MINDS WAR – Acte III – Central Park – Part.1

14 mins

Alexïne avait insisté pour bander les yeux de Kaylon jusqu’au lieu secret où se trouvaient leurs potentiels alliés. Le grand brun s’était laissé faire sans émettre aucune résistance. Il avait même cédé sa moto et ses armes à ses deux hôtes en guise de première garantie. Kaylon était donc monté derrière Alexïne sur le mototaïl et Lower avait enfourché la petite moto qu’il avait lui-même remis à neuf quelques mois plus tôt.

Arrivés à proximité du lieu prévu, ils laissèrent les deux véhicules sur un petit parking privé à l’abri des regards, où étaient garés d’autres véhicules semblables. Alexïne guidait Kaylon, tenant fermement son bras gauche tout en évitant de se tenir trop proche de lui. Ils marchèrent ainsi quelques minutes jusqu’à ce qu’ils se retrouvèrent devant l’un des portails de Central Park. Il était presque minuit et demi.

Les grilles étaient comme toujours fermées, depuis que le gouvernement intellectualisé avait décidé de mettre en vente l’immense parc, qui n’avait pas encore trouvé d’acheteur tant son prix était exorbitant.

– Où allons-nous ? demanda Kaylon à voix basse.

– Trouver des alliés, lui répondit Alexïne.

– Dans Central Park ?

– Mais comment… ? s’exclama Alexïne, ahurie.

– Je connais la carte de New Virtual.

– Attends, tu veux dire que tu sais exactement par quelles rues on est passé pour venir ici ?

– Affirmatif.

Alexïne lui retira d’un geste rageur le bandeau qu’il avait sur les yeux, grommelant quelque chose comme « Putain de Big Brain… ». Kaylon réprima un sourire.

Lower sortit un passe-partout de sa poche, l’inséra dans la serrure, le tourna et poussa la grille.

– Vous êtes plein de ressources, chuchota Kaylon, ce qui fit sourire Alexïne malgré elle.

Ils entrèrent discrètement et refermèrent derrière eux. Les trois jeunes sentirent l’amorti moelleux de l’herbe sous leurs pieds. C’était une sensation si agréable.

Guidés par Lower, ils cheminèrent au milieu de la flore sauvage et s’arrêtèrent au centre d’une pelouse qui atteignait la hauteur de leurs genoux.

– Et maintenant ? demanda Kaylon.

– Place au spectacle, répondit Alexïne, entretenant le suspens.

Elle tapa du pied à trois reprises. Quelques secondes passèrent avant qu’une trappe ne s’ouvre devant eux, les invitant à entrer dans l’aménagement souterrain. Ils s’y engouffrèrent aussitôt. La trappe se referma derrière eux, redevenant invisible depuis l’extérieur.

Les trois jeunes gens étaient à présent dans un petit sas plongé dans les ténèbres. Une voix artificielle retentit soudainement:

– Prononcez le code.

– “PANDORA OURANOS 1 2 0 4 5 2”, dit Alexïne.

– Code exact. Déclinez pseudos.

– Skyline et Geeky’Boy, annonça machinalement la jeune femme.

– Présence étrangère détectée. Déclinez pseudo ou prononcez code d’autorisation exceptionnelle.

– Code d’autorisation exceptionnelle délivrée ce jour par Arcadian : 63194-811-22194.

– Code d’autorisation validé. Bienvenue.

À cette annonce, la lourde porte blindée du sas s’ouvrit sur un lieu semblable à une boîte de nuit.

– Mais… où sommes-nous ? interrogea Kaylon, indéniablement surpris.

– Nous sommes au QG des Marksmans. Ici, on peut être qui on veut. Les Marksmans sont des jeunes qui mènent une double vie : le jour des citoyens ordinaires, la nuit, des fêtards, des joueurs, des rêveurs. Les membres de cette communauté secrète se protègent mutuellement et s’entraident les uns les autres pour que chacun s’en sorte dans ce monde de merde.

La musique entraînante et les lueurs multicolores des lampes à Shells semblaient répandre une chose invisible mais palpable : lorsque les battements de cœur ne font soudain qu’un avec le rythme des basses et que les yeux se perdent dans la lumière, on se sent ailleurs, on se sent différent. Kaylon regardait autour de lui, pris par ce sentiment de flottement, il lui semblait vraiment expérimenter cette sensation pour la première fois. Du coin de l’œil, il vit Lower s’éclipser sans dire un mot. Mais il le releva pas, car sa curiosité fut attirée vers un sujet plus délicat :

– Quelle drogue utilise-t-on ici pour vivre le jour comme la nuit sans repos ?

