posé le pied sur cette terre. Ton destin est de reigner sur cette île, ton royaume, jusqu’à la fin des temps. »
Värtein, choqué sans être triste se rappela une dernière fois ses rêves d’enfant, sans nostalgie aucune. Il sût alors qu’il avait dû vivre cette première vie pour le guider vers celle qui l’attendait sur cette terre, hors du monde, son royaume au-delà de la mer.
Je ne suis pas une grande fan de ce genre de texte mais je dois reconnaître qu’il est bien écrit.
Merci et bonne continuation
Merci beaucoup @Marie Mahé ça fait plaisir !
Bonjour Moska 🙂 Je vois dans ta biographie que tu t’es mis depuis peu à l’écriture. Eh bien, tu as bien fait 🙂 Première fois que je lis une histoire de pirate et tu as su capté mon attention. On se laisse embarquer, on reste le souffle suspendu à l’approche de l’île, comme si nous-même ne devions pas faire de bruit pour ne pas être repéré. Je ne connais pas cet univers mais les mots que tu as choisi ont l’air précis, ça sonne très vrai, c’est captivant. Quelques traits physiques des deux personnages principaux (sans en faire trop, juste pour donner une idée) seraient pour moi bienvenus et aussi, s’il y a plusieurs types de navires, quelques détails sur ce qu’est un chebec (pourquoi avoir choisi un chebec et pas un autre (j’y connais rien en bateau, donc ma remarque est peut-être stupide ^^) mais c’est déjà un texte très sympa. Et juste attention, tu as laissé quelques coquilles je crois. Bonne continuation.
@Isabelle M. Day
Merci beaucoup pour ton retour! Un chebec, ça ressemble à l’image que j’ai choisie pour illustrer ce texte, si ça peut t’aider… En tout cas ton message me fait très plaisir! 😉