Cela embaume les fleurs tout autour de moi. Genoux en terre, l’œil dans le viseur je fixe au télé le reflet du cygne dans l’eau limpide du lac. Mon téléphone vibre sur ma cuisse pour la 3° reprise. Qui m’embête encore en ce moment de grâce. Je laisse courir et reprend mon affût. Je suis ravi car quelques prises sont prometteuses. Ce satané téléphone vibre à nouveau. Je cède au désir de savoir qui me harcèle ainsi. Numéro inconnu. Pas de message. Un démarcheur sans doute. Mon appareil photo reste pantelant sur son trépied. Je décide d’y retourner mais le tel se remet à sonner ! Je réponds alors avec un « allo » rageur prêt à raccrocher quand une voix métallique me le déconseille et m’ordonne de ranger mon matériel photographique et de retourner à ma voiture.
– Qui êtes-vous ? je demande.
– Ta conscience.
A cette réponse, mon interlocuteur raccroche.
Eberlué, un peu inquiet, je regarde tout autour de moi. Qui peut savoir que je suis ici, dans ce parc ? Que signifie cet appel ? Un peu partout des promeneurs déambulent dans les allées du parc.. Cela pourrait être n’importe qui. J’imagine qu’il s’agit d’une blague de mauvais goût et décide de refuser d’obtempérer. Je reprends donc mon affut photographique mais les reflets dans l’eau sont maintenant délavés et les parfums floraux piquent au nez. Cet appel me tracasse et l’ambiance n’est plus la même. Je suis déconnecté du présent. A ce moment le tel sonne à nouveau. Numéro masqué !
– Qui êtes-vous, svp ?
– Ta conscience. La même voix métallique.
– Que me voulez-vous ?
– Que vous obéissiez !
Je regarde tout autour de moi mais personne n’a de tel en main. Pas de casque pouvant faire croire à une communication main libre ! Je ne réponds rien.
– Rangez vos affaires. Vous avez dix minutes.
– Sinon quoi ? je réponds avec une voix apeurée.
– Je deviendrai votre mauvaise conscience. R.V à votre voiture. Dix minutes max !
Mon cœur s’accélère. Une boule presse mon abdomen. E ne comprends rien. J’hésite à partir. Rentrer dans ce jeu débile. Aller à ce R.V. insensé. Pour une mauvaise blague, c’est une mauvaise blague. Un jeu à me foutre vraiment la trouille. Ma voiture n’est pas loin. Je fais quelques pas vers le haut de la petite pente d’où je peux facilement la voir. Rouge. Bien visible dans la verdure de l’allée arborée. Personne. Nouvel appel. Même voix. Trois seuls mots. « Encore cinq minutes ».
Là, c’est trop. J’en navale mon bonbon à la violette et suis pris par une quinte de toux violentes. Plié en deux, les mains sur les cuisses, j’essaie en vain de dominer ma toux qui s’est muée en crise d’angoisse provoquée par la peur. Une peur violente, hors mesure en regard des événements. Une peur coupable. Coupable de quoi ? Ma conscience me travaille. Mais pourquoi ?
A ce moment l’alarme tonitruante d’un véhicule s’enclenche. Mon véhicule clame de ses quatre feux clignotants. Le tel sonne. La voix égraine un décompte macabre : 4,3,2,1, temps révolu !
Le noir. Ou plutôt l’absence. Vide sidéral. Tous les sens en berne. Juste une conscience sans essence. Sans sens. Noyée. « Je suis ta conscience ». Cette phrase tournoie comme un mantra dans le vide qui m’englue. « Je suis ta conscience, je suis ta conscience, je suis ta cons… » Je ressens une forte douleur quelque part. Mon genou a heurté quelque chose. Le volant ! Quand j’entrouvre les eux, le vide s’éloigne et le parc s’allume lentement dans l’encadrement du pare-brise de la voiture. Tout en bas, le lac brille au soleil et le couple de cygnes navigue en tandem sur sa surface argentée. J’observe autour de moi. Mon matos photo est bien rangé à sa place sur le siège arrière. Mon tel est posé à la place du passager. Il me nargue. Que m’est-il arrivé ? Je m’en empare, empressé de retrouver traces des nombreux appels reçus dans l’intention de mettre les choses au clair avec mon correspondant anonyme. Aucune trace d’un quelconque appel de toute la matinée ! Là c’est trop étrange. Mon corps se vide de son sang. Une nouvelle bouffée d’angoisse m’étreint, me compresse la poitrine. Il faut que je me calme, que je me ressaisisse. Trouver des explications à ce qui m’arrive. Mon gsm est brûlant dans ma main tremblante. Qu’est-ce que je fais ici ? Ai-je rêvé tout cela ? Je m’empare du sac photo sur le siège arrière, sors avec impatience l’appareil, l’allume afin de visionner mes dernières prises de vue. Que dalle ! Néant. Disque dur vierge. Aucune photo !
Le bouquet absolu ! Qui m’a lacé dans mon véhicule ? Qui a effacé toutes traces de mes appels de la matinée et la mémoire de mon appareil photo ? Cela dit être nécessairement quelqu’un ! Je n’ai pas rêvé de tout cela ! Le tel sonne. Je m’empresse d’accepter l’appel, ne laisse pas mon interlocuteur de parler et lance tout à trac un « putain de merde, vous allez me foutre la paix et me donner des explications ! Quand une petite voix douce, désabusée mais qu’est-ce qu’il te prend, Roger ? Ne sais-tu pas que je t’attends ? Tu t’en souviens au moins ? N’as-tu pas oublié ? Le R.V. chez le gynéco. J’avais promis. Puis m’étais juré d’oublier, de laisser tomber. Dans ma tête, c’était affaire classée. Même la date du R.V. s’était égarée dans un coin reculé de mon esprit. Du moins, c’est ce que je croyais. J’imagine que ma conscience me joue des tours. Je ne peux pas l’abandonner. Je m’emploie donc à lui répondre avec assurance.
– Oups, désolé, chérie, une affaire en cours qui a réveillé quelque chose en moi. Un problème à régler avec ma conscience. Le G.S.M. cela a finalement du bon !
– Pardon ?
– Rien je t’expliquerai. J’arrive ! Attends-moi.
Je raccroche. Mais le tel sonne à nouveau. Appel masqué. Je réponds avec plus de mesure dans la voix.
– Allo, à qui ai-je l’honneur de parler ?
– Votre bonne conscience, me répond une voix métallique.