Daven était à bout de force et désorienté, lorsqu’il parvint à atteindre l’entrée du village d’ Emanday.
L’homme tenait à peine sur ses jambes, chaque pas lui demandait un effort considérable, son long manteau foncé était déchiré par endroits, sa chemise était sale et sentait la terre, et ses cheveux châtains étaient hirsutes, il avait l’air d’un sauvage.
Emanday avait la réputation d’un village fantôme car il était situé aux sommets des montagnes et était donc difficilement accessible. Certains pensaient qu’il n’y avait tout simplement plus d’habitant, après tout, comment le village pourrait survivre sans aides extérieures ?
Pourtant, Daven allait bientôt avoir l’occasion de démentir ces rumeurs.
Il avait marché et escaladé la vallée durant quatre jours, et s’était à peine nourri pendant tout ce temps. Que s’était-il passé ? Daven n’avait pas la réponse à cette question, il s’était réveillé un matin en pleine forêt sous la pluie battante, sans repère ni souvenir. L’homme avait entrepris un périple dans l’espoir de trouver une ville proche ou des gens susceptibles de l’aider, mais plus il avançait plus il se perdait dans les méandres de la forêt.
Le troisième jour, il avait quasiment perdu tout espoir de trouver qui que ce soit, mais il avait courageusement poursuivi sa route, et avait entrepris une lente et pénible ascension dans les hauteurs de la vallée environnante.
Le quatrième jour au matin, il avait aperçu de la fumée, provenant des dernières hauteurs, bien qu’il soit affaibli, l’espoir de trouver des gens lui avait suffisamment donné d’énergie pour continuer.
Daven y était enfin, devant le portail du village d’ Emanday, l’homme leva brièvement les yeux, et vit une petite cabane en bois qui flottait à quelques mètres au-dessus de l’extrémité droite du portail. Daven secoua la tête, il était si faible que son cerveau lui jouait des tours maintenant.
Il entra en chancelant, ses pieds le faisaient atrocement souffrir et il commençait à ressentir de nouveau des vertiges. Alors qu’il sombrait doucement, une femme accourut vers lui, il ne l’avait pas vu venir.
– Monsieur ?
Les oreilles de Daven bourdonnaient, il commença à se recroqueviller sur lui-même, en marmonnant de manière incompréhensible.
– Monsieur, vous allez bien ? Monsieur ?
Daven tenta de lui répondre quelque chose, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Sa tête dodelina à plusieurs reprises, ses yeux bleus d’habitude si expressifs étaient totalement dénués d’émotion maintenant, il se laissa tomber contre la femme.
Cette dernière le rattrapa dans ses bras à temps, mais eu bien dû mal à le maintenir debout, elle était si petite comparée à lui.
– Larry ! Larry, viens m’aider, dit la femme en se contorsionnant pour ne pas laisser tomber Daven.
Daven perçut bientôt une voix masculine, mais il avait la sensation qu’elle venait de très loin, tout doucement, il perdit connaissance et se laissa aller dans les bras de ces étrangers.
Une sensation de chaleur et de sérénité envahirent le corps de Daven, il étira d’abord ses jambes, puis ouvrit lentement les yeux.
Cela faisait un moment qu’il n’avait pas connu un sommeil aussi paisible, ses membres étaient toujours engourdis toutefois.
Il se trouvait dans une petite chambre, les murs étaient peints couleur ocre, quatre dessins d’enfants étaient encadrés. Ils représentaient des scènes festives, plusieurs personnages se tenaient par la main et souriaient en dansant.
Même Daven se mit à sourire, la chance semblait enfin être de son côté, et contrairement aux ragots qu’il avait pu entendre, il y avait encore bel et bien des habitants à Emanday.
La porte de la chambre s’ouvrit doucement, Daven reconnu la femme qui l’avait secouru au premier coup d’oeil.
Elle portait une robe simple avec un cardigan en laine par-dessus, ses cheveux étaient courts et blonds.
– Je ne vous ai pas réveillé j’espère, dit-elle avec un sourire timide.
