Le départ

10 mins

 Lyle était allongé sur son lit, son regard bleu perçant fixait l’écran de sa petite télévision, depuis plusieurs heures déjà.

Les images s’embrouillaient : une voiture en train d’exploser en mille morceaux, succédait à un extrait de film à l’eau de rose, dans lequel une femme embrassait fougueusement son amant, puis le baiser passionné laissait place à un documentaire, sur un alligator guettant sa proie, et ainsi de suite.

Lyle clignait des yeux, il était en train de se laisser glisser tout doucement dans le sommeil, soudain, il se réveilla brusquement en entendant un cri d’effroi, provenant de la télévision.

Agacé, l’homme brandit la télécommande et éteignit le poste télé, en appuyant d’un coup sec.

Lyle se recroquevilla en position foetale.

Il prit ses genoux dans ses bras, mais c’était inconfortable, il ne tint pas longtemps.

Impossible de trouver le sommeil, son esprit refusaient de lui accorder le repos.

L’homme tendit paresseusement le bras et le plongea dans le paquet de pop-corn à côté de lui.

Il porta les morceaux sucrés à sa bouche, puis se ravisa, et laissa tomber les morceaux caramélisés sur son visage, comme s’il s’agissait de confettis.

Un sourire triste naquit sur son visage.

Cela faisait plusieurs mois qu’il était particulièrement instable.

En six mois, Lyle avait changé sept fois de travail, mais rien ne parvenait à apaiser ou satisfaire son cœur.

L’homme se trouvait dans une impasse, il le sentait instinctivement.

Lyle cacha son visage entre ses mains, non, il ne voulait pas céder à la mélancolie, vite il fallait d’autres pensées, mais rien ne venait.

L’homme se redressa mollement et regarda autour de lui. Son lit était en désordre et sale, des morceaux de pop-corn étaient éparpillés sur la couverture rouge.

Lyle renifla en grimaçant, il puait la sueur, et ses cheveux courts et roux étaient gras.

Pourquoi se laissait-il aller à ce point ?

Lyle fut tiré de sa torpeur, lorsqu’il entendit une sorte de tintement, l’ampoule située au-dessus de son lit clignota faiblement, puis cessa brutalement d’éclairer la pièce.

– Il ne manquait plus que ça, soupira l’homme en se massant la joue.

Lyle remit ses lunettes, et se leva pour appuyer sur l’interrupteur près de la porte d’entrée, mais ce dernier ne répondit pas.

Il s’agissait donc d’une coupure de courant. Ce studio était minable, Lyle ne put s’empêcher de donner un coup de pied dans le mur.

L’homme s’adossa au mur, et ferma les yeux.

Il sentit une fine brise près de son visage, comme un souffle frais.

Lyle fronça les sourcils, il avait pourtant fermé la fenêtre en fin d’après-midi.

L’homme rouvrit les yeux, et distingua un léger mouvement suspect dans ses rideaux.

Lyle s’approcha prudemment, et tira sur le velours. Rien.

Lyle se retourna, et à sa grande stupéfaction, le visage spectral et flottant d’une femme aux longs cheveux fonça droit sur lui, l’homme sentit ses jambes défaillir et tomba au sol, inconscient.

Dans une petite clairière, un petit garçon aux cheveux roux avait confectionné une étonnante couronne de fleurs et de branches. Il était très fier de sa création, la jeune femme qui se tenait en face de lui, s’abaissa à sa hauteur, un sourire chaleureux éclairait son visage. Ses longs cheveux noirs tombaient sur son visage.

L’enfant déposa délicatement la couronne sur le front de la femme.

– Merci Lyle, elle est très jolie.

– Maintenant, tu es une reine Téa ! La reine des étangs ! déclara le petit garçon.

La jeune femme ne répondit pas et s’assit sur un rocher. Elle trempa ses pieds dans l’eau, et regarda distraitement l’horizon.

Le petit rouquin était dorénavant occupé à attraper des têtards.

La jeune femme se mordit les lèvres puis murmura : «  est-ce qu’il t’arrive encore de penser à tes parents ? »

L’enfant secoua la tête.

– Non, pas besoin d’eux dit-il.

La femme émit un petit rire, puis reprit : «  un jour quand tu seras grand Lyle, toi aussi tu devras trouver quelqu’un, cette personne t’appartiendra. Et tu devras façonner cette personne à ton image, selon tes désirs. Mais tu devras la protéger aussi, c’est ça l’amour, tu comprends ? »

L’enfant se figea et réfléchit.