Si Kaylon savait amener un sujet sensible avec tact et diplomatie, il pouvait parfois se montrer franchement direct.

Alexïne décida de lui répondre d’une manière toute aussi cartésienne et efficace.

– Des pilules FastNight. Correctement dosées, elles ne produisent pas d’effet addictif et elles nous permettent de réduire notre besoin en temps de sommeil à trois heures par nuit. Certains d’entre nous, pour la plupart ceux qui travaillent dans le milieu médical, sont chargés de vérifier les doses et de réguler la prise des pilules pour chacun d’entre nous.

Le jeune homme regarda autour de lui. Les jeunes jouaient, dansaient, buvaient, discutaient entre amis, s’embrassaient… Il songea à ses dix années d’entraînement militaire, à son enfance et à son adolescence passées dans la Tour de Verre, à son existence qui n’avait jamais eu qu’un seul véritable but : faire de lui le commandant de la future armée de son père. Devenir le plus jeune commandant de l’Histoire. Peu importe ses convictions. Peu importe ses rêves. Tandis qu’il suivait chaque jour ces formations de tireurs, de pilotage et de combat rapproché, ici les jeunes de son âge se rencontraient, se liaient d’amitié, tombaient amoureux… On ne lui avait jamais laissé choisir. Il n’avait jamais vraiment disposé de sa propre existence. Maintenant il ne laisserait plus son père se servir de lui. Il serait désormais son propre maître.

– Chacun a sa place ici, poursuivit Alexïne. Chaque membre a son rôle à jouer dans la vie de la communauté, selon ses capacités, son âge, son intellect, ses contacts… Sur ta gauche, tu peux voir le bar et, à ta droite, notre salle d’arcanes. En face, tu as la piste de danse et notre meilleur DJ, GoldRecord…

– Skyline !

Une jeune fille de petite taille, aux cheveux d’un blond platine très pur et coupés en carré plongeant se précipita vers Alexïne.

– Charm ! s’exclama cette dernière.

Kaylon remarqua la petite étincelle qui brillait à cet instant dans ses yeux noisettes. Aujourd’hui, rares étaient les individus aux yeux bruns. Depuis que les parents pouvaient choisir la couleur de l’iris de leurs enfants avant leur naissance, – depuis 2025 d’un point de vue légal, soit il y avait un peu moins de 90 ans – la tendance s’était finalement inversée, et les personnes arborant des yeux bruns étaient désormais une minorité.

La petite blonde sauta au cou de la jeune femme en s’écriant:

– Tu m’as tellement manqué, Skyline ! Oh, tu nous ramènes un nouveau ?! Génial ! J’en avais marre qu’on m’appelle “la petite nouvelle” !

Elle semblait si innocente, si joueuse. Le grand brun n’avait pas pour habitude de croiser des individus qui portaient sur eux ce sourire sincère et cette joie de vivre. Les abus de pouvoir et les actes violents aujourd’hui ancrés dans le quotidien du peuple américain dessinaient une expression de désespoir sur les visages de tous ceux qui subissaient la pression physique et psychologique infligée par gouvernement intellectualisé. Cependant, cette jeune fille semblait rayonner.

Elle s’approcha de Kaylon et lui demanda :

– Salut ! C’est quoi ton pseudo ?

– Euh… Je… bredouilla-t-il, cherchant ses mots, ce qu’il n’avait pas l’habitude de faire.

– Ah, tu n’as pas encore choisi ?

Alexïne intervint :

– Ici, personne ne révèle sa véritable identité, expliqua-t-elle à Kaylon. Comme je viens de t’expliquer, tu peux être qui tu veux ici. Chacun se choisit un pseudonyme et se crée une double identité, dit-elle avant d’ajouter : Comme tu peux t’en douter, le secret est une de nos spécialités et notre règle d’or.

Puis elle ajouta à l’attention de la petite tête blonde :

– Charm, est-ce que Cybernatus est là ?

– Oui, il se prépare pour la TeknoHunt.

– Ok merci.

– Est-ce que t’aurais vu Crazy par hasard ?

– Non, pas depuis le début de la soirée, désolé.

Charm fit signe à Alexïne de se rapprocher et lui chuchota en souriant malicieusement :

– Je ne sais pas où est-ce que tu es allée chercher ce mec mais ça valait le coup ! Il est super canon !

