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Maintenant qu’ils avaient passés les grandes portes principales de l’entrée de la ville, Cyprés reconnaissait peu à peu les rues de sa cité bien aimé.
La pluie s’estompait lentement sans pour autant rendre les armes. Les lumières jaillissante dans la nuit éclairaient le dédale inextricable de ruelles qu’empruntait le fiacre, et permettait à Cyprés de distinguer les courbes dansantes de la cité.
Les embruns parfumés de la nuit glacée pénétraient l’habitacle et le rassérénaient. Prym était une cité vivante, malgré la nuit déjà bien avancée et l’orage à peine dissipé, les Hommes étaient encore réveillés et en activité.
Il aimait observer sa ville. Même les murs suintants à cause de l’eau ne saurait lui faire détourner les yeux, il accueillait volontiers l’odeur acre. Les rires tonitruants des bougres ne sauraient le déranger, il aimait les entendre, il le rassuraient. Il aimait observer tout ces habitants et leur sérénité.
Leur joie, leur chaleur, éclipsaient presque le froid apporté par la pluie.
Cyprés aurait aimé être aussi confiant qu’eux en l’avenir. Ils avaient l’air si heureux, riants dans la nuit. Qu’adviendrait-il de ces sourires et de ces éclats de voix lorsque demain le palais royal se parera du voilage blanc annonçant le trépas des souverains?
Il l’ignorait et préférait sincèrement ne pas y penser, il en mènerait bien moins large qu’eux dans quelques heures. Réfléchir au trépas de son père qui ne saurait tarder éveillait en lui une indicible douleur.
Mais en attendant les heures sombres, il voulait s’imprégner de cette chaleur glacée, l’enfermer dans son cœur, comme si cela pouvait lui donner la force qui lui manquerait.
Car de la force il lui en faudrait en grande quantité s’il voulait survivre à ce qui allait leur tomber dessus. D’après leur mère, ça risquait de ne pas être simple.
À cet instant, le reste de ses pensées était tourné vers sa sœur.
Était-elle au courant, elle, de la menace qui pesait sur eux? Bien entendu, elle était toujours au courant.
Et comment avait-elle prit la nouvelle de la mort prochaine de leur père? La connaissant comme il la connaissait, il était certains qu’elle avait encaissé tel la forteresse qu’elle était. Toute triste qu’elle devait être, elle ne se laissait sûrement pas abattre et n’en montrait rien. D’autant plus si une rude bataille l’attendait.
Elle était tellement plus forte que lui, qu’eux tous. Elle saurait quoi faire, elle, il n’en doutait pas un seul instant.
Rasséréné plus encore par ses pensées, il se rencogna dans son siège et s’en retourna à ses sensations, se laissant guider par elles, mais aussi par le fiacre qui avançait dans la nuit froide et l’entraînait vers ce qu’il ignorait être le premier champ de bataille de la guerre qui approchait. Il ferma ses paupières.
Éon goutait pour sa part très peu, pour ne pas dire pas du tout, à l’apparente sérénité d’esprit qui envahissait son jeune frère et qu’il pouvait voir se refléter sur son visage somnolant. Comment pouvait-on dormir en pareil situation?
En même temps était-ce vraiment se sa faute? Lui à peine sorti de l’adolescence. À dix-neuf ans Cyprés arborait encore par moment le visage d’un enfant.
Comprenait-il vraiment les enjeux de tout cela? Avait-il conscience de leur situation?
Leur mère n’était pas femme à plaisanter, même en ignorant le danger auquel elle semblait faire allusion dans sa lettre, il savait déjà que ça ne serai pas simple. Il lui faudrait protéger les siens.
Son corps était totalement crispé, son derrière le démangeait tant il avait envie de se lever. Il voulait sortir d’ici, il voulait savoir, il devait savoir. Chaque minute passée dans ce véhicule à réfléchir dans le vide, parce qu’il n’avait même pas matière à réfléchir, était une minute pendant laquelle il aurait pu agir.
Bon sang! Était-ce à cause de sa frustration où le chemin qui part de la porte jusqu’au palais royal lui semblait plus long? Le jour de son départ, il lui avait pourtant semblé très court, trop court.
Il écarta les rideaux qui barraient les fenêtres et passa sa tête à l’extérieur. Avisant le palais royal au loin , il ne pu réprimer un frisson, il lui semblait austère et inhospitalier, se parant d’un voile morne.
Il observa alors la ville, bruyante, grouillante, vivante.
Il ne pu s’empêcher, pendant quelques instants, de détester ces gens, cette populace ignare. Ils riaient, s’amusaient, ne songeant à rien d’autre qu’à leur plaisir.
Ne pressentaient-ils pas la menace qui les guettait. Si la famille royale était en danger, alors c’est tout le royaume qui l’était.
Tous savaient son père malade, mais en les regardant il ne pouvait s’empêcher de se poser la question.