– Tu veux dire…que je devrai faire comme toi ? Prendre un enfant au hasard ? murmura le garçon.

– Je ne t’ai pas choisi par hasard Lyle, mais tu pourras procéder ainsi si tu le souhaites, répondit la jeune femme sur un ton énigmatique.

L’enfant haussa les épaules en souriant. Il sentit une lumière aveuglante embrouiller sa vision, il disparu lentement.

Lorsque Lyle revint à lui, ses membres étaient engourdis. Que s’était-il donc passé ? C’est comme si, son esprit avait voyagé dans le temps, c’était une expérience indescriptible.

Le nom de Téa lui revint en mémoire, il pouvait entendre la voix douce et féminine de sa mère adoptive.

Téa, Téa, Téa…

Cette femme aussi belle que mystérieuse, qui l’avait arraché aux siens quand il avait à peine quatre ans. Lyle n’avait pratiquement aucun souvenir de l’enlèvement, sa mémoire avait effacé ce moment sans doute douloureux, mais après ce événement, il n’avait vécu que de belles choses avec Téa.

La jeune femme lui avait transmis tout son savoir sur la nature et ils avaient beaucoup voyagé.

Ils ne s’étaient jamais séparés.

Mais un jour, Téa fut emportée par la maladie, et Lyle dû se résigner à retourner à la civilisation et trouver du travail, afin de survivre.

Lyle sentit des larmes couler toutes seules sur ses joues, un tourbillon de souvenirs lui revenait en pleine face, c’en était presque insupportable.

L’homme se gifla mentalement.

Reprends-toi ! Cette mascarade dure depuis trop longtemps, il faut agir maintenant. Téa t’a transmis un message, il est temps d’aller de l’avant. Si tu n’agis pas, autant mourir sur-le-champ.

L’essentiel est de perpétuer le cycle, disait souvent la jeune femme.

Lyle frotta vigoureusement ses paupières, son estomac gargouilla, il se sentait si vide à l’intérieur, si affamé tout à coup.

L’homme rampa jusqu’à son frigidaire, il ouvrit la porte en grand, puis en sortit un poulet frais.

Sans réfléchir, Lyle plongea ses dents dans la chair tendre de la volaille.

Maintenant, il se sentait vorace, ses forces revenaient progressivement, son esprit semblait animé par une nouvelle forme de détermination.

Après son étrange repas, Lyle se déshabilla rapidement et se précipita dans la douche.

L’eau coulait partout sur son corps, ses cheveux courts tombèrent juste devant ses yeux, il laissa faire.

Lyle régla la pression au maximum, puis actionna l’eau froide.

Il s’appuya contre le mur avec les deux mains, ses muscles dorsaux étaient en train de se contracter. L’homme frissonna plusieurs fois, mais ce n’était pas désagréable au final.

C’était comme une purification, du moins il ressentait les choses ainsi.

Ses nerfs étaient à vif, il avait la sensation que rien ne pourrait l’arrêter, un sourire carnassier naquit sur ses lèvres.

Enfin, il avait un projet.

Lyle s’habilla entièrement en noir, s’il voulait accomplir sa mission il ne devait surtout pas attirer l’attention.

Il lécha la paume de ses mains, et ramena ses cheveux roux en arrière, un dernier regard dans le miroir, puis il sortit du studio avec un sac de voyage.

Il ne reviendrait plus jamais ici, c’était décidé.

Prochaine destination : le Nomi’s motel.

Lyle démarra le moteur, il n’en aurait que pour vingt minutes de trajet, il connaissait bien l’endroit et les alentours.

La route consistait en une ligne droite qui semblait interminable, la nuit était tombée, mais Lyle était bel et bien éveillé, poussé par une force extérieure à lui-même.

Son regard avait changé aussi, il était aussi fixe que tranchant, glacial.

Le Nomi’s était en partie occupé par des familles d’immigrés, il y avait pas mal d’enfants dans les parages.

Souvent, les gamins jouaient encore sur le parking du motel, à proximité de la piscine où traînaient les parents.

Ce soir, Lyle repartirait avec l’un de ces enfants.

Un garçon ? Une fille ? Il ne le savait pas encore.

Lyle gara son véhicule en périphérie du motel, à proximité du désert. Il attendit un moment en silence, écoutant le bruit de sa respiration.

Il porta la main à son cœur, le rythme s’accélérait de plus en plus. Il pouvait littéralement sentir le sang pulser à l’intérieur.

Une goutte de sueur descendit en ligne droite le long de son visage.