Alexïne lui fit les gros yeux :

– C’est pas du tout ce que tu crois, Charm, répliqua-t-elle. C’est un…

Elle s’interrompit avant de prononcer les mots « Big Brain ». Il valait mieux pour la sécurité de Charm qu’elle ne sache rien de l’identité de Kaylon.

– …c’est un idiot, se rattrapa-t-elle en lançant un regard noir à l’intéressé par-dessus son épaule.

 Ce dernier se contenta de la fixer d’un air presque confus.

– Tu ne me la feras pas à moi, Skyline! Je te connais trop pour ça! sourit la petite blonde en lui adressant un clin d’œil à la fois adorable et audacieux. Bon, je te laisse avec ton idiot alors. À tout à l’heure !

– A tout’, grommela la jeune femme.

Puis elle se retourna et s’adressa enfin à Kaylon, qui avait attendu patiemment sans broncher.

– Charm est la plus jeune des Marksmans, elle vient de fêter ses quatorze ans. C’est CrazyGamer qui l’a amenée ici. Certains d’entre nous, particulièrement sociaux, ont pour rôle de chercher et d’amener de nouveaux membres, des jeunes livrés à eux-mêmes qui ont besoin de soutien… Bon, maintenant, allons voir Cybernatus… marmonna-t-elle en lui faisant signe de la suivre.

Elle ne devrait pas lui expliquer tout cela. Il ne faisait pas partie de sa famille. Il n’avait pas sa place au QG, pas sa place dans cette communauté. Et pourtant, étrangement, l’envie de lui faire découvrir le monde, à lui qui ne semblait pas vraiment connaître ce qu’elle appelait la “vraie vie”, l’envie de l’aider à ouvrir les yeux lui brûlait les lèvres.

– Cybernatus ? Qui est-ce ? l’interrogea Kaylon en lui emboitant le pas, les mains derrière le dos.

– Notre protecteur à tous. Tu as de la chance qu’il ait accepté de te rencontrer en personne. Je n’aurais pas pris ce risque avec un Big Brain, et encore moins quand ledit Big Brain est le descendant d’un monstre de la pire espèce… marmonna-t-elle en lui jetant une fois de plus un regard acéré lancé par-dessus l’épaule.

« Cybernatus est donc l’esprit de décision de la communauté. Personne ne semble s’opposer à ses décisions. Si je parviens à le convaincre lui, à l’évidence les autres suivront. »

.

À son arrivée au pouvoir en 2103, Darksnow avait chargé son gouvernement de mettre en place un nouveau programme d’enseignement permettant la détermination de la catégorie à laquelle chaque enfant devait appartenir.

La majorité légale avait été abaissée à quinze ans. Si on était sous la tutelle d’un responsable légal, on pouvait suivre les Premiers Enseignements jusqu’à l’âge de huit ans pour les plus dégourdis, dix ans pour les enfants ayant de sérieuses difficultés. Ensuite, on enchainait avec le programme nommé « la Pré-Intégration », programme d’entraînement ayant pour but de préparer les enfants pour le test qui déterminerait leur avenir.

Le test de Valeur Intellectuelle, que chaque enfant passait l’année de ses douze ans – car c’est à cet âge que le cerveau termine sa croissance – établissait son appartenance à une catégorie. Si l’enfant obtenait moins de 200 points au test, il était reconnu comme Below, s’il obtenait entre 200 et 450 points, il était intégré comme citoyen de la Junction. Seuls les intellectualisés se voyaient atteindre légalement plus de 450 points VI à ce test. Bien entendu, il arrivait qu’un enfant issu des deux autres catégories atteigne ce seuil de 450 points, un enfant présentant un “génie naturel”; cependant il ne pouvait espérer accéder à la « classe souveraine » car, comme on pouvait s’en douter, le test était encadré par des intellectualisés, secrètement chargés de s’assurer qu’aucun enfant non-intellectualisé ou non-descendant d’intellectualisés ne puisse accéder à la “classe souveraine”. Pour ce faire, lorsqu’un enfant surdoué passait le test, ils falsifiaient son résultat pour qu’il ne dépasse jamais 450 points de VI.

Dans le sens contraire, la descendance dite « impure » des intellectualisés – soit les enfants ayant bénéficié de l’intellectualisation et qui n’obtenaient pas plus de 450 – était délaissée par la famille, qui lavait son déshonneur en abandonnant les enfants concernés. Ils se retrouvaient alors errants dans les rues, ne dépendant plus que de la pitié des représentants des autres catégories pour survivre. En 2113, sous le gouvernement de Darksnow, l’existence d’un homme dépendait de ses capacités intellectuelles, ou plutôt de la « pureté » de son intellect.

