Dans la maison

8 mins

 

Cela faisait bientôt deux heures et demi que Tasya roulait dans la campagne.

La jeune femme commençait sérieusement à sentir la fatigue la gagner, elle ne cessait de cligner des yeux et ses paupières étaient lourdes.

Le soleil était si brûlant que le ciel était orangé, traversé par de fines lignes blanches et lumineuses.

Tasya jeta un coup d’oeil au tableau de bord qui indiquait : 15H44.

La jeune femme devait se rendre chez des amis pour le week-ends. Ils vivaient dans un village plus loin près des collines et avant de pouvoir y accéder, il fallait traverser une longue route en ligne droite, qui semblait interminable.

Tasya décida de prendre une pause au bout de deux heures de conduite, elle se sentait trop fatiguée pour continuer et s’empressa de se garer sur un terrain vague. 

Elle fouilla machinalement dans son sac à dos, et en sortit une grande bouteille d’eau.

L’eau n’était plus vraiment fraîche, mais Tasya s’en moquait, ce serait suffisant pour qu’elle reprenne des forces.

Tout son corps était engourdi, et ses vêtements lui semblaient trempés de sueur. 

Si elle avait pu, elle aurait pris une douche sur le champ, la chaleur était terrible dans cette région.

Tasya sortit de la voiture en s’étirant et se dégourdit les jambes.

Il y avait un orme imposant face .

La jeune femme se dirigea vers l’arbre et s’allongea sous le tronc, une micro-sieste ne lui ferait pas de mal, c’était le seul endroit un peu ombragé.

Sans doute était-ce dû à la fatigue et à la pénibilité du trajet, Tasya s’endormit rapidement.

Au bout d’un moment, la jeune femme s’éveilla au son d’une musique étrange, elle était quasiment certaine de percevoir une voix douce et enfantine au loin.

La jeune femme se redressa lentement et tendit l’oreille, non elle ne rêvait pas.

Il y avait quelque chose d’à la fois enchanteur et inquiétant dans cette musique, comme si les voix et les sonorités venaient d’un autre temps.

Tasya inspira profondément et expira, elle se sentait plus relaxée, prête à reprendre la route.

Il n’y avait que la campagne à perte de vue tout autour d’elle.

Alors que la jeune femme s’apprêtait à rejoindre son véhicule, la musique sembla redoubler de volume un court instant.

C’était si étrange, comme s’il s’agissait d’un choeur d’enfants, qui l’appelait au loin.

La jeune femme décida de trouver d’où exactement provenait la musique, ensuite, elle reprendrait la route.

Tasya marcha sous le soleil brûlant pendant une dizaine de minutes, ce n’était pas agréable, mais elle se rapprochait de la source d’où provenait le chant hypnotisant.

La jeune femme passa une main devant son front, il y avait au loin, une maison de style victorien entourée de quelques arbres.

Tasya poursuivit sa route, et emprunta le sentier, qui menait jusqu’à l’entrée de la demeure, qui était plus imposante que ce qu’elle avait envisagé.

Soudain, l’étrange chant se mit à grésiller, avant de s’arrêter brusquement, ce qui fit légèrement sursauter Tasya.

A droite de l’entrée, il y avait une modeste table en bois sur laquelle était posé un phonographe.

Tasya s’approcha doucement et fixa le disque qui continuait de tournoyer dans la machine, sans émettre le moindre son.  

La jeune femme haussa les épaules, puis se rendit compte que la porte d’entrée de la maison était entrouverte.

Au fond d’elle, Tasya savait qu’elle devait simplement rebrousser chemin, mais la curiosité l’envahissait. D’abord cette musique qui semblait venir d’un rêve, et maintenant cette maison isolée, à la fois imposante et mystérieuse. L’envie d’y entrer, rien que pour jeter un coup d’oeil était tentante.

Mais tu es complètement folle ma pauvre fille ! Tu cherches les ennuis, lui criait sa conscience.

Néanmoins, cet endroit attirait la jeune femme comme un aimant.

Dans la vie, Tasya n’était pas particulièrement téméraire, mais pour une fois, elle était bien décidée à faire fi de ses inquiétudes, et à aller au bout de son intuition.

Après avoir tergiversé avec sa conscience, elle pénétra dans la maison.

Tasya poussa très délicatement la porte qui ne grinça quasiment pas.

Il n’y avait pas un bruit, tout était calme, trop calme ?

Tasya avança, les murs étaient poussiéreux, et le papier peint, à moitié déchiré par endroits était d’un mauvais goût exceptionnel : un vert pâle, recouvert de motifs floraux foncés.

Plus surprenant, des dessins d’enfants très colorés étaient accrochés aux murs ici et là.

Si une famille vit dans cet endroit, je les plains, songea la jeune femme.

Elle regarda autour d’elle, puis emprunta l’escalier principal, à pas de loup.

Il y avait des plumes et des résidus de poussières sur la plupart des marches.

Tasya appuya une main contre le mur, il en était également recouvert d’une fine couche, quasi transparente.

La jeune femme arriva au second étage, qui consistait en un couloir, deux chambres se trouvaient au bout.

Tasya s’approcha doucement, les portes des chambres étaient ouvertes.

L’intérieur des deux pièces étaient sinistre.

Elles étaient relativement vides.

Dans la première chambre, il n’y avait qu’une boîte à outils et un paquet de feuilles.

Dans la seconde, quelques boîtes en cartons étaient entassées, une vieille chaise en bois légèrement ornementée, sur laquelle était posée une sorte de jouet usé par le temps, représentant une sorte de Pierrot le clown avec un bonnet à grelots et un pyjama à rayures, à moitié défiguré. 

Au pied de l’étrange personnage, plusieurs feuilles étaient entassées ainsi que des morceaux de craies de part et d’autres.

Pourtant il n’ y a pas d’enfants…

Tasya frissonna. Cet endroit était à l’abandon et empestait le renfermé. Elle avait eu tort de s’aventurer ici, même pour satisfaire sa curiosité. Il valait mieux partir sans tarder.

La jeune femme retourna dans le couloir et tendit l’oreille, au cas où quelqu’un ferait irruption.

Elle commença à avoir la nausée.

Tasya descendit les escaliers avec une extrême précaution. Son cœur s’emballa, mais à son grand soulagement une fois arrivée en bas, la porte d’entrée était toujours ouverte, comme elle l’avait laissé.

Mais au moment de partir, le sang de la jeune femme se glaça en apercevant une silhouette assez imposante se diriger vers l’entrée.

Tasya sentit son cœur faire des bonds dans sa cage thoracique, elle décida de se faufiler dans la pièce à droite, qu’elle n’avait pas encore découverte.

Elle se trouvait dans un petit salon tout aussi froid et inhospitalier que les pièces précédentes.

A la différences des chambres vides, le salon était rempli de toutes sortes d’éléments entassés les uns sur les autres : de grandes feuilles à moitié déchiquetés, des bouts de bois, des fragments de meubles et des vieilles paires de savates.

Tasya jeta des coups d’oeil apeurés, il n’y avait nulle part où se cacher.

La porte était entrain de s’ouvrir, c’était trop tard.

– Mais… ? fit une voix masculine.

Tasya n’osa pas se retourner, elle était incapable de formuler le moindre son et encore moins de justifier sa présence.

Elle sentit son ventre se tordre de douleurs, lorsqu’une main poussiéreuse lui attrapa l’épaule pour la forcer à se retourner.

Tasya se laissa faire, son regard était vitreux, elle ne s’était jamais sentie aussi gênée de toute sa vie.

Elle dû redoubler d’efforts pour ne pas reculer face à l’individu qui se tenait en face d’elle.

C’était un homme d’environ 1m80, vêtu seulement d’un caleçon, son ventre et son torse étaient partiellement couverts d’une espèce de poussière verdâtre. Mais le pire était son visage enfariné, comme si il avait tenté de se maquiller, ses cheveux courts et châtains étaient sales, recouverts d’un étrange couvre-chef fait en aluminium.

Son regard était gris et froid, comme s’il n’avait pas d’émotion, et il fixait la jeune femme sans ciller.

Il avait l’air complètement déséquilibré.

Si j’avais su…Je n’aurai jamais dû venir ici, pensa Tasya avec angoisse.

– Pourquoi vous êtes là ? dit-il en la pointant du doigt.

Tasya déglutit avec difficulté, comment fallait-il réagir ? S’efforcer d’avoir l’air normal ? Ou bien se mettre à crier et fuir ?

Elle ne choisit aucune de ces deux options.

– Je…Je…Excusez-moi, mais… J’ai failli faire un malaise dehors, le soleil est si brûlant aujourd’hui, bredouilla t-elle, avant de reprendre : «  c’est pour cette raison que je me suis permise d’entrer ».

Le regard de l’homme sembla s’adoucir.

– Oh oui c’est sûr. C’est vrai que vous êtes pâle, ne bougez pas, je vous apporte un verre d’eau.

– Oh non ce n’est pas la p… murmura la jeune femme, mais l’homme lui apporta rapidement un vieux mug rempli d’eau à ras bord.

La jeune femme lui sourit en guise de remerciement, mais sentit un haut le cœur lui remonter dans la gorge, le récipient était à peine propre et sentait l’essence.

L’ homme remarqua aussitôt l’embarras sur son visage.

– Oui je sais, c’est pas neuf ici, mais…l’eau n’est pas empoisonnée, je vous l’assure ! dit il en riant, révélant un sourire constitué de plusieurs fausses dents en or.

– Merci…

Le silence retomba. Tasya ne parvenait pas à relancer le dialogue.

Elle était terrorisée, cet homme semblait complètement imprévisible.

– Je vous gêne c’est ça, dit-il d’un coup, avec une pointe d’ agacement.

Tasya failli cracher son breuvage.

– Non…pas du tout.

– Si je le vois bien, vous savez il n’y a que moi et mon fils ici, alors on vit «  comme ça », de manière décontracté. Enfin bref, faut pas vous sentir gênée, on est natures ici, c’est tout.

– Je comprends. Vous avez un fils alors ? dit Tasya en feignant l’ignorance et en espérant que si elle allait dans son sens, elle pourrait rapidement déguerpir.

Le regard et le visage de l’homme s’illuminèrent aussitôt.

– Oh oui, mon petit Léo, c’est un sacré chenapan, et talentueux en plus. Oh ! vous avez sûrement vu ses œuvres à l’entrée ? dit l’homme sur un ton enjoué.

– Un peu, c’est très coloré, répliqua Tasya avec un sourire forcé.

– Oui, oui il dessine toujours avec les deux mains simultanément, c’est dingue, non ?

Je vais vous montrer, je vous jure c’est qu’un gamin, mais ça vaut le détour. Moi, je pourrai rester des heures à les contempler.

Sans crier gare, il attrapa brusquement le bras de Tasya et l’emmena à l’entrée, pour lui montrer les dessins de son fils.

Tasya s’obligea à regarder les bariolages avec attention, pour ne pas vexer son hôte.

Les yeux gris de l’homme semblaient étinceler d’admiration, son sourire était immense, plein de fierté.

– Vous voyez toutes ces lignes qui s’entrelacent, c’est comme si il retranscrivait des sortes de…de messages codés, des signes venant d’ailleurs. Enfin, je m’emballe sûrement, mais c’est beau, non ?

– Oui, j’imagine qu’on peut les interpréter de différentes manières. Mais…où est votre fils ?

L’homme se tourna complètement vers Tasya et la considéra quelques secondes sans rien dire, puis son visage enfariné se tordit dans un rictus sardonique.

Tasya recula légèrement, visiblement elle avait commis un faux pas.

Les yeux de l’homme s’embuèrent de larmes, et il murmura en tremblant de tous ses membres : «  il y a des gens qui ont raconté un tas d’horreurs sur moi. Comme quoi je ne m’occupais pas bien de Léo.

Je vous jure qu’ils mentent. Léo est…atypique, c’est tout. Il reste tout le temps dans sa chambre, et il crée vous voyez. Il vit dans sa bulle, et cela nous convient très bien comme ça, à nous deux.

En entendant ces mots, tout devint clair dans l’esprit de Tasya.

Cet homme était irrémédiablement fou, il n’avait pas de fils. Ou alors…le jouet étrange qu’elle avait vu dans la chambre au fond du couloir lui servait de fils de substitution, cela expliquerait la présence des feuilles en pagailles et des crayons au sol…Tout cela était extrêmement perturbant.

La jeune femme rassembla tout son courage et s’approcha doucement dans l’homme : «  je vous crois, je suis sûre que votre fils est heureux ».

Il ne répondit pas, mais se laissa faire, quand la main de Tasya effleura la sienne en signe de paix.

Ils restèrent un moment l’un en face de l’autre immobiles sans dire un mot.

Puis Tasya dit doucement : «  je dois vraiment m’en aller maintenant ».

L’homme soupira, puis dit entre ses dents : «  oui, vous devriez ».

La jeune femme ne le quitta pas des yeux, craignant une réaction imprévisible et sortit lentement de la maison en rabattant la porte derrière elle.

Tasya retint sa respiration jusqu’à ce qu’elle traverse complètement le sentier, puis s’arrêta et se retourna une dernière fois sur la mystérieuse maison. Des pensées confuses et contradictoires se bousculaient dans sa tête. Est-ce que cet homme était réellement dangereux ? Fallait-il le laisser seul, dans sa maison au milieu du désert, avec son «  fils » ?

Elle l’imagina, en train de bercer l’espèce de clown dans ses bras, et s’émerveiller en traversant les couloirs de la maison, en s’arrêtant devant chacune des créations de ce dernier.

C’était une pensée à la fois triste et réconfortante.

Tasya repartit avec ses questions sans réponse.

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8 Commentaires
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Gaëlle Galindo
3 années il y a

Ca laisse beaucoup de place à mon imagination.

Il y aura une suite ?

Curly Mc Hado
3 années il y a

L’atmosphère de ton texte est si lourde et stressante qu’on pourrait ressentir l’angoisse du personnage. Très réussi !

Priscille Vanessa OFAKEM
3 années il y a

J’ai eu des frissons, cette femme est folle.

Équipe WikiPen
Administrateur
3 années il y a

Hello Nocta,
Le Pen est pris en compte pour le concours !

Ever Liliac
3 années il y a

Comme promis je suis venu lire et j’ai liké car j’ai bien accroché. C’est bien ecrit et on se laisse emporter dans l’histoire. Par contre je n’ai pas retrouvé le mot obligatoires « savates » dans ton texte ? Ou bien je l’ai zappé car j’ai bien relevé les deux autres. Je vais pour le moment lire toutes les petites histoires pour le concours car le temps est compté, puis j’irai lire vos recits personnels pour decouvrir vos univers, ce qui a mon sens sera bien plus intéressant ???? a bientôt

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