Lyle serra le volant de ses deux mains, il était en train de réaliser la gravité de la situation.

Au début, l’adrénaline mêlée à l’excitation lui avaient donné des ailes, mais la peur et les remords commençaient à gagner du terrain, au fond de sa conscience.

Tu es un monstre, monstre, monstre…

– Lyle, je ne serai pas éternelle tu sais, souffla la douce voix de Téa dans son oreille.

– Ce n’est pas réel…bafouilla l’homme.

Pourtant, il distinguait nettement le visage familier de Téa, dans le rétroviseur intérieur.

– Tu peux y arriver, dit la jeune femme.

Elle arborait encore et toujours, ce même sourire étrange.

Lyle voulut se retourner vers elle, mais trop tard, l’évanescente Téa avait déjà disparu.

Elle me fait confiance, je ne dois pas la décevoir. Après tout, ces enfants n’ont aucun avenir ici, je vais en sauver un, oui c’est cela, je vais en délivrer un de cet endroit maudit.

Cette idée réconforta Lyle, il sentit ses muscles se détendrent.

Il devait se montrer à la hauteur, elle avait toujours cru en lui.

Il fallait rester déterminé et impénétrable, tout se passerait bien.

Lyle sortit de la voiture, et se dirigea vers le motel entouré de palmiers, l’enseigne aux couleurs vives clignotait par intermittence.

L’homme s’engagea dans la cour principale, et observa la piscine d’un air pensif.

Un homme nageait tranquillement et deux jeunes femmes en bikini se tenaient au bord, un cocktail à la main, elles gloussaient.

Lyle repéra deux enfants en train de jouer à la course dans les escaliers, ils étaient trop bruyants et rapides.

Il fallait chercher ailleurs.

Lyle contourna le motel et passa devant l’accueil sans prêter plus d’attention.

Un peu plus loin, il aperçut trois petites silhouettes près d’une sorte de manège.

C’étaient trois enfants. Au début ils restèrent groupés, puis deux d’entre eux partirent en courant  en riant, le dernier qui portait un t-shirt rouge, resta debout, les mains plaqués sur son visage.

– 35, 34, 33, 32, 31…compta l’enfant.

C’était une partie de cache cache !

Lyle scruta les environs, et se décida à approcher le garçon quand soudain il entendit une voix masculine derrière lui, l’apostropher : «  hé ! Qui êtes-vous ? vous êtes perdu ? »

Lyle jura intérieurement, il se retourna et reconnut le gardien du motel, la moitié de son visage était éclairé.

Lyle l’avait vu quelques fois dans le coin et en ville, en train de décharger des paquets de nourritures.

C’était un homme grand et sec, pas le genre à se laisser impressionner.

De son côté Lyle était pris au dépourvu.

Il ne répondit pas au gardien, et se dirigea vers un lampadaire à quelques mètres. Il fallait qu’il réfléchisse un instant, qu’il prenne de la distance.

Mais le gardien le suivit et reprit de nouveau ; «  je vous ai posé une question ! Qui êtes-vous, que faites-vous ici ? »

Lyle fit glisser discrètement son cran d’arrêt de la manche de sa chemise, jusque dans la paume de sa main droite. Il regarda furtivement sur le côté, le gamin était loin et semblait ignorer la situation, trop occupé à chercher ses petits camarades.

Lyle croisa le regard du gardien, mais ne se laissa pas démonter.

L’homme en face recula légèrement, lorsque Lyle se dirigea droit sur lui d’un pas décidé. Le gardien n’eut pas le temps de réagir, Lyle l’empoigna par le cou, puis le poignarda à plusieurs reprises en le fixant de ses yeux froids.

Lyle put lire une palette d’émotions dans le regard troublé du gardien : surprise, peur, douleur, incompréhension et enfin l’effroi.

– Monsieur…qu’est-ce que…balbutia l’homme avec peine, en découvrant avec horreur ses plaies.

L’homme tomba raide mort sur le béton, Lyle resta debout, la mâchoire serrée et respira bruyamment.

Il l’avait fait, il avait tué un homme.

Lyle se sentait étrange :  choqué et en même temps puissant.

Une énergie galvanisante s’emparait de son corps.

Cet acte prouvait que sa détermination était inébranlable.

Il observa avec curiosité sa lame ensanglantée.

Lyle sortit un mouchoir en tissu et nettoya son arme lentement, comme s’ il était dans un état second, que rien de tout cela n’était réel.