Avaient-ils, tous ces gens, vraiment conscience de la gravité de la maladie du roi? Savait-elle, cette populace, qu’elle lui prendrai son monarque? Ignorait-il, ce peuple, que demain il serait orphelin?
Tant d’insouciance, d’inconscience. Comment pouvait-on?
Mais était-ce vraiment leur faute? Non, sûrement non.
<< Les problèmes du royaume son l’apanage de ses dirigeants. Laissons le peuple Vivre.>>, Lui avait un jour dit son père.
C’est à lui et à ses frères de régler les problèmes du royaume maintenant que leur père les laissaient.
Mais, une autre question lui triturait les méninges. Ces problèmes, d’où venaient-ils?
<< Il meurt et il nous entraîne avec lui […] Les erreurs de notre roi nous rattrapent.>>
Son père serait-il à l’origine des maux qui allaient s’abattre sur eux?
Encore une fois, sa mère ne prononçait jamais un maux à la légère. Elle n’aurait pu imputer à leur père la responsabilité du chaos à venir sans raison valable.
Soudain, le coche l’ayant aperçu lui fit signe de rentrer sa tête. Il ne fallait pas qu’on l’aperçu si tard. Les gens se poserait des questions.
Il s’exécuta et plaqua son dos sur le dossier du siège, bien profondément.
Peut-être devrait-il faire comme son frère. Après tout, pour l’instant il ignorait tout de la menace, alors à quoi bon.
Il ferma les yeux.
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Dans la nuit glacée, les soubresauts du fiacre qui le conduisait à la capitale ne semblaient pour azurin qu’un lent ballottement, ils étaient pourtant bien vivaces. Mais il fallait bien comprendre qu’à cet instant les sensations du jeune prince, très prochainement jeune roi, étaient aux abonnés absents. Son corps, coquille vide, se laissait brinquebaler au gré de la course folle des chevaux.
Il n’était même pas correctement couvert, la morsure du froid ne semblait pas déranger sa peau , déjà pourtant très blanche.
Le visage du garçon était fermé depuis qu’ils avaient quittés son village, il n’avait pipé mot.
Mais l’apparente catatonie du futur souverain n’était que l’autre face de la pièce. la froideur de son visage ne reflétait pas le volcan qu’était son cœur. Volcan que constituaient ses pensées bouillonnantes et ne saurait contenir davantage son éruption, bientôt la lave jaillirait.
Ce soir il perdrait son père, demain il serait orphelin. La colère qui embrasait son cœur à cet instant ne pouvait avoir d’équivalent.
On lui arrachait son père, on ne l’appelait que pour voir le souffle de vie le quitter. Comment pouvait-on?
Il en voulait au monde entier. À commencer par son père, ce père qui lui avait menti.
Menti? Pas vraiment, caché la vérité plutôt. Mais pour lui, à ce moment-là, la nuance entre mensonge et omission n’existait pas. Son père avait menti, sa mère aussi. Il leur en voulait à tout les deux. Ils savaient touts les deux ce qu’ils faisaient, ils savaient ce qui arriverait lorsque son père mourrait. Ils ne lui avait rien dit et son père ne le réclamait qu’au moment où Satira venait le faucher.
Il en voulait à son escorte , ces chevaliers venu l’arracher à la chaleur de son village. Il en voulait à ce prêtre qui venait l’arracher à la quiétude de l’ignorance.
Il en voulait aussi à ce capitaine qui se permettait de l’interpeller de façon fort cavalière.
En effet August ; monté avec eux sous les instructions de Jelling pour être au plus prêt en cas de danger pour son altesse, même si au vu des compétences de la dites altesse, la sécurité rapprochée était plus pour le vieux prêtre ; tentait d’attirer l’attention de son prince en claquant des doigts devant sa royale figure.
Jelling, assis à son côté, lui fit signe de cesser cet agissement fort peu protocolaire.
Le capitaine Azerti, connu pour son outrecuidance envers ses supérieurs et dont seul les talents de guerrier et de meneur d’hommes justifiait la position, le toisa.
Il n’avait pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds par un religieux, fut-il le grand prêtre, qu’il s’occupe donc des dieux et laisse les hommes, les vrais, discuter.
Une question lui démangeait les lèvres et il n’allait pas se gêner de la poser. Pour sa part il ne croyait que très partiellement pour ne pas dire pas du tout à cette histoire de mariage et de prince héritier caché. Quoique ce n’était pas lui, mais les nobles qui jugerai de la véracité de tout cela. En attendant, ce jeune homme n’était pas son roi, d’autant plus que son roi, lui, vivait encore.
Azurin, sorti de sa léthargie par le capitaine, le toisa. Que lui voulait-il? Ce n’était vraiment pas le moment, s’il s’amusait à vouloir discuter, il ferait les frais de sa mauvaise humeur.
– Qu’y a t-il donc? Ce n’est pas une façon d’interpeller quelqu’un, d’autant plus son futur souverain, cracha le jeune brun de tout son fiel.
