Quinze jours !
Cela fait maintenant quinze jours qu’il pleut. De cette pluie sournoise qui fait croire au marcheur qu’il peut encore continuer à avancer et qui, dès le dos tourné pénètre insidieusement jusqu’au plus profond de ses godasses, collant irrémédiablement sa panoplie de randonneur achetée bon marché et tous ces effets à sa peau chair de poule grelottante. Une pluie mesquine qui surprend l’étranger et amuse le Bigouden à vous voir déambuler aussi luisant et détrempé qu’un thon tout juste sorti des filets.
Et puis il y a ce ciel : gris bas, uniforme, plombé, un ciel à ne pas sortir un chalutier. Un ciel désespéré qui vous fait comprendre qu’ici, seuls les habitués ont le privilège réservé de pouvoir déchirer ce voile gras et d’apercevoir enfin le soleil rayonner.
Mais comment ai-je pu m’embarquer dans une telle galère ! Epicure m’avait pourtant prévenu, il a le flair lui… Pour dénicher les mauvaises galères.
Dès que j’avais exprimé l’idée d’aller marcher au fin fond de la Bretagne, en plein hiver, dans une sorte de pèlerinage initiatique sur quelques traces hypothétiques d’une sagesse Celte récoltée au fil de lectures hasardeuses et de réflexions alambiquées, il m’avait regardé avec son air nigaud… Et sa queue, aussi sec, avait bougé dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.
Ce n’était pourtant pas la première fois que sa queue tournait dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, et à chaque fois, je le savais, c’était plutôt de mauvais augure.
La dernière fois, c’est lorsque je m’étais mis en tête de sauter à l’élastique pour la beauté du geste depuis un ancien pont de chemin de fer bucolique à souhait dont j’étais tombé follement amoureux au cours d’une promenade tout près de chez moi.
J’avais alors tout étudié : Je m’étais rendu sur place et avais sondé la hauteur de l’ouvrage grâce à un mètre laser de dernière génération acquis au rayon bricolage d’un supermarché. Puis, sur le chemin du retour, m’était renseigné auprès d’un magasin spécialisé dans la fourniture de matériel d’escalade sur le fourbi nécessaire et la sécurité d’une telle entreprise.
On m’avait conseillé sur le baudrier, les chaussures et le casque à porter, mais le vendeur avait tout de même émis quelques réserves sur la longueur de l’élastique à employer, considérant que sa spécialité était plutôt de grimper que de dégringoler. À ces propos, la queue d’Epicure commençait déjà à mal tourner.
J’étais sorti de la boutique entièrement équipé, fier, avec mon élastique en bandoulière. Ne restait plus qu’à apprendre la technique afin d’être au mieux préparé.
Quelques heures de visionnage de tutos sur You-tube plus tard : J’étais prêt ! Et la queue d’Epicure qui continuait à mal tourner.
La suite ?
Équipement parfait, surtout le casque ! Deux cervicales cassées et six mois de rééducation. Un centimètre trop long, un élastique d’un centimètre trop long ! Vu la hauteur de l’édifice, la marge d’erreur du mètre laser indiquée sur l’emballage (+ ou – 2 cm) était donc de mon point de vue tout à fait acceptable.
Dans le sens contraire des aiguilles d’une montre ! Il m’avait donc pourtant bien prévenu que ce n’était pas une affaire. Et moi, aveuglé par une sorte de lyrisme Bretonnant, je n’avais rien voulu entendre.
Non !
C’était décidé ! Qu’Epicure frétille de la queue ou pas ; rien ne pourrait arrêter mes pas !
Tréguennec ! Un trou… Quatre maisons éparses le long d’une route improbable, quelques volets bleus, une cabine téléphonique et un calvaire à l’entrée du village.
Pas l’ombre d’un menhir à l’horizon, ni de trace non plus de quelconque sagesse Celte. Des cailloux, rien que des cailloux… Des galets plus exactement, fierté apparente des habitants du village. Et des marais glauques dans lesquels mes godasses détrempées s’enlisent inlassablement. Et cette pluie, toujours cette pluie sournoise qui a fini par avoir raison de moi.
Le moral dans les godasses, J’ai froid, mal au dos, la prostate en berne et les couilles en escargot.
La suite ?
Équipement bon marché parfait, surtout les godasses. Un mois alité avec bouillotte, thermomètre et infusions, ce qui de mon point de vue paraît, vue l’aventure, tout à fait acceptable.
Epicure a pour l’instant cessé de bouger la queue.