.

Alexïne guidait Kaylon entre les groupes de jeunes qui dansaient, jouaient ou riaient et discutaient activement autour d’un verre.

Haussant un peu la voix pour se faire entendre alors qu’ils passaient devant le DJ, l’intellectualisé questionna la jeune femme :

– Que faudra-t-il que je fasse pour que vous m’accordiez votre entière confiance ?

Même s’il ne put l’entendre à cause de la musique, il remarqua le très léger tremblement de ses jolies épaules et devina le petit rire moqueur et nerveux qui précéda sa réponse :

– Mon entière confiance … ?

Alexïne se stoppa net et se fit volte-face. Kaylon manqua de la heurter malgré ses réflexes et sa capacité d’anticipation exceptionnelle, tant cette réaction était soudaine et imprévisible. Heureusement, il s’immobilisa avant la collision. Ils étaient désormais assez proches pour s’entendre sans avoir à hausser le ton :

– Tu n’auras jamais ma confiance, tu m’entends Smartass ? Un : parce que tu nous as mis en danger tout à l’heure au Golden Lion ; deux : parce que tu fais partie de la secte des Big Brains ; trois : parce que tu es le fils de Darksnow. C’est clair?

– Affirmatif. C’est on-ne-peut plus clair.

Kaylon restait droit comme un piquet, conservant sa posture militaire, les mains toujours derrière le dos.

« Je devrais lui couper un bras pour voir s’il n’est pas un de ces putains d’androïdes que la Spark utilise pour nous filer… » pensa Alexïne en le toisant de haut en bas avant de reprendre sa marche vers Cybernatus.

Pourtant elle savait désormais que Kaylon était humain. Lorsqu’elle avait pris son manteau devant l’entrée de l’appartement souterrain, elle avait senti de la chaleur à l’intérieur du vêtement. Cet individu dégageait de la chaleur corporelle, à la différence des androïdes. Le casque qu’elle lui avait fait porter lors du trajet lui avait permis de constater qu’il respirait car, lorsqu’il l’avait porté, son souffle avait formé une légère buée sur la visière. De plus, en approchant son visage aussi près du sien, elle avait pu sentir sa respiration à l’instant où il avait prononcé le mot « affirmatif ». Il était donc bien un être humain. Un point qu’Alexïne venait d’éclaircir, mais qui ne la rassura que durant un bref instant, car s’il était humain, cela ne pourrait l’empêcher d’être un monstre sanguinaire, comme Darksnow l’était.

Ils parvinrent enfin à une porte illuminée par des néons fluo. Au-dessus de celle-ci y était indiqué, en lettres phosphorescentes : “TeknoHunt – Salle d’équipement”. Alexïne poussa la porte avec énergie et entra, suivit du grand brun au regard bicolore.

La salle bourdonnait d’activité. Des jeunes, tous vêtus de noir, s’équipaient de plastrons, d’une panoplie de protections à la fois souples et résistantes et de casques à visière sécurisée. Un homme d’environ vingt-cinq ans et à forte musculature s’équipait lui aussi. Il était plus grand que Kaylon, qui pourtant dépassait déjà le mètre quatre-vingt-cinq.

– Skyline ! s’exclama-t-il en apercevant Alexïne. Que me vaut ce plaisir ?

– Seccom, Cyna ! le salua-t-elle. J’ai amené celui que tu voulais voir.

– Bonsoir, s’empressa d’ajouter l’intéressé.

Cybernatus porta son attention sur l’inconnu :

– Seccom, mon ami. Cybernatus, chef de la “Meute”, se présenta l’homme au sourire jovial en lui serrant la main.

Cybernatus avait de la poigne.

Kaylon analysa brièvement l’homme qu’il avait devant lui. Plus d’un mètre quatre-vingt-dix, une carrure impressionnante, guerrière, une posture dominante et protectrice de leader. À l’évidence, il s’agissait d’un esprit avenant, altruiste et respecté, sur lequel reposait le devenir de la communauté qu’il dirigeait avec justesse et diplomatie.

– As-tu déjà choisi un pseudo, jeune homme ? le questionna-t-il.

– Malheureusement non, répondit Kaylon. J’aimerais seulement m’entretenir avec vous, Cybernatus: il s’agit d’un sujet particulièrement sensible et urgent qui mérite, je vous l’assure, tout votre intérêt.

Le chef de la “Meute” prit Kaylon à part en passant un bras amical autour de ses épaules.