– Oh non, répondit Daven en se redressant péniblement, il fit une pause et ajouta : « je vous remercie pour tout. Combien de temps ai-je dormi »?
– Quasiment une journée !
Daven soupira : « ça fait long, je suis sincèrement désolé, si je vous ai fait peur hier ».
– La situation était certes inattendue, mais tout le monde ici aurait agi comme nous, et je ne dis pas cela pour être polie. Toutefois, heureusement que Larry n’était pas loin pour m’aider, vous êtes si grand, dit-elle en souriant.
Elle déposa un sceau d’eau accompagné d’un gant de toilette et du linge propre soigneusement plié sur le lit.
– Prenez votre temps, quand vous serez prêt, nous pourrons parler ensemble dans le salon. Sur ces paroles, elle repartit sans faire de bruit.
Daven se laissa de nouveau tomber et leva les yeux vers le plafond.
Il devait vraiment une fière chandelle à ces gens, et était bien décidé à se montrer digne de leur bienveillance.
Après s’être lavé et avoir enfilé les vêtements propres que la femme avait déposé, Daven longea le vestibule et rejoignit le couple dans le petit salon.
La femme s’exclama : « ah ! je savais que cet ensemble en lin vous irait, cela fait ressortir vos cheveux foncés et vos yeux bleus ».
– Ma femme est très sensible aux apparences, renchérit son mari, Daven crut percevoir une pointe de sarcasme. L’ homme avait un visage rude, il portait une sorte de bleu de travail, Daven pensa aussitôt qu’il s’agissait probablement de quelqu’un qui travaillait la terre.
Daven s’assit à leur côtés et dit en émettant un petit rire: « j’imagine que vous avez dû vraiment avoir peur en me voyant hier alors ».
– Non je n’ai pas eu peur, je dirai plutôt que cela m’a rendu triste. J’oubliais…je ne me suis pas présentée, je m’appelle Ada et voici mon mari Larry.
Larry fit un petit signe de tête discret, l’air renfrogné.
– Je m’appelle Daven, je suis ravi de faire votre connaissance et…je sais que je me répète, mais merci de m’avoir aidé. Je vais faire en sorte de ne pas vous embarrasser de ma présence, plus que nécessaire.
Ada ouvrit grand les yeux et répondu : « oh Daven, vous ne nous dérangez pas, n’est-ce pas Larry ? pour toute réponse, Larry marmonna dans sa barbe, mais ne contredit pas son épouse.
Daven sourit, puis ses yeux bleus s’assombrir.
– C’est très généreux de votre part. Mais je ne veux pas abuser de votre hospitalité. Pour une raison qui m’échappe, j’ai perdu la mémoire subitement, du jour au lendemain. C’est très embarrassant…je ne me l’explique pas. Je me suis réveillé dans la forêt, il y a une semaine je crois, sans savoir comment j’avais pu atterrir ici. Je pense qu’il faudrait que je vois un médecin assez rapidement.
– C’est effectivement très étrange…et vous ne vous souvenez même pas d’où vous venez ? répondit Ada.
Daven sentit ses épaules se raidirent et fit non de la tête, plus il réfléchissait et discutait avec ces gens, plus il se rendait compte à quel point sa situation était anormale et inquiétante.
– Non…la dernière chose dont je me souvienne, c’est de me réveiller à même la terre, sous un arbre. Mon dieu, qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? souffla t-il en prenant sa tête entre ses mains.
– Allons, allons fit Ada en caressant gentiment son épaule. Vous traversez une épreuve très particulière, mais vous pouvez comptez sur nous, n’est-ce pas Larry ?
Larry fit oui de la tête et poursuivit tranquillement son petit déjeuner.
– Je ne veux pas vous imposer mes problèmes…je me sens un peu perdu, excusez-moi.
