4.2 …pour les premiers changements

6 mins

Livre : Asservissement
Chapitre 4, partie 2 : … pour les premiers changements

Le loup, rageur, donna un coup de patte puissant juste au-dessus de ma tête et arracha des morceaux de roches sur la paroi. Je me protégeai le visage contre les débris en levant les bras. Je sentais la brûlure de la griffe dans mon dos, juste à côté de ma colonne vertébrale. Je ne pensais pas saigner, juste une belle égratignure. Le loup s’éloigna en grognant contre ceux qui voulaient l’approcher, il s’enfuit dans les bois en poussant un long hurlement. Ses camarades qui avaient participé le rejoignirent avec les hommes qu’ils avaient attrapés dans la gueule. Seul l’un d’eux bougeait encore et c’était peut-être pire.

En un rien de temps l’autre gagnant et moi-même fûmes entourés en quelques instants par tous les résidents. Chacun, un par un, examinèrent nos yeux et poussaient des exclamations ravies. Je ne savais pas trop ce qu’ils y voyaient, ils nous écartaient les paupières avec des pinces au point de tirer douloureusement sur les coins des yeux et renchérissaient en piaillements toujours plus exagérés.

Alors que je ne cachais pas mon agacement, l’autre fit son beau devant les quelques femmes qui le regardaient sous toutes les coutures. En remarquant mon regard désapprobateur, il me sourit d’un air narquois et haussa les sourcils plusieurs fois d’affilée. Il sortit la langue dans un geste obscène qui finit de me dégoûter. Il était encore plus taré que les autres.

— Eh bien, je n’aurais pas parié sur toi.

Je relevais les yeux vers Trom qui s’était posté à mes côtés et qui surveillait attentivement ceux qui s’approchaient de nous.

— Et pourquoi ça ?

— Je ne te pensais pas guérie. Mais je vois que la guérisseuse a fait des miracles. Comme quoi.

— Oui. Elle est douée, murmurais-je alors que Leszeck s’approchait.

Lui aussi vérifia nos yeux, sans nous toucher. Il eut à peine l’ombre d’un rictus qu’il entra dans sa hutte. Au début je crus qu’il allait en ressortir mais c’était vain. Trom ricana de mon air déçu et me demanda de me lever. Je me repris aussitôt, cependant vu le petit sourire qu’il se donnait, il n’était pas dupe pour un sou. Toujours appuyée le long de la paroi, à présent que l’adrénaline était retombée, je sentais avec force les coupures à mes pieds et la douleur dans mes cuisses. Comme il ne ralentissait pas je jugeais facilement que je n’avais rien à dire. Je le suivis donc sans un mot jusqu’à ce qu’il m’amène au milieu du petit village et qu’il me montre une entrée avec un rideau devant. J’y entrai la première et il me suivit. A l’intérieur c’était plutôt simple et pourtant c’était magnifique. La roche avait été travaillée de sorte à accueillir une cheminée avec un conduit d’évacuation, une sorte de table de bar avec des fauteuils hauts en bois polis, une cuisine basique avec un plan de travail en roche avec juste un dessus en bois lisse. On avait creusé dans les murs pour faire des rangements plus ou moins larges et même si c’était sombre, la pierre claire reflétait au mieux la lumière. C’était incroyable. Dans un renfoncement, une petite chambre avec un lit simple et une lampe à huile semblait plus intime. En face, fermé par un autre rideau, il y avait les toilettes sèches. Quand Trom m’expliqua qu’ils récupéraient les déchets pour les engrais naturels du sol, je compris vite à quoi servait la ficelle que je voyais dépasser. La grimace qui s’inscrivit sur mon visage le fit allègrement rire.

— Bon ce sera ton petit chez toi. Si tu veux te nourrir ou avoir accès à de l’eau ne sort pas seule. Des loups peuvent prendre ça comme une tentative de fuite et ne chercheront même pas à comprendre tes raisons que ta tête finira au fond de leur gosier pendant que ton corps continuera de courir.

L’image me fit me détourner pour lui lancer un regard noir. Brusquement son expression changea aussi en une forme plus féroce. Il avança sa main vers mon visage et je me reculais pour fuir la pièce. Les vieux réflexes étaient encore présents. Contrairement à d’autres choses ou d’autres personnes.

Je mentirais en disant que mes parents ne me manquaient pas, que je n’avais pas le cœur brisé de les avoir perdus. Il y avait moins de deux semaines qui étaient passés, de ça j’en étais certaine. Le temps exact ? Aucune idée. Cependant je voyais déjà leur mort d’un regard étrangement lointain, sûrement à cause de toutes ces tuiles qui me tombaient dessus entre temps. Je voyais d’abord ma propre survie avant de pouvoir m’écrouler émotionnellement parlant. Etait-ce monstrueux de ma part ?

