Azilis entrouvrit difficilement les yeux. Le décor alentour était flou et les bruits de la nature semblaient très lointain. La jeune fille était tellement hagarde qu’il lui fallut quelques minutes pour se souvenir d’où elle était et ce qu’elle y faisait. A mesure que son esprit et son corps se réveillaient, Azilis analysa la situation. Si son épaule la faisait atrocement souffrir, le reste de son corps semblait en bon état. Elle ne sentait plus les griffures qui zébraient son dos, ni sa douleur dans la jambe, et ses muscles semblaient en meilleur état qu’au moment de l’affrontement. Un bon point pour elle.
La jeune fille tenta de se redresser, ce qui lui arracha un grognement de douleur. Après de nombreux efforts, elle réussit à se tourner et s’assoir sur ses genoux. Le ciel commençait déjà à s’assombrir et le courant d’air du début de soirée la fit frissonner. Elle ne pouvait pas rester ici pour la nuit, et encore moins dans son état. Azilis chassa d’un revers de main les insectes qui tournoyaient autour de sa plaie, puis se mit sur ses pieds, chancelante. Fichu poison, pensa-t-elle. Pendant le combat, son sac avait été éventré mais heureusement, sa ceinture était intacte et avec elle les remèdes.
Azilis ne pouvait rien faire sans eau et il lui fallait un abri au plus vite. Une personne aussi affaiblit qu’elle ne survivrait pas à une nuit dans la forêt. La jeune fille réfléchit aux solutions qui s’offraient à elle et opta pour le trajet le plus court. Elle rassembla lentement ses affaires en veillant à bouger son bras le moins possible, puis se mit en marche vers un lieu sûr, qu’elle avait peu fréquenté ces dernières années. Elle espérait de tout cœur pouvoir retrouver la cabane dans l’état où elle l’avait laissé, mais il y avait peu de chance pour que ce soit le cas.
Ses pas étaient lents et maladroits, mais elle continuait d’avancer en serrant les dents pour canaliser sa douleur. Elle avait déjà connu des souffrances par le passé, de grosses blessures même, mais jamais elle n’aurait pensé que le poison des furies noires était aussi puissant. Elle pouvait presque sentir son sang qui peinait à circuler dans ses veines, comme si la toxine drainait son énergie et brouillait son esprit. Azilis ne pouvait s’empêcher de repenser à la créature, si belle et majestueuse. Il lui avait semblé que la bête s’était montré hésitante avant de l’attaquer. Puis il y a eu cette aura blanche autour d’elle, ça n’était pas insignifiant. Il y avait forcément une raison. La furie aurait pu la tuer, mais elle s’est contentée de la faire souffrir.
Azilis frissonna à cette pensée. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant de trouver un remède. Kelia lui avait dit que ce poison tuait en trois jours. C’était trop peu. La jeune fille jura à voix haute. Elle ne pouvait pas mourir aussi jeune, pas de cette manière. Elle secoua la tête de désespoir et tenta de se concentrer sur son environnement pour se changer les idées et poursuivre sa route tant bien que mal.
Le ciel était presque noir à présent et le vent s’était levé, agitant lugubrement les branches des sous-bois. De temps à autre, Azilis parcourait du regard la voûte céleste pour tenter de trouver une étoile qui veillerai sur elle, mais il n’y en avait aucune. Elle continuait donc son chemin, exténuée et souffrante. Si la jeune fille ne voyait rien, elle ne ralentissait pas l’allure pour autant, se laissant guider pas son instinct et ses souvenirs lointains, où cette cabane était son refuge émotionnel.
Après presque une heure de marche chancelante, la jeune fille arriva dans une clairière où se trouvait, au beau milieu, une grosse cabane de bois clair. Les planches étaient usées, la toiture de branches endommagée, mais la maisonnette était toujours là. Azilis esquissa un sourire, qui se mua en grimace de douleur quand elle s’approcha un peu trop joyeusement de la porte. Son épaule la rappela à l’ordre et elle se calma aussitôt. Relax, songea-t-elle, tu vas bientôt mourir, il y a pire comme situation non ?
La jeune fille s’approcha furtivement de la porte et s’appuya sur le battant. A sa plus grande surprise, elle était ouverte. Azilis entra prudemment dans la cabane en veillant à faire le moins de bruit possible. Plusieurs possibilités se bousculaient dans sa tête. Peut-être qu’Isys était là ? Ou bien un voleur avait forcé la porte pour vider la maison ? La jeune fille pria silencieusement pour la première option mais ne baissa pas sa garde, les sens en alerte. Même si le poison lui faisait tourner la tête, elle pouvait sentir une présence récente dans la maison, mais elle n’arrivait pas à déterminer si elle était bienveillante ou non.
Azilis entreprit de fouiller discrètement toutes les pièces. À droite, la petite salle qui faisait office de cuisine et salon était déserte. Une fine couche de poussière recouvrait les quelques rangements présents et les placards suspendus étaient ouverts et vides. La jeune fille se retourna et respira profondément pour calmer son cœur qui commençait à s’emballer. Elle souleva lentement un vieux rideau, anxieuse à l’idée de ce qu’elle pourrait trouver dans la chambre de son ami. A son plus grand désespoir, la pièce était inoccupée et le lit défait était pourri, certainement à cause du trou dans le toit où pouvait tomber la pluie.
