Il y a une grande croix plantée au milieu de la place du village avec un homme à moitié nu cloué dessus. Il est simplement vêtu d’un pagne trop court et d’une couronne d’épines posée sur la tête. Il a l’air un peu triste.
J’ai remarqué qu’il y en avait d’autres un peu de partout dans les autres villages ou sur les petits chemins de campagne. Il y en a aussi des miniatures dans les cimetières ou à l’intérieur des maisons. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ils se ressemblaient tous à ce point. Je pensais qu’ils étaient frères ou issus d’une seule famille. Ma mère m’a expliqué que c’était toujours le même, qu’il s’appelait Jésus et qu’il était là depuis bien longtemps.
Il avait dû faire une grosse bêtise pour se retrouver puni comme ça. J’ai demandé à maman pourquoi il était là. Elle m’a dit que c’étaient les Romains qui l’avaient cloué, pour donner l’exemple, parce qu’il se prenait pour le roi des Juifs, pour montrer ce qui arriverait à tous ceux qui se prendraient comme lui pour le roi des Juifs.
C’est une drôle d’idée de se prendre pour le roi des Juifs. Il doivent habiter un pays quelque part qui s’appelle la Juiverie, je l’ai vu marqué sur une plaque dans le village : Rue de la Juiverie. Je ne sais pas ou c’est. Je demanderais à l’instituteur.
Elle m’a expliqué que depuis, les croyants en avaient fait un symbole et le mettait de partout où ils pouvaient pour que tout le monde puisse le voir. Que personne n’oublie qu’il s’était sacrifié pour nous.
Je n’ai rien compris. C’est qui les croyants ? En tout cas, moi, je ne lui ai jamais rien demandé, je n’étais même pas là. Et puis, à vrai dire, je ne l’aime pas, il me fait peur avec sa tête penchée et son air désolé.
Le lendemain, j’ai tout expliqué en détail à mon copain Daniel. Lui non plus n’a rien compris à cette histoire de Juifs, de Romains et de croyants. On en a juste conclu que ça devait faire rudement mal aux mains et aux pieds de rester en permanence accroché debout sur cette croix.
Que des fois, il devait avoir faim ou soif et que comme il ne pouvait pas se nourrir, c’était