– Il n’y a qu’un pêcheur bien chanceux pour avoir trouver une perle aussi rare… Tu ne penses pas, mon frère ?

Le jeune homme regarda le chef dans les yeux, sans laisser transparaitre sa confusion. Son esprit s’efforçait de comprendre le sens véritable de cette phrase.

– Elle te plait, n’est-ce pas ?

– Plaît-il ?

Cybernatus lança un regard furtif par-dessus son épaule, en direction d’Alexïne, tout en intensifiant son étreinte amicale autour du cou de Kaylon. Ce dernier comprit où voulait en venir l’autre.

– Pourquoi voulez-vous qu’elle me plaise ? demanda-t-il d’un ton à la fois innocent et impassible.

– Tu nies avoir une quelconque attirance pour elle ? le questionna l’autre sans cesser de sourire.

– Je confirme.

Ce à quoi il ajouta sans broncher :

– Si vous me demandez cela, vous ne devez sans doute pas encore savoir qui je suis ni d’où je viens…

– Détrompe-toi, mon ami, lui répondit Cybernatus en souriant.

Puis il se retourna et s’adressa enfin à Alexïne :

– Moi qui pensais que tu finirais avec Trigger, voilà que tu me ramènes un Big Brain sérieux et coincé ! Tu me surprendras toujours, Skyline !

– Et toi, tu trouveras toujours le moyen de me tenter de t’étrangler, Cyna ! plaisanta Alexïne sur un ton néanmoins sérieux.

Cybernatus lui répondit par un sourire taquin puis il se tourna à nouveau vers Kaylon :

– J’ai deviné ta nature « intellectualisée » quand j’ai constaté que tu peinais à comprendre les métaphores et le second degré, ça les trahit toujours. Et ton pouls ne s’est pas accéléré quand tu m’as menti. J’en conclus que tu as dû suivre une formation d’infiltration ou d’espionnage pointilleuse, à moins que tu sois naturellement un très bon menteur, une autre particularité que l’on connait aux intellectualisés.

« Ce bras sur mon épaule… il a détourné mon attention en provoquant mon incompréhension afin de pouvoir prendre mon pouls sans que je ne m’en aperçoive… » réalisa Kaylon.

– Vous avez vu juste. Excepté le fait que je ne vous ai pas menti.

– Malheureusement pour toi, la dilation de tes pupilles laisse à penser le contraire… répondit l’autre avec un sourire malicieux.

« Ce Cybernatus se révèle particulièrement intéressant. Il pratique une méthode d’intimidation intellectuelle afin de me signifier qu’il protège sa « Meute » et qu’il serait dans mon intérêt de ne pas lui mentir.

Allons droit au but.

Tâchons de faire preuve de tact. »

– Cybernatus, je dois vraiment vous faire part d’informations essentielles concernant…

L’homme à la carrure de guerrier ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Cybernatus adressa un regard complice à Alexïne avant de s’excuser avec le sourire:

– Je suis désolé mais… j’ai une partie de TeknoHunt qui commence dans quelques minutes alors… Je me vois donc dans l’obligation de remettre à plus tard notre discussion. On m’attend.

Kaylon fixa le dénommé Cybernatus durant un instant, parfaitement immobile, la mâchoire contractée et les muscles tendus, avant de s’excuser à son tour puis de saisir Alexïne par le bras pour l’entraîner à l’écart. Au moyen de sa prise mi-douce mi-ferme, il lui fit décrire un mouvement à la fois brusque et délicat, la prenant en aparté.

– Mais… qu’est-ce que tu fais, grommela-t-elle en libérant son bras d’un geste vif.

– Il semblerait qu’il ne veuille pas discuter. Que fait-on ?

– Eh bien… soit tu rebrousses chemin et tu les oublies, soit…

– Soit… ? insista Kaylon.

– Soit tu fais une partie de TeknoHunt avec eux et tu arrives dans les trois premiers du classement général.

– Et dans quel but, je vous prie ? la questionna le jeune homme d’un ton presque indigné.

– Prouver ta valeur. La TeknoHunt est un jeu sacré chez nous. Notre communauté marche à l’instinct collectif : si tu les impressionnes, ils t’écouteront et te suivront tous sans exception.

– Un jeu ? Mon père est en train de créer une armée pour décimer la majeure partie de la population américaine et moi, je dois jouer à un jeu ?

– Merde, Kaylon, Cybernatus te laisse la chance de prouver ce que tu vaux ! s’exclama la jeune femme.