Je sentis plus que je n’entendis les pas de Trom. Il était très silencieux pour un gamin. Mais avions-nous le temps d’être un enfant ici ?

— Tu n’aimes pas que l’on te touche.

— Non.

— Je voulais juste orienter ton visage de façon à voir tes yeux, se justifia-t-il.

Quand je me retournais pour lui faire face, toujours sur la défensive, il sembla vouloir ajouter quelque chose mais se tut aussitôt. A la place il me regarda droit dans les yeux. Il ne me voyait pas moi, il s’arrêter à l’apparence de mes pupilles.

— Contrairement à moi tu as les yeux à l’origine d’un vert moucheté. Et là, le spectacle est magnifique.

— Comment ça à l’origine ? fronçais-je des sourcils.

Mécaniquement je portais une main sous ma paupière avant de chercher des yeux un miroir où j’aurai pu faire taire le moindre doute. Son admiration me mettait mal à l’aise.

— Quand un nouveau fait appel à sa part louve, il devient changé. Mais c’est très progressif, ça vient d’abord avec l’instinct, notamment lorsqu’il est en danger de mort.

— D’où vos épreuves stupides.

— Ce sont nos traditions. Tu apprendras à les respecter, soupira-t-il avec un air résigné sur le visage.

— Nos ? Tu te considères parmi les leurs ?

Il se pinça les lèvres et je crus un bref instant voir ses mains se serrer convulsivement. Mais aussitôt après un grand sourire s’étira sur son visage et il haussa simplement les épaules. Je clignais des yeux, j’avais dû me tromper.

— Tu verras, je comprends tes réticences, moi-même j’en ai beaucoup éprouvé à une époque. Mais quand tu feras partie de la meute, que tu seras un tout, alors ils te comprendront comme tu les comprendras. Ils subviendront à tes besoins autant que tu subviendras aux leurs. Et ils ont beaucoup, beaucoup de besoins.

Il eut un petit sourire énigmatique et des frissons glacés remontèrent mon échine. Parfois il me faisait froid dans le dos, il fallait bien l’admettre.

— Je te disais donc, tu as fait appel à ta bête. Comme nous ne sommes pas nés de parents directement loups, elle est beaucoup moins présente et parfois, carrément inexistante. Mais quand elle apparaît, qu’elle prend presque possession de nous, elle laisse une marque qui deviendra de plus en plus présente. Ton œil gauche, devient plus marron que vert et avec le temps il se noircira. Ce sera magnifique avec ta peau blanche et tes lèvres roses. A ce rythme-là peu importe sang pur ou non, les mâles te voudront. Tu auras l’embarras du choix et c’est un privilège. Du moins s’ils ne vont pas jusqu’aux combats. Mais c’est autre chose n’est-ce pas ? sourit-il.

— J’aurais donc des yeux vairons ?

— Mais ça a déjà commencé. A présent je suis ici pour que tu prennes une nouvelle tenue et que tu ailles te laver. Les dominants ont pris pour acquis que je serais ton accompagnant et comme je suis à deux maisons d’ici, cela a été accepté par l’Alpha.

— Leszeck, c’est cela ?

Je le vis se hérisser. Je n’eus pas le temps de réagir quand il me donna une grande claque qui m’envoya valser au sol. Quand je me redressais je lui jetais un regard mauvais en tâtant doucement le bout des doigts sur mes lèvres enflées et éclatées. Pour sûr elles n’étaient plus rose mais bel et bien rouge sang. Trom se mit à califourchon sur moi, les yeux brillants, et me plaqua la tête au sol d’une pression de la main. Je respirais difficilement alors qu’il appuyait de tout son poids sur mon crâne.

— Pour toi cela restera Alpha. Retiens-le rapidement, tu ne survivras pas longtemps sinon. Maintenant dehors !

Quand il se dégagea de moi je sortis immédiatement en prenant une nouvelle combinaison du même type que celle que je portais au passage. En sortant, Maya m’attendait en souriant narquoisement. Je l’ignorai. Il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle ait tout entendu. Elle se redressa de la roche où elle s’était appuyée et porta son regard plus loin derrière moi. Quand je me retournai je vis Leszeck, l’Alpha pardon, s’avancer vers la maison juste à gauche de la mienne. Alors qu’il ouvrait la porte, il me lança un vague regard et s’attarda sur les habits entre mes bras avant de reporter ses yeux droit devant lui. Il secoua la tête et fit signe à Maya d’entrer à sa suite. Elle referma la porte en roulant des hanches.

— Elle, c’est un sang pur. Une louve comme on en voit rarement avec le don des plantes. Intouchable, chuchota Trom dans mon oreille. A présent va te laver ! Je ne tiens pas à rater le diner. Suis-moi.

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