August se redressa et le toisa. Grand Énantion! Mais c’est qu’il s’y croyait déjà le jeunot. Si Seulement il pouvait imaginer ne serai-ce qu’une infime partie de ce qui allait lui tomber dessus. August le plaindrait presque, mais le regard à la fois confiant et supérieur du garçon tuait en lui toute velléité de pitié.
Il avisa un instant le garçon, voulu répondre une bonnes boutade dont il avait le secret, c’est qu’il avait de la réparti malgré les apparences, mais se ravisa, s’il voulait des réponses, mieux valait la jouer fine. Mais pas trop non plus, hors de question pour le fier sudiste qu’il était de se rabaisser. Il répondit sur un ton qui se voulu le plus neutre possible.
– Toutes mes excuses, votre altesse. C’est simplement voyez-vous, que je me pose une question depuis déjà un bon moment et je pensais que peut-être son altesse accepterait-elle de m’éclairer.
Le jeune prince le toisa de tout son saoul. Pour qui se prenait ce capitaine? Il l’interpellait de façon totalement désinvolte et maintenant il feignait un respect somme toute partielle dans le but d’obtenir des informations. Il lui mettrai des claques.
– Si vous cherchez des informations croustillantes dans le but d’alimenter les racontars ou de jouer celui qui est dans la confidence devant vos hommes, demandez donc à Jelling, visiblement il en sait bien plus que moi sur ma vie, cracha t-il acide.
August afficha une expression torve, puis un demi-sourire.
– Nul besoin pour moi de jouer celui qui est dans la confidence, puisqu’il s’agit d’une vérité. Pour ce qui est d’alimenter les racontars je doute que le peuple lorsque toute cette histoire éclatera prendra le temps de murmurer sur des choses de guerrier car c’est bien de cela qu’il s’agit. Quand à son Eminence, même s’il était intéressé par ces dernières, il serait plutôt connaisseur des pratiques du nord car c’est bien de là qu’il vient n’est ce pas.
Azurin, blasé par le discours du soldat le regardait les yeux cois. Mais que racontez-vous donc? Eût-il envie de dire. Jelling le devança.
– Par Satira, capitaine Azerti que racontez-vous donc?
– Je suis tout simplement entrain de demander à son altesse le pourquoi de la bataille dans l’enclos à laquelle nous avions assisté. Vous n’avez tout de même pas déjà oublié, si?
C’est donc de cela qu’il voulait parler. Pourquoi ne pas lui répondre dans ce cas, se dit le futur roi. Parler de son village pourrait le détendre.
– Ce n’est que cela? Vous auriez pu être plus clair, et puis ce n’est pas le moment.
– Ça ne me dérange pas, coupa le prince.
August toisa le prêtre, être plus clair, facile à dire quand on ne lui laissait pas le loisir de s’exprimer jusqu’au bout. Puis son regard se porta sur azurin, il avait envie de parler lui maintenant.
Jelling rendit les armes et détourna le regard. Si cela les amusait. Lui avait bien d’autres choses en tête.
– Donc , de quoi s’agit-il?
– L’explication est toute simple. C’est une tradition villageoise visant à fêter le retour de la saison des pluies. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’en plus d’être un dieu nourricier, Énantion est aussi un dieu guerrier. La tradition veut qu’a chaque saison des pluies, lors de la première grande averse, les jeunes hommes du village s’adonnent à cette petite bataille pour célébrer le dieu.
– Intéressant, mais petite bataille n’est pas le mot que j’aurais employé. Les coups étaient violents et les blessures réels. Les frappes de son altesse par exemple ne manquaient pas de vigueur.
Le jeune homme sourit à la remarque.
– C’est vrai, mais c’est la conséquence de l’ambition de chacun. S’illustrer dans ces combats est un bon moyen pour que le doyen appuie votre candidature si on a l’intention de devenir soldat. D’un autre côté, même si elles ne sont pas autorisées à y assister, les jeunes femmes ne sont pas insensibles aux exploits qui leur sont rapportés le lendemain.
– Si c’est vraiment le cas son altesse doit avoir beaucoup de succès.
– Sans commentaires. En ce qui concerne les coups vigoureux, j’avais cru faire preuve de retenu.
– Son altesse insinue t-elle qu’elle s’est contenu? Interrogea le soldat avec une pointe de doute dans la voix.
– Si le capitaine ne me crois pas, je serai plus que ravie, un jour que nous aurons le temps, de lui montrer toute l’étendue de mon art.
Grand Énantion! Non seulement il s’y croyait mais en plus il le provoquait. Il se ferait une joie de lui remettre les pieds sur terre.
August aurait voulu également demander où avait-il appris mais il était assez malin pour comprendre que cela amènerai le sujet du roi sur la table. Il avait plus de tact qu’il n’y paraissait.
Quant à Azurin, parler de son village l’avait décidément calmé.