Il vit dans la terre, ses petites pattes grattant devant lui il lui faut avancer s’il veut
trouver des racines pour se nourrir. Au bout de quelques mois il s’est constitué un
réseau de galeries qui lui permettent d’accéder directement à ces fameuses racines dont il
déguste la sève dans la loge «salle à manger».
Il est une petite larve qui évoluera, il le sait, son corps va se modifier, grossir et
bientôt il aura des ailes naissantes. Pour l’heure sa grande inquiétude est d’éviter les
fourmis, ces vilaines seraient bien capables de le manger tout cru. Heureusement elles
sont bruyantes et à plusieurs reprises il a réussi à les éviter.
Le temps passe et sa dernière mue s’annonce, il doit préparer sa sortie hors du sol. Le
jour «J» il surgit de terre et éblouie par le lever du jour il se dirige instinctivement
vers le premier arbre présent. Il grimpe il grimpe et arrivé à bonne hauteur il
s’immobilise; ouf pour le moment tout va bien ses prédateurs ne sont pas encore
réveillés. L’instant crucial va se produire, il se sent angoissé c’est maintenant ou
jamais car c’est là où il est le plus vulnérable. Crac! Son dos libéré en deux morceaux
laisse sortir ses ailes humides, sa tête et son thorax sortent également et basculent en
arrière. La transformation est réalisée il est enfin une cigale, c’était son vœu le plus
cher. Pour ne pas tomber il s’accroche à son ancienne peau il s’arme de patience et
attend que ses ailes sèchent, par chance aujourd’hui il fait très chaud ça ira plus vite..
Au bout de deux heures Cricri s’envole dans les airs à la recherche d’un lieu plus
sécurisé et choisit un bel arbuste feuillu. Bien installé et son abdomen en parfait état
de marche il pousse la chansonnette, ravi, enchanté, le monde s’offre à lui.
Grâce à ses cymbalisations mélodieuses Cricri attire de nombreuses prétendantes et
il choisit la plus belle pour l’accouplement. Cette dernière consciente de sa beauté ne
s’en laisse pas compter si facilement et manifeste certaines exigences. Elle le regarde
droit dans les yeux et lui dit:
– si tu tiens à moi pour me mériter tu dois réaliser une chose qui me tient à cœur.
Cricri estomaqué par tant d’impudence à son égard et en beau mâle qu’il se doit d’être
manque de lui rire au nez, pourtant il refrène cette envie car il est curieux de
connaître la suite et il n’est pas insensible à son charme.
– je t’écoute, rétorque t-il.
Etina de son prénom se penche vers lui et lui chuchote quelques mots dans le creux
de l’oreille.
En l’écoutant Cricri écarquille les yeux et sans même le vouloir un «oh!» sort de sa
bouche spontanément. La surprise est totale il ne s’attendait pas à une telle demande,
réaliser ce souhait est une véritable gageure. Il acquiesce et promet de faire de son
mieux.
Cricri dubitatif réfléchit aux solutions qui s’offrent à lui:
– la première est d’attendre que le temps se couvre ainsi cette irrésistible envie de
chanter disparaîtra et lui permettra de mettre en place son plan d’action.
– la seconde est l’organisation qui lui donnera l’occasion d’être rapide et efficient, le
temps est désormais imparti il ne lui reste que quelques semaines à vivre et il tient à
en profiter.
– la troisième est de prendre de gros risques certes mais calculés.
– la quatrième consiste à négocier avec un de ses prédateurs: un moineau !
De gros nuages apparaissent, Cricri sort de son arbuste et s’expose à la vue d’un moineau
non loin de lui. Ce dernier arrive aussitôt en piqué sur lui prêt à l’attraper avec son bec, Cricri
l’évite de justesse et l’interpelle:
– écoute je me doutes que je peux être ton repas de ce midi mais je sais que tu es
friand de vers de terre qui sont bien plus juteux que moi et en cette période estivale
c’est vraiment plus rafraîchissant, je te propose donc un marché .
– lequel? rétorque celui-ci suspicieux.
– je connais un endroit où se trouve une colonie de vers de terre, je t’indiquerai celui-ci
si en échange nous faisons tous les deux un aller-retour sur la colline d’en face et si
tu me promets de ne pas me manger.
– comment ça?
– hé bien tu me transportes sur ton dos, c’est trop loin pour moi et mes ailes ne sont
pas suffisamment grandes je ne peux que voleter. Je dois y récupérer quelque chose
pour quelqu’un qui m’est très cher.
Curieux le moineau veut en savoir davantage après tout il a son repas devant lui et il
s’il s’agit d’une ruse il n’aura plus rien à manger. Il lui répond :
– que dois tu récupérer et pour qui est-ce destiné?
Cricri un peu gêné lui relate sa discussion avec Etina. L’élue de son cœur ne se
donnera à lui qu’à l’unique condition qu’il lui ramène une sève de qualité
exceptionnelle pour permettre une ponte de premier ordre. Etina souhaite conserver
son rang ainsi que celui de sa descendance et même lui en serait également très fier.
L’oiseau hoche de la tête il a compris la motivation de Cricri et les risques qu’il
encourt pour mener à bien sa mission. Il est presque attendri de cette situation et
décide de l’aider .