Quand tout le sang fut retiré, il se pencha sur le cadavre du gardien, et imita sa voix quelques instants plus tôt, en bégayant de manière moqueuse :

«  mon…monsieur…qu’est-ce que…» ?

Lyle se retourna et faillit sursauter, lorsqu’il vit le garçon au t-shirt rouge à moins d’un mètre de lui. L’enfant était tétanisé, peut-être ne comprenait-il pas la gravité de la situation, est-ce que le gardien est vraiment mort ? semblait dire son regard inquiet.

Lyle rangea son arme, et adressa un sourire qui se voulait rassurant, mais l’enfant n’était pas dupe. Il recula en tremblant.

Lyle comprit que sa seule chance était de profiter de l’état de confusion du gamin, mais quelque chose au fond de lui, le paralysait.

Trop tard pour les remords, tu es déjà allé trop loin.

Lyle tendit une main amicale vers l’enfant et murmura d’une voix douce : «  fais moi confiance, viens avec moi, d’accord? ».

Le gamin roula des yeux et s’apprêta à courir, mais Lyle fut plus rapide, il plaqua un mouchoir de chloroforme sur le visage de l’enfant qui cessa rapidement de se débattre.

Toutefois, les deux compagnons de jeu du garçon se mirent à hurler au loin.

Ils avaient vu toute la scène et maintenant ils couraient vers la piscine du motel, afin d’alerter les adultes.

Lyle prit l’enfant dans ses bras, mais il était plus lourd que prévu.

Plongé dans l’inconscience, son corps était comme un poids mort.

Mais Lyle  parvint à le soulever, il le maintint contre lui avec une main sur la nuque.

Il courut le plus rapidement possible, sans se retourner.

Derrière lui, il entendit des cris aigus, des voix de femmes : «  Charlie ! Charlie ! Revenez ! »

Mais Lyle ne céda pas aux appels désespérés.

Sa vision commençait à sérieusement se brouiller, la lumière agressive des lampadaires lui donnaient mal au crâne.

Lyle arriva enfin au niveau de la voiture, il ouvrit la porte côté passager à la hâte et installa l’enfant inconscient, lui passa la ceinture de sécurité, puis se précipita dans le véhicule à son tour.

Une jeune femme en maillot de bain, vraisemblablement la mère de l’enfant croisa son regard froid comme l’acier.

Pendant une fraction de seconde, Lyle et elle se fixèrent, son regard implorait, une larme unique coula lorsqu’elle comprit que Lyle démarrait le moteur et s’apprêtait à foncer droit sur elle.

La jeune femme se retira in extremis sur le côté, Lyle rejoignit l’autoroute en vitesse.

L’homme sentit tout son corps parcouru de frissons et de picotements, il se mit à rire, d’un rire dément, mais bientôt, il plaqua une main contre sa bouche et fondit en sanglots.

Lyle s’efforça de contrôler sa respiration, en prenant de profondes inspirations, mais une fois sur deux, un rire nerveux le secouait de spasmes. C’est à ce moment précis, qu’il sut qu’il avait perdu la raison.

Une voix douce lui parvint lointainement dans son esprit : « tu as fais ce que tu devais faire, tu as réussi. Réjouis-toi. C’est ton nouveau départ. »

Lyle hoqueta, et jeta un coup d’oeil au rétroviseur intérieur.

L’homme émit un rictus étrange : une sorte de sourire désespéré, le visage spectral de Téa était visible. Elle lui adressait une expression énigmatique bien à elle, entre mystères et tendresse.

– Tu es de mon côté, hein ? Quoiqu’il arrive ? balbutia Lyle au fantôme.

Elle ne répondit pas, et tourna son regard vers l’enfant.

– Je vais bien m’occuper de lui Téa tu sais.

Comme tu t’es si bien occupé de moi, je te le promets, reprit Lyle d’un ton plus assuré.

La femme ne répondit pas.

Le voyage ne faisait que commencer, pour la première fois depuis la mort de Téa, Lyle sentit un nouvel horizon de possibilités s’ouvrir à lui.

Malgré le choc et les actes violents de cette nuit, il sentait qu’il avait pris la bonne décision, cet enfant, Charlie, était ce qu’il manquait à sa vie.

Lyle caressa la nuque de l’enfant et murmura : «  tu es à moi Charlie, tu deviendras quelqu’un d’important, j’y veillerai. »

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2 Commentaires
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Marie Dessables
4 années il y a

Merci pour ce texte poignant ! On n’a pas d’autre choix que de le lire jusqu’au bout.
Juste une petite coquille : " tu es déjà allé trop loin ".

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