– Oui, vous avez besoin d’aide. Nous avons averti M. Gunderssen de votre présence, c’est en quelque sorte le leader de notre petite communauté. Vous pourrez le rejoindre en fin de matinée sur la place principale. Je suis certaine qu’en parlant avec lui, vous vous sentirez un peu mieux. Vous savez, il y a de plus en plus de villages qui optent pour un mode de vie disons…
– Individualiste ! dit Larry en levant son couteau dans les airs.
– Exactement, individualiste, mais à Emanday, c’est différent ! vous pouvez me croire Daven. Tous les gens d’ici ont à cœur de s’entraider, nous avons tous connu des moments difficiles. La vie est rude dans les hauteurs. Emanday survit grâce à la solidarité et au travail de chacun.
Daven acquiesça et fit honneur au petit déjeuner préparé par ses hôtes.
Comme il avait été convenu, Daven attendit M. Gunderssen sur la place centrale. Il eut l’occasion d’avoir une vue plus claire de l’étendue du village. Emanday avait une construction très particulière, qui ressemblait à une sorte de long plateau étendu au-dessus des montagnes. L’horizon était nuageux mais lumineux.
Il y avait deux rangées de maisons et des boutiques de chaque côté de l’allée principale, mais peu de végétation.
Daven dirigea son regard vers le portail et vit de nouveau la fameuse petite construction en suspension dans les airs, comme la veille.
L’homme fronça les sourcils, cette fois il était pleinement conscient.
Comment est-ce possible ?
Soudain, il fut interrompu dans ses pensées, en apercevant un homme au gabarit imposant. Cette impression était renforcée, car il était vêtu d’un long manteau gris foncé et d’un chapeau sombre, son visage était anguleux.
L’homme s’approcha de Daven, il retira brièvement son chapeau pour le saluer, puis lui adressa un sourire qui se voulait chaleureux en dépit de son apparence impressionnante et un peu lugubre.
Les deux hommes se serrèrent la main.
– Je suis ravi de faire votre connaissance Daven, bienvenue à Emanday. Je suis Lothar Gunderssen, dit-il avec un accent prononcé. Ada et Larry m’ont informé de votre état,
nous avons deux médecins ici bien entendu, mais en toute honnêteté…Je crains qu’ils ne vous soient d’une grande aide.
Daven haussa les épaules : « je nourris tout de même un petit espoir ».
– Je comprends, répondit Gunderssen.
Puis il tourna la tête en direction de la cabane flottante, et émit un petit rire : « je sais ce que vous vous dites…Oui, c’est une véritable anomalie. C’est un des mystères d’ Emanday. Peu de gens le savent, mais cet endroit est marqué par…une forme de magie.
– Que voulez-vous dire ? s’enquit Daven, une lueur de curiosité était apparue dans son regard.
Gunderssen fit signe à Daven de se rapprocher et lui passa une main autour de l’épaule. Les deux hommes commencèrent à marcher, Gunderssen reprit sur le ton de la confidence : « au siècle dernier, le village ne s’appelait pas Emanday. Il portait un autre nom, mais nul ne s’en souvient, encore une anomalie n’est-ce pas ? enfin bref, le village était habité par une communauté de 28 paysans.
Un jour, un homme en uniforme militaire se présenta aux portes du village. C’était un soldat déserteur, il avait fui le champ de bataille, ne supportant plus les horreurs de la guerre. Il ne souhaitait qu’une seule chose : vivre en paix.
Les villageois hésitèrent, finalement ils accueillirent l’ancien soldat et décidèrent de le mettre à l’épreuve. Ce dernier devait prouver sa bonne foi, en se rendant utile à toute la communauté.
– Je trouve que c’est une bonne chose, c’est plutôt juste, dit Daven.
– Ah mais mon cher…la situation a dégénéré. Les habitants abusèrent de plus en plus de la bonté de l’ancien soldat. En fait, c’était devenu un jeu pour les habitants, de le mettre constamment à l’épreuve pour tout et rien, toutes les occasions étaient bonnes pour l’humilier.
Daven se projetait de plus en plus dans l’histoire, et interrompit Gunderssen.
