Je me tenais droite sous le regard noir de Leszeck. Nous étions au milieu de la clairière sans personne aux alentours. D’après ce que j’avais pu entendre, les provisions en viande avaient disparues et la plupart de la meute était partie dans une grande chasse à l’Est. De ce fait l’Alpha s’était refusé une occasion de se libérer d’une tension trop accumulée et avait décidé à la place, je cite, de s’occuper de l’éducation de la sauvage.
Il me faisait faire des exercices afin d’améliorer mon endurance équivalente à zéro. Je restais donc droite, accrochée fermement à une vieille roche alors qu’il perdait patience au fur et à mesure que j’ignorais ses ordres. J’étais transpirante, j’avais froid, mes poumons me brûlaient et mes pieds devenaient bleus à force de courir sur la terre gelée.
En gros, rien à faire que monsieur ne soit pas content, je ne bougerai pas tant que son ordre ne sera pas de rentrer à la hutte.
— Ne me pousse pas à bout, Maxime.
Je le regardais dans les yeux. Pour le provoquer, je relevais le menton. J’étais suicidaire. Ou pas. Ces entrainements ne servaient à rien, je ne m’améliorais pas et s’il fallait que je passe par la bête sauvage que je pouvais devenir quand je me sentais vraiment en danger, alors il était absolument hors de question que j’y mette du miens. Je devenais totalement autre chose, quelqu’un d’autre. Et ça ne me plaisais pas du tout.
— Sinon quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire, hein ? De toute façon tu ne vas pas me tuer tant que je ne serais pas allée au rendez-vous de l’autre Alpha.
Il s’approcha jusqu’à m’acculer contre la pierre. Je voyais que ces yeux s’illuminaient peu à peu et je baissais alors la tête pour regarder sur le côté. Je lui dissimulais ainsi ma peur et l’horrible cicatrice de mon visage. Je me cachais bien souvent derrière mes cheveux mais j’avais été obligée de les attacher aujourd’hui.
Une main me saisit alors à la gorge et m’étouffa. Il avait l’air d’adorer ça. Il m’éleva au-dessus de son visage, mes ongles se cassèrent et s’arrachèrent sur la roche. Je n’avais même pas assez d’air pour lui dire de me lâcher. Ma trachée était pleinement écrasée et la douleur me faisait monter les larmes aux yeux. Je me pensais à l’abri ? Comme j’avais eu tort.
—J’essaie vraiment d’être doux avec toi, Maxime. Mais tu persistes à me défier. Tu veux être libre ? Très bien. Cependant tu vivras à la dure, comme un loup. Tu te battras pour manger, tu devras défendre ton droit de te laver, tu devras mordre pour respirer. Tu devras tuer ou être tuée. Et peut-être alors survivras-tu au spectacle d’Irvan. Peut-être tiendras-tu plus de dix minutes dans l’arène.
Il me jeta sur le côté et se transforma. Le loup blanc sale, aux tons gris et crème qui apparut ne me laissa pas reprendre mon souffle qu’il commençait déjà à se jeter sur moi pour mordre la cheville. Je poussai un couinement et détalais vers le village. Si je pouvais m’enfermer quelque part, le loup ne me bouffera pas. Du moins l’espérais-je. Je n’avais plus de souffle, j’étais déjà épuisée des courses précédentes et pourtant je voulais battre un Alpha qui m’avait prise en chasse. Je sentais son souffle derrière moi, je sentais qu’il me frôlait de ses griffes. Il ne m’attrapa tout de suite.
Je m’approchais en courant de ma hutte. Le loup sauta au-dessus de moi et me barra la route. Dans la précipitation, j’ouvris la porte en bois de la hutte d’à côté et la refermais derrière moi. Je plaçais une planche au travers et m’éloignais à reculons. J’avais le cœur qui battait vite, il me montait dans la gorge et me donnait envie de vomir. Je sursautais et retenais à peine un cri alors que de la poussière se soulevait en-dessous de la porte. L’ombre d’un museau apparut et le son de plusieurs reniflements se fit entendre. Je déglutis.
Le loup poussa contre la porte qui trembla sur ses gonds. Il s’amusait avec moi car s’il l’avait voulu, la porte ce serait brisée en un rien de temps. Les doigts tremblants, je tournais lentement mon corps dos à la porte sans pour autant la quitter des yeux. Quand le silence revint, je regardais où j’avais mis les mains. J’étais au niveau de la cuisine, tout était ordonné, il y avait un pile d’objets lavés sur le côté. Parmi eux, je cherchais autour de moi, renversant bols, plantes, couverts, pour dénicher un long couteau. Une fois saisis, je me retournais et le brandis devant moi.
Mon souffle se coupa.
La porte était ouverte.
Je regardais autour de moi, ma main s’agitait dans tous les sens. J’avais l’impression de le sentir partout, qu’il me guettait où la lumière n’était pas. Le stress me faisait perdre la tête. La bête qui était aux commandes allait me dévorer et ne se prierait pas pour faire de mes os des cure-dents. Par pur instinct de survie, je me précipitais vers la sortie. L’ombre de Leszeck envahit aussitôt l’espace, me bloquant totalement le passage.
— Tu ne sortiras pas d’ici, Petite Ombre.
— Laisse-moi partir ! criais-je.
L’Alpha apparut à la lumière mais c’était le loup qui dirigeait ce corps. Il avait les lèvres retroussées, la peau qui semblait prise de frissons, laissant apparaître des pousses de poils aussitôt réfrénées. Je le regardais s’avancer alors que je ne pouvais faire un pas de plus en arrière. L’ombre opaque semblait grandir dans mon dos et me rapprocher lentement de lui. Mes pieds trainèrent sur le sol alors que je tentais de combattre cette force. Lui me souriait, il savourait ce moment. Ses pas contrôlés, son corps tendus. Tout appelait à la chasse et pourtant le loup les maitrisait à la perfection.
— Crois-tu que je vais te laisser m’échapper ?
Oui. Non.
Il pencha la tête, comme s’il prenait en compte que je l’espérais vraiment. Son haussement de sourcil et la mimique qui suivit fut typiquement lupin. Et voilà qu’il se léchait les lèvres !
Moi, je tremblais de toute part. J’allais mourir bordel.
— Tu ne prends pas en compte l’échange que nous avons eu, Petite Ombre. Ton âme s’est mélangée à moi. Tu m’as touché dans l’ombre. Et j’ai finalisé le lien en mélangeant nos énergies. Mais peut-être n’avais-tu pas compris que j’étais le loup, Petite Ombre, et le loup prend sans donner.
Il se jeta sur moi, toutes griffes dehors. Il saisit mon poignet, me le tordit et me força à lâcher le couteau. Quand je fus désarmée, il me regarda et sourit. Ses yeux étaient loups et ses dents, des crocs.
— Petite Ombre. Quand tu ne brilleras plus, tu seras bien gentille de faire ce que je t’ordonnerai. Si tu ne fais pas subir à ceux que je veux morts le pire des tourments, ce sera toi qui souffriras milles morts. Parole de Loup. Mais en attendant, puisque tu ne veux pas t’entrainer, nous passons directement à la pratique.