Le pacte conclu, ils se dirigent en direction de la colline à la recherche du plus beau
pin qui s’y trouve. Après de nombreux passages au dessus et malgré un vent de plus
en plus fort ils réussissent à repérer ce fameux pin. Essoufflé et épuisé Cricri se pose
dessus et pompe la sève avec sa rostre, elle est délicieuse, Etina a raison, elle est
d’une saveur remarquable. Rassasié il en repompe à nouveau elle sera pour Etina.
De retour Cricri tient sa promesse et indique le lieux où vivent des centaines de vers.
Le moineau saute de joie c’est un véritable garde-manger qui s’offre à lui et
reconnaissant lui offre son amitié et son aide en cas de besoin.
Cricri toujours heureux d’être en vie et d’avoir un nouvel ami s’empresse de rejoindre Etina ,il
se dirige à l’endroit de leur dernière rencontre elle doit certainement l’y attendre.
Rendu sur place il n’y a personne, il chante alors dans l’espoir qu’elle l’entende, elle
connaît si bien son chant qu’elle viendrait de suite mais l’effet produit n’est pas celui
escompté. Une armada de cigales femelles vint à lui chacune d’entre elles lançant des
œillades à ne plus en finir. Terriblement embarrassé de cette situation Cricri explique à
ces jeunes filles qu’il est à la recherche de sa dulcinée et demande si l’une
d’elles ne l’aurait pas croisée. Certaines vexées ne firent même pas l’effort de lui
répondre et lui tournèrent ostensiblement le dos. L’une d’elles, un peu plus rancunière
que les autres, lui annonce qu’elle l’a vu non loin de la rivière à côté d’un monticule.
cependant il s’agit d’un gros mensonge. Cricri la remercie chaleureusement et avec la plus
grande hypocrisie qui soit elle lui répond:
– j’espère que tu la retrouvera et vous souhaite à tous les deux le plus grand
bonheur possible.
Tout content il se rend au lieu indiqué et pour mieux voir décide d’aller sur le monticule.
Horreur, malheur, c’est une catastrophe il se trouve sur une fourmilière de géantes, elles sont
très réactives ces fourmis lorsqu’il s’agit de manger des cigales .Telle une armée de soldats
elles s’attaquent à ses pattes puis grimpent le long de son corps, Cricri manque de tomber
sous le poids de celles-ci et s’il ne réagit pas il va mourir suffoqué. Il concentre toutes ses
forces sur ses ailes et réussit à s’envoler au dessus d’elles, même si certaines restent encore
agrippées il sait qu’elles ne résisteront pas au vent et s’écraseront sur la terre ferme, ce qui
fut le cas. Se remettant de ses émotions et désappointé il se met en tête de de la rechercher
coûte que coûte. Au bout de plusieurs jours d’exploration sans résultats, inquiet, il
décide de faire appel à son ami l’oiseau.
Pendant ce temps là le moineau est occupé à attraper une cigale qui lui donne du fil à
retordre. Cela fait plusieurs minutes qu’il est au dessus d’elle mais elle se cache sans
arrêt, cette fois-ci c’est une chasse compliquée, cette belle cigale a de l’énergie à
revendre et semble loin d’être bête, il va falloir ruser. Il fait semblant de s’envoler et
d’abandonner le combat, la cigale se croyant hors de danger sort du buisson pour vite
se réfugier chez elle, hélas c’est trop tard pour réagir le moineau est déjà sur elle et la
gobe d’un seul coup.
Le moineau entend Cricri l’appeler et part le rejoindre rapidement, il est contrarié
car il n’a pas encore fini sa digestion mais qu’importe son ami a besoin de lui. Par
ailleurs il décide de taire à ce dernier que malgré tous les vers de terre à sa disposition
il lui arrive parfois de manger des cigales pour varier son ordinaire.
Cricri raconte sa mésaventure et lui demande de le seconder dans ses recherches.
Survoler le secteur tout en faisant des cercles permettrait de mieux visualiser le sol et
peut-être même Etina pourrait le voir dans le ciel et se manifester.
Le plan de vol établi, la prospection des environs prit plusieurs heures, la végétation
est si dense qu’il est difficile de tout repérer en un seul coup d’œil.
Malgré tout cette énergie dépensée toujours pas de trace d’ETINA et la nuit va tomber il faut
faire vite.
Le petit moineau a soudain une idée, dotée d’une très bonne vue il demande une
description précise d’Etina, qui sait ? il pourrait la reconnaître.
– est ce qu’elle à un signe particulier qui permettrait d’être sur que c’est elle ?
– oui, elle a une jolie tache noire en forme d’étoile sur son dos, il n’y en a qu’une
seule comme ça.
A l’écoute du portrait d’Etina fait par Cricri, le petit moineau commence à frissonner
et quelques gouttes de sueur apparaissent sur son front. Il se sent tout moite, il manque de
défaillir est-ce dû aux émotions de la journée?
Oui c’est bien cela, sa plus grande émotion est de réaliser que son merveilleux repas de midi
était Etina !
Cricri déçu de n’avoir pu la retrouver décida de refaire sa vie, après tout les femmes sont si
ingrates…