Elle sortit de la chambre d’Isys et s’avança vers le fond de la maisonnette, crispée. Sur la dernière porte à gauche, une inscription au couteau ornait le bois. il était simplement écrit « Azis ». La jeune fille inspira à fond puis, se saisissant de la poignée, ouvrit la porte de ce qui était autrefois sa chambre. Lorsqu’elle balaya du regard la pièce, un détail la fit s’arrêter net. Là, dans la pénombre, se trouvait un homme de dos qui semblait chercher quelque chose derrière le lit. Azilis lâcha instinctivement la poignée et saisit la dague qui pendait à sa ceinture.
Surprit par le frottement du métal, l’homme se redressa en un rien de temps et fit face à la nouvelle venue, sur ses gardes. Hésitante, la jeune fille recula légèrement et détailla l’inconnu. Il était plus grand qu’elle, avec des cheveux noirs de jais qui contrastaient fortement avec ses yeux mauves. Larges épaules, posture offensive, épée à la ceinture, c’est un soldat, pensa Azilis. Malgré l’obscurité ambiante, Elle remarqua que le jeune homme portait en pendentif une pierre noire, semblable en forme et en taille à celui qu’elle possédait.
A la vue de la pierre sombre, la jeune fille fut soudainement envahie par des émotions négatives et violentes qui la firent tituber. Au même moment, la Morganite diffusa une lumière blanche aveuglante qui fit reculer l’inconnu et une aura rose pâle entoura aussitôt l’adolescente. Cette dernière voulut sortir de la pièce à reculons, mais elle se heurta au mur. Son esprit s’embrumait de souvenirs étranges, sombres, mais Azilis était persuadée que ce n’était pas les siens. La panique lui nouait la gorge et l’empêchait de réagir tandis que la colère et la rancœur qui l’animaient ne cessaient de croître.
L’étranger avait les yeux fous, et semblait lutter intérieurement, mais après quelques instants, il réussit à reprendre ses esprits et réagit. Il saisit son pendentif et le cacha dans son t-shirt avant de s’abaisser, les mains en évidences en signe de soumission. Face à cette réaction, ses émotions négatives commencèrent à s’estomper et la jeune fille dut se faire violence pour reprendre le contrôle d’elle-même jusqu’à ce que sa pierre s’éteigne brusquement, plongeant la pièce dans l’obscurité nocturne.
Azilis s’effondra à genou sur le sol, haletante, les yeux plissés de douleur. L’étranger attendit un peu avant de se redresser prudemment, une lueur de surprise et d’inquiétude dans le regard. Il replaça ses cheveux d’un rapide geste de la main et, après avoir calmé sa respiration, prit la parole :
« Promets-moi de ne pas recommencer. C’est une bien rude manière de dire bonjour. »
La jeune fille releva la tête avec difficulté et arrêta son regard sur l’épée qui pendait à la ceinture de l’inconnu. Un courant d’adrénaline lui parcourut le corps.
« Vous êtes venu pour me tuer. … Pourquoi ? Qui êtes-vous ?! »
A ces mots, le jeune homme dégagea rapidement son arme de sa taille et la posa à ses pieds.
« Je vais répondre à tes questions, aussi nombreuses soient-elles, il faudrait d’abord que je regarde ça. »
Il désigna la blessure de la jeune fille. La plaie ne saignait presque plus mais elle abordait une teinte verte-violacé et avait considérablement gonflé. L’étranger s’avança pour observer la blessure mais Azilis se recroquevilla et tendit faiblement sa dague devant elle.
« N’approchez pas ! … Reculez … Ne me touchez pas. »
L’inconnu hésita, avant de pousser un soupir et s’assoir sur le lit.
« Je suis Ôn Menklion, le…
– Vous êtes un soldat.
Le jeune homme esquissa un sourire.
– Oui, on peut dire cela. Je suis le premier général d’Oméga, l’Emporion de l’Est, et j’ai été envoyé pour retrouver une jeune fille au collier de Morganite. »
Azilis bascula en position assise sans quitter son interlocuteur des yeux.
« Que cherchiez-vous dans ma chambre avant mon arrivée ? Et comment m’avez-vous trouvé ?
– Une preuve qui m’aurait mise sur ta piste. Je n’espérait pas te trouver de cette manière, et je m’attendais encore moins à te voir réagir de la sorte en ma présence. C’était … puissant et terrifiant comme réaction.
– Je n’ai rien contrôlé du tout … marmonna la jeune fille, mais le dit Ôn ne sembla pas l’entendre. Il reprit :
– Pour ce qui est de te trouver, ce ne fut pas chose facile. On ne m’a donné qu’une rapide description et un territoire, L’Ouest. Cela fait plus de vingt jours que je suis parti à ta recherche, et personne n’a été capable de me donner plus d’informations à ton sujet. Pour sûr, Elle t’a bien dissimulé aux yeux de ceux qui te convoite. »
La jeune fille émit un ricanement qui se mua en un grincement de douleur. Elle déglutit difficilement et répondit :
« Des personnes me convoitent ? C’est bien la première fois que j’entends une bêtise pareil. Personne ne se soucie d’une Nephily adoptée… Elle grimaça puis reprit, Dis moi qui est ce “Elle” dont tu parles. »
Le jeune homme parut surpris par la demande. Il étudia longuement son interlocutrice du regard avant de répondre :
« Tu ignores donc tout à son sujet… C’est pour cela que tu étais invisible aux yeux du monde, l’ignorance dans laquelle elle t’a élevée t’as servi de protection…»
Avant qu’il eut terminé son explication, des pas précipités résonnèrent dans la cabane tandis qu’une lumière rougeoyante envahie la pièce quand deux filles apparurent dans l’embrasure de la porte, essoufflées.