– Mais c’est absurde ! s’indigna le jeune homme, haussant la voix pour la seconde fois depuis leur rencontre.

« Tu n’es peut-être pas si inébranlable que tu le laisses paraître, Big Brain…

Voyons voir si le petit soldat coincé se défile… »

– Écoute, c’est soit tu te bouges pour mériter tes alliés, soit tu fais ta révolution tout seul comme un grand! Qu’est-ce que tu choisis ?

Kaylon resta silencieux un instant puis finit par soupirer, contractant visiblement sa mâchoire:

– Expliquez-moi les règles du jeu de manière rapide et efficace.

.

Kaylon s’était équipé en quatrième vitesse. Il avait enfilé les vêtements près-du-corps noirs que lui avait donné Daïto – l’un des jeunes qui géraient et distribuaient les pièces d’équipement utilisées lors des parties de TeknoHunt – et finissait d’ajuster les protections connectées souples et résistantes qu’on lui avait mis à disposition. Seul restait dans la salle un jeune homme qui devait avoir environ le même âge que lui, de taille moyenne, les cheveux d’un brun sensiblement identique à celui de Kaylon. Ses yeux clairs, à mi-chemin entre le bleu glacé et une rare teinte de velours gris, faisaient de son regard un éclair intense, regard réputé pour son tranchant.

Il se faisait appeler Trigger, bras droit du chef de la communauté et connu également comme le frère de Cybernatus. Un corps et un esprit d’acier, un charisme aiguisé comme une lame, une âme de combattant. On le savait un sniper exceptionnel et un adversaire redoutable au corps-à-corps, on le disait mystérieusement insensible, renfermé, solitaire solidaire et tombeur désintéressé.

Et même si Kaylon n’avait pas connaissance de ces rumeurs, il lisait cela dans la posture, les traits et le regard de celui qui se tenait à quelques mètres de lui, occupé à ajuster ses rangers connectées..

Après avoir fini de s’équiper, il se redressa et s’adressa à Kaylon avec un ton glacial :

– Je sais qui tu es, Big Brain. Tu n’as pas ta place chez nous.

– Je ne fais que passer. Je ne cherche pas d’ennui, répondit sobrement Kaylon.

– Les mecs comme toi ne cherchent pas les problèmes, ils les amènent avec eux!… dit l’autre, se rapprochant, cherchant visiblement la confrontation.

– Je ne suis pas ici pour vous nuire, je vous en donne ma parole.

– Tu sais où tu peux te la mettre ta parole ? s’exclama l’autre en lui empoignant le col d’un geste rapide et assuré.

– …

– T’as vraiment des couilles pour te ramener ici avec tout le mal que ta putain de secte d’intellos nous fait à tous.

– L’enjeu va au-delà de ce que je risque ici, croyez-moi.

– Comment est-ce que tu peux oser me demander de te croire, Big Brain ? Les gens comme toi sont hypocrites et manipulateurs. Ils n’ont aucune pitié et ne servent que leurs propres intérêts.

– Si, dans votre esprit, parce que je suis fils d’intellectualisé, je ne peux être quelqu’un de juste et vouloir l’égalité des Hommes, vous ne valez peut-être pas mieux que ceux que vous décrivez.

Les deux se toisèrent en silence quelques instants. Trigger lâcha finalement le col de Kaylon.

– T’as jamais fait de TeknoHunt, pas vrai Big Brain ? le questionna le Marksman avec un ton méprisant mêlé de sarcasme.

– Négatif.

– Alors prépare-toi à te faire tirer.

Ses traits fermés et son visage austère ne laissèrent à Kaylon aucun doute qu’en au sérieux implacable de son interlocuteur. Bien que notoirement dominé par Kaylon d’une bonne quinzaine de centimètres, il se tenait aussi droit que lui, rivalisant de charisme et de prestance. Trigger fit soudain volte-face et sortit de la pièce, brisant son observation et le laissant seul dans la salle d’équipement vide. Le grand brun entreprit aussitôt de le suivre.

« Tout ce temps de perdu pour passer ce bizutage infantile…»

Kaylon inspira à fond et s’efforça de contrôler ses nerfs. Il se remémora les paroles de Trigger, puis celles d’Alexïne. Il n’avait pas droit à l’erreur. Il allait devoir faire ses preuves. Il avait une décennie de formation militaire derrière lui. Il serait à la hauteur. Il le fallait, pour l’Avenir.

FIN DU CHAPITRE

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Christian P'KLA
1 année il y a

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