Livre : Mare Lamia
Prologue
Les cinq marins relevaient durement leur filet de pêche. Ces derniers temps, le poisson était devenu rare, de même que leur pitance s’était réduite à vue d’œil. Ils avaient tous une famille à nourrir avec une ribambelle d’enfants affamés. Aussi, ils s’étaient aventurés au milieu de l’océan malgré la plus violente tempête qu’on ait vu de mémoire d’homme sur la Manche. La vieille coque de La Grande Dame encaissait les vagues violentes de la mer déchaînée.
Parfois un matelot se figeait dans sa tâche en croyant entendre ou voir quelque chose dans l’eau. Le chef de troupe commença à sentir la tension s’installer entre ses pêcheurs. Chacun d’eux étaient expérimentés, cela faisait déjà cinq ans que le plus jeune pêcheur avait rejoint leur groupe. A l’époque, ils gagnaient beaucoup, à tel point qu’il put rénover quelque peu le vieux bois de son bateau. La confiance régnait donc entre eux, ils donneraient leur vie pour sauver les leurs. Tous.
Alors sentir que ces murmures étranges faisaient monter la pression ne le rassurait pas, surtout que ça faisait déjà trois jours qu’ils étaient en mer et que certain commençait à ronger leur frein. Pour montrer l’exemple, il s’approcha du bord et alluma sa lampe de poche vers le fond marin. Au début il ne vit rien d’anormal, uniquement le remous, la houle. Puis il y eut le plus gros poisson qu’il n’eut jamais vu. Un sourire lui monta jusqu’aux oreilles. Enfin une bonne nouvelle !
—C’est le jackpot les gars ! hurla-t-il pour couvrir le son du vent et de la pluie. Il est énorme ! De quoi nourrir une famille de six gamins pendant deux semaines ! On ne se dégonfle pas et on le remonte. Après ça on rentre au bercail, on aura bien bossé !
Hésitants d’abord, les matelots se remirent à la tâche. Ils remontèrent le filet avec une vigueur renouvelée, l’envie de s’offrir un meilleur quotidien les rendait aveugles et sourds. Avaient-ils oublié les vieilles histoires que contaient leurs ancêtres ? Ou préféraient-ils occulter les voix de leurs grand-mères et de leur mère ? Mais les mauvais esprits avaient chantés, ils les avaient amadoués et alors que le danger approchait, ils murmuraient encore des envoutements afin de séduire les pauvres hommes. Ces derniers se penchèrent de plus en plus, le filet était lourd, bien remplis, prometteur d’un véritable trésor. Il ne fallait pas lâcher le butin, leur avenir en découlait. Ils seraient riches, tous riches et admirés. L’un jeta un coup d’œil à l’autre.
Et si ?
La mer était agitée, c’était tout à fait possible. Sa famille était plus nombreuse avec des besoins plus importants. L’idée se fit un chemin dans la tête du père de famille. S’il y avait moins de personne à se partager le butin, la part serait plus grande pour lui. Les yeux devenus brillants et aveuglés par la cupidité il lâcha petit à petit le filet de son côté. Comme prévu, son ami raffermis sa prise en le sentant faiblir. Il lui ordonna de se reprendre mais sa phrase fut avalée par les vagues. Il avait lâché d’un coup le piège à poisson pour qu’il soit emporté par le poids. Les autres hurlèrent, essayèrent de tirer pour le remonter. Ils attachèrent le filet solidement, le commandant lança un appel de détresse qui sembla avoir du mal à s’enclencher. Rapidement il revint sur le pont, décidant que les meilleurs chances, seuls lui et son second pourraient lui fournir en plongeant. Ils étaient les plus robustes, de plus avec sa longue expérience, le capitaine avait déjà connu la morsure glaciale de la Manche. Cependant plonger dans cet eau, avec des vagues pareilles et dans la nuit noire serait du suicide. Ils l’aperçurent soudain, les lèvres froides et la peau blanchie, tous se mirent à hurler, sauf qu’il disparut sous une vague. Les marins qui s’étaient penchés sur le bord du bateau de pêche attendirent, jusqu’à ce qu’une autre vague fit dangeureusement tanguer la petite embarcation. Il ne revint pas à la surface et ce, malgré les nombreuses tentatives de sauvetage à la bouée. La nuit était bien installée, les éclairages inutiles car ils formaient un mur de lumière à cause des éclaboussures et de la pluie. Au bout d’une trentaine de minutes, les recherchent furent abandonnées, l’épuisement et la fatigue accumulée au travail mettaient en péril leur propre sécurité. La vie de l’un des leurs était perdue et il était absolument irresponsable de mettre celle de tous en danger pour une cause inutile.
A bout de force, ils s’écroulèrent. Sauf le coupable, qui n’avait absolument rien tenté pour réparer sa faute, son crime. Il était resté passif, à contempler le bout de filet de pêche qui plongeait dans les eaux noires. Le chef lui demanda ce qui lui avait pris, s’il était fou, et qu’il allait devoir s’expliquer face aux autorités une fois amarrés au port. Le marin n’y fit plus attention. Il fallait remonter le butin. Maintenant.
