Chapitre I – partie 1

6 mins

« Azilis, attend-moi ! »

    La jeune fille ignora l’appel de sa cadette et talonna sa monture, galopant sur les traces du troupeau de Gracys. Sa veste de lin bleu entrouverte laissait paraître un poignard à la lame  effilée solidement attachée à sa ceinture tandis qu’un grand arc en bois massif et son carquois étaient placé dans son dos, contrastant avec le pendentif en Morganite qui ornait son cou. Derrière elle, Astrée encourageait sa vieille jument qui peinait à tenir le rythme effréné du jeune étalon de son aînée. La terre encore humide de la rosée matinale étouffait le bruit de la galopade, laissant seul le souffle des chevaux résonner dans le sous-bois. Quelques longueur devant, Azilis ne lâchait pas du regard les biches parsemées d’or qui fuyaient devant elle.

«  Aller Astrée ! Le gibier ne va attendre sagement que tu le rattrapes !

– A galoper comme une folle tu vas finir par y laisser la peau, Azilis !

– Et à galoper aussi lentement, c’est le temps qui te tuera ! »

    Astrée poussa un soupir d’exaspération alors qu’Azilis relançait son cheval d’un appel de langue. Son étalon, malgré son jeune âge, galopait avec une puissance étonnante, réduisant ainsi peu à peu la distance qui la séparait du troupeau en fuite. Le destrier luisait de sueur et déjà de l’écume blanche se formait sur son encolure au contact des rênes. Alors que la jeune fille pensait avoir suffisamment rattrapé les biches, celles-ci bifurquèrent brusquement sur la droite, s’enfonçant dans une partie dense de la forêt. Azilis pesta intérieurement avant de ralentir sa monture pour s’engager à la suite du troupeau. Les branches basses la forçaient à se baisser tandis que de grosses ronces venaient s’enrouler autour de ses jambes et celles de son cheval, laissant de vilaines égratignures sur leur passage.

    A chaque seconde, la jeune fille voyait ses chances de réussite diminuer de moitié, alors que l’écart s’était largement creusé entre la chasseuse et ses proies. Les biches, habituées à courir dans cet environnement, ne perdaient pas de vitesse, tandis que la jeune fille et son imposante monture ne pouvaient les suivre à une allure régulière. Au bout que quelques minutes à peine, Azilis perdit de vue le troupeau, qui disparu derrière une barrière naturelle de fougère. Frustrée, elle freina rudement son étalon avant de le diriger à travers la végétation pour rejoindre un sentier plus praticable.

    Lorsque le destrier s’extirpa enfin d’un buisson d’épineux, la jeune fille le guida dans un endroit plus clairsemé, où elle mit pied à terre. Le cheval avait les poils collés de transpiration et la crinière en bataille, mais il ne semblait pas avoir souffert de cette galopade à en voir sa posture, encolure relevée, naseaux dilatés, fier. Au même moment, Astrée arriva au grand trot et se hâta de descendre à son tour de sa vieille monture pour la laisser récupérer de son effort. Azilis regarda une dernière fois à l’endroit où les biches avaient disparu, mais elle ne vit rien d’autre que des fourrés verdoyantes.

« On les as perdues …

– Ce sont des choses qui arrivent Azis.

– Ça ne serait pas arrivé si tu m’avait suivit !

– Je ne le pouvais pas et tu le sais très bien ! Le jour où tu arrêteras de t’énerver pour des choses pareilles ça ira mieux … »

    Azilis ignora la remarque de sa cadette et, lui tournant le dos, entreprit de regarder les petites blessures qui parcouraient les membres de son destrier. La plupart étaient sans grande importance, certaines nécessitaient des soins attentionnés, mais rien de très urgent. La jeune fille se redressa et avisa la situation. Les chevaux venaient de fournir un très gros effort, et ils devaient s’abreuver. De plus, le soleil n’était pas encore à son zénith, ce qui leur laissait encore du temps avant de devoir rentrer pour le déjeuner. Saisissant la bride de son cheval, Azilis désigna du doigt le cœur de la forêt.

« On les emmènent à la crique pour les rafraîchir ?

Astrée sourit, une lueur de malice brillant dans ses yeux vert olive.

– La dernière arrivée dort à la belle étoile ce soir ! »

    Sur ces mots, les deux jeunes filles s’élancèrent, tirant derrière elles leurs chevaux respectifs. Les ronces s’accrochaient à leurs jambes, les branchages leurs fouettaient le visage, mais rien ne pouvait les détourner de leurs objectifs. Alors qu’Azilis avait plusieurs longueurs d’avances sur sa cadette, elle ralentit discrètement l’allure pour laisser Astrée passer devant, sans que cette dernière s’en rende compte. La jeune fille adorait dormir sous la lumière de la lune et elle ne se sentait pas vraiment à sa place dans la maison familiale. Elle voulait perdre cette course pour pouvoir encore observer le ciel dépourvu d’étoiles en se remémorant les légendes anciennes qui avaient bercé son enfance. Elle aimait cela.

    Bientôt, le clapotis de l’eau se fit percevoir, et les deux sœurs accélérèrent l’allure pour parvenir à leur petit coin de rêve parsemé de verdure. Elles emmenaient souvent leurs montures se désaltérer dans ce petit bassin d’eau claire, pendant qu’elles allaient s’allonger sur les rochers plats chauffés par le soleil quelques mètres plus loin, écoutant à loisir le bruissement du vent dans les arbres. Alors qu’Astrée déboulait dans la clairière en criant victoire, Azilis arriva quelques secondes plus tard, feignant d’être essoufflée. Lorsqu’elle vit son aînée, Astrée fit une moue désapprobatrice, avant de croiser les bras, boudeuse.