– Mais je ne comprends pas…Depuis le temps, il ne s’était pas fait des amis ou bien, des alliés parmi les habitants ? Personne ne prenait sa défense ?
Gunderssen s’arrêta et fixa Daven un moment.
– Je pense que dès le début, le village n’a jamais vraiment souhaité accueillir cet étranger, dans le fond. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un jour, notre soldat décida que s’en était trop. Il s’était littéralement donné corps et âme pour ce village qui de toute évidence, ne faisait que l’exclure et le maltraiter. Le soldat planifia sa vengeance, d’abord il fit pendre un jeune garçon là-bas, vous voyez, dit Gunderssen en pointant du doigt les seuls arbres qui avaient poussé à Emanday.
– Bien évidemment, reprit Gunderssen, le cadavre de l’enfant attira l’attention des villageois qui se réunirent pour le décrocher, une seule personne manquait à l’appel…
– Le soldat ! S’exclama Daven avec des yeux brillants.
– Tout à fait. Notre ami avait fait en sorte de réunir tous les habitants, au même endroit, et les punir. Ce fut un bain de sang, on ignora exactement comment le soldat s’y était pris exactement, mais le fait est qu’il élimina les 28 villageois, un par un, hommes, femmes, enfants sans distinction aucune.
– Mon dieu…balbutia Daven.
– Oui. Le soldat avait complètement perdu la raison, mais il ne regrettait pas son acte.
Il vécut seul pendant un moment dans le village, mais certains jours il croisait les âmes d’anciens villageois. Ces dernières étaient inoffensives et sans visage, mais elles ne pouvaient se résoudre à quitter définitivement cette terre.
Mais un jour, plusieurs couples et des enfants arrivèrent aux portes du village. Le soldat les accueillit à contre cœur au départ. Mais voyez-vous, on ne s’habitue jamais à la solitude la plus totale. Pour la première fois depuis très longtemps, l’ex-soldat fut touché d’apprendre que ces gens fuyaient également les conflits et n’aspiraient qu’à vivre une vie normale. Le soldat pensa sûrement qu’il pourrait expier ses crimes, en offrant l’asile à ces familles et en les traitant avec bonté et dignité, comme il aurait souhaité qu’on le traite dès le départ. Finalement, ce fut une renaissance pour le village, et le début de l’utopie dont avait rêvé le soldat : une communauté soudée et généreuse.
La jour de sa mort, il travaillait sur un cadeau pour des enfants, il était entrain de construire la maquette miniature d’une cabane. Hélas, il mourut avant son élaboration à taille réelle. Mais la petite maquette s’éleva dans les airs, et demeura en lévitation au-dessus du portail. Les villageois rendèrent un dernier hommage au soldat en baptisant le village en son nom : Emanday.
– Eh bien, c’est une histoire assez impressionnante. Ce soldat Emanday était un homme pour le moins complexe.
– Vous pouvez également dire fou et mégalomane, je ne vous en voudrais pas, dit Gunderssen en éclatant d’un rire franc.
– Enfin, reprit l’homme plus sérieusement, j’ai pris le temps de vous conter cette histoire, pour vous dire que vous êtes le bienvenu ici et en sécurité. Vous pourriez peut-être même trouver votre place ici, qui sait ?
– Je…Tout va un peu vite, murmura Daven en se passant la main dans les cheveux d’un air gêné.
Gunderssen recula d’un pas et dit : « oui, pardonnez moi. Le choix vous appartient bien sûr. Poursuivons la visite en attendant ».
A la fin de la journée, Daven retourna chez Ada et Larry. L’homme se sentait étrange, son amnésie le rendait vulnérable et il en avait bien conscience. D’un autre côté, une force étrange et inexplicable l’attirait ici. Il décida qu’il resterait quelques jours à Emanday.
Non, cela ne peut pas s’arrêter là^^
Mystère, suspens, j’adore… Tellement de questions en tête.
Il y aura t-il une suite?
Merci! il y aura peut-être une suite, mais pas avant longtemps, contente que cela t’ai plu. ^^