Les murmures chantants, séducteurs, augmentèrent. Ils lui donnèrent la force de tirer seul le filet. Il avait tout à coup la puissance de dix hommes. Il transpirait à grosses gouttes, ses muscles étaient bandés et tremblaient. Il menaçait de s’effondrer. Et pourtant son cerveau ne recevait pas ses informations, son esprit était accaparé par tout autre chose, à tel point que la douleur de l’effort ne le toucha même pas.
Il finit par ramener son précieux trésor sur le pont. Il se jeta dessus avec frénésie, tel un animal affamé sur une carcasse pourrie. Il dégagea ce qui le gênait, pour atteindre son but. Son trésor, sa richesse, sa gloire. Ce qu’il y découvrit le laissa sans voix.
—Qu’est-ce donc ? murmura l’un des marins.
Les pêcheurs n’en n’avaient aucune idée. La chose qui s’était prise dans leur piège était totalement inconnue. C’était une masse repliée sur elle-même, avec des écailles pâle, d’un blanc sale ou d’un gris clair, quelque chose d’argileux en tout cas. Cela paraissait énorme, dépassait la taille d’un requin. Comme envoûtés, les hommes oublièrent ce qu’ils avaient dû sacrifier pour l’obtenir. Ils déplièrent la chose pour l’étaler. Il y avait une longue queue, semblable à celle des dauphins mais avec des excroissances fines et transparentes, puis ils se mirent à s’exclamer, ahuris. Cette créature avait des bras, avec des sortes d’ailerons sur les avant-bras, les doigts étaient palmés, froids et tout aussi clairs que la queue constata le commandant quand il toucha la créature. Ils étaient doux et couverts d’écailles si fines qu’elles se distinguaient à peine. La poitrine était de taille moyenne, dépourvue de tétons et était toute aussi écailleuse que les mains ou les bras. En-dessous, légèrement déportés sur les côtes, il y avait des marques, comme des dessins faits de scarifications, des symboles à la signification inconnue. Le cou était pourvu de branchies, elles saignaient d’un sang noir et épais, à l’odeur nauséabonde. La tête de cette chose était très légèrement plus allongée que celles humaines, avec des écailles plus épaisses à la place des sourcils, il y en avaient des plus sombres qui faisaient également le contour entre le cuir chevelu et la peau finement écailleuse du visage et autour des lèvres peu épaisses.
—C’est… C’est… chuchota le criminel en reculant de quelques pas pour se tenir à un pillier.
—Une sirène ? demanda le second en s’approchant.
—Que… ?
La chose ouvrit les paupières sur des yeux totalement noirs, dépourvus d’iris, sans pupilles. Un puits sans fond vers le néant. Dans un dernier sursaut, elle égorgea les deux pauvres marins de ses griffes acérées, ceux qui étaient les plus proches, le commandant et le second. De terreur, un marin glissa sur le sol trempé, il rampa rapidement à reculons et passa par-dessus bord sans s’en rendre compte. Le dernier qui restait tremblait, d’excitation, de peur. Il murmurait dans une langue qui lui écorchait la gorge, faisant faire à sa langue des mouvements inhabituels, des sons entre sifflements, claquements, et grognements se faufilaient entre ses lèvres gelées. Ses yeux étaient plongés dans ceux, vides, de la sirène.
Puis quelque chose fit se pencher dangereusement l’embarcation du côté gauche. Une masse immonde grimpa à bord, énorme, avec des pics qui semblaient pointer vers le ciel en une crête mortelle. La chose semblait posséder quatre nageoires avec des doigts griffus articuler en-dessus, ces derniers l’avaient aidé à monter. Sa peau difforme et cabossée ressemblait à ces rochers des grands fonds, irréguliers, recouverts de mousse poisseuse et noire, puantes de vase. L’odeur le fit vomir, il se pencha instinctivement vers l’avant, se plaquant dans ses propres rejets pour ne pas offenser la créature qui se trouvait là. C’était elle qui murmurait dans sa tête, qui l’avait séduit, qui l’avait contraint. Et ce qu’elle lui ordonna, le mis dans tous ces états.
—Maintenant va, susurra la créature. Et transmet notre message.
"violente tempête qu’on ait vu de mémoire d’homme sur la . La vieille coque " Un petit mot a dus se sauver. =)
J’aime le faite que la sirène possède des écailles sur la peau. C’est un peu bête, mais moi quand je suis dans le bain trop longtemps, mes orteils sont tous gonflés fripés, hein ! hahaha! Alors j’aimerai pas voir la petite sirène et sa peau parfaite en vrai! =) =)
Un peu de pseudo "réalisme" dans une fiction, c’est sympa.
Un récit haletant, effrayant et extrêmement bien écrit. Vivement la suite, bravo!