« Tu m’as encore laissé gagner  c’est ça ? Azis, c’est pas drôle… »

    Sans répondre, la jeune fille se contenta d’un faible sourire avant de reporter son attention sur la crique. En un instant, son sourire s’effaça. L’atmosphère était lourde, chargée d’une magie  inhabituelle. Azilis avait l’impression que quelque chose avait changé, quelque chose de mauvais, mais aucun indice réel ne lui permettait de confirmer ses pensées. Les rochers ne présentaient aucunes anomalies, l’eau était toujours aussi claire, et la verdure n’avait pas noircie. La jeune fille retira la bride de son étalon pour qu’il puisse boire librement et alla s’asseoir sur les rochers, soucieuse. Son regard ne cessait de faire des allers-retours entre les deux extrémités de la clairière et tous ses sens étaient aux aguets. Pendant ce temps, sa cadette s’était penchée au dessus de l’eau avec intérêt.

« Azis viens voir ! Les … »

    L’intéressé n’entendit pas la fin de la phrase d’Astrée, trop concentrée sur le mauvais pressentiment qui grandissait dans son esprit. Aussitôt elle sentit sa magie se mettre à bouillonner dans ses veines et la pierre rose pâle qu’elle portait autour du coup se mit à scintiller faiblement. Azilis ferma les yeux pour se concentrer sur les bruits alentours, dans l’espoir de trouver ce qui n’allait pas. D’abord le vent, le froissement des feuilles, le clapotis de l’eau, puis la respiration bruyante des chevaux, le chant d’un oiseau, des voix…  La jeune fille rouvrit subitement les yeux, le cœur battant à tout rompre. Des voix. Pas seulement celle de sa sœur, mais d’autres, bien plus graves. Elle avait entendu des voix d’hommes. Et ils étaient tout proche.

« … Azilis, tu m’écoutes quand je te parle !? »

La jeune fille revint soudainement à la réalité et dévisagea Astrée, inquiète.

« Azis ? Ça va ? On dirait que tu as vu un esprit des Féréys … Enfin, ce que j’essayais de te dire c’est que les …

– Je t’en supplie Trée, ne fait plus aucun bruit. »

    Azilis se hâta de descendre de son promontoire avant de passer la bride à son étalon, qui commençait à s’agiter, avant de l’entraîner derrière elle. Tous ses muscles s’étaient tendus, et son esprit était tourné vers les voix, faisant tout son possible pour ne pas les perdre. Elle guida son cheval au milieu des fourrés et l’attacha solidement contre un arbre, avant de répéter la manœuvre avec la jument de sa sœur. Celle-ci n’avait pas bougé d’un pouce, les bras croisés sur la poitrine, fixant son aînée d’un air renfrogné.

« Enfin Azilis, mais à quoi tu joues ? »

    La jeune fille fusilla sa cadette du regard qui se tut aussitôt, sans pour autant perdre son regard inquisiteur. Discrètement, Azilis saisit le bras de sa sœur et l’entraîna à sa suite. Il fallait qu’elle trouve où étaient ces hommes et qu’elle sache ce qu’ils venaient faire dans cette partie de la forêt. La jeune fille avançait d’un pas sûr, laissant son esprit la guider à travers les arbres tout en veillant à rester cachée par la végétation, à l’affût du moindre signe de vie humaine. Le sol humide étouffait les pas des deux filles, à tel point que, dans le silence pesant de la forêt, Azilis avait l’impression que les battements de son cœur pouvaient s’entendre jusqu’à Greywind. Ce silence n’était pas habituel dans les bois, comme si les arbres eux mêmes tentaient de prévenir d’un danger imminent.

    Après plusieurs minutes, les voix lui paraissaient plus nettes et elle pu reconnaître deux hommes différents, mais la puissante magie qui s’échappait de la clairière laissait penser qu’ils étaient plus nombreux. Elle s’arrêta derrière un bouquet de fougère où elle lâcha le bras de sa sœur. Astrée compris enfin l’attitude de son aînée et se concentra sur les hommes, tandis qu’Azilis essayait de s’approcher au plus près afin de mieux voir ces mystérieux individus. La jeune fille n’aura que très peu de temps avant que les hommes s’aperçoivent de sa présence.  À chaque fois qu’elle se rapprochait, Azilis était assaillie par une magie puissante qui émanait de l’endroit où les étrangers s’étaient rassemblés, confirmant ainsi son hypothèse. Ces hommes ne présageaient rien de bon.

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8 Commentaires
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Mke Mke
3 années il y a

Sympathique entrée en matière, le premier paragraphe est un peu dense et la lecture du reste très fluide, je me suis laissé porter

Mke Mke
3 années il y a

Si tu souhaites une review plus précise, je peux t’envoyer un message en privé
Continue !

Gaëlle Galindo
3 années il y a

Même avis j’ai trouvé ça très fluide. Je me suis laissé porter également.
Il nous faut une suite !

Nocta Lis
3 années il y a

j’ai beaucoup aimé cette introduction dans un univers magique!

Curly Mc Hado
3 années il y a

Très intriguant! Je me suis également laissée porter. J ai hâte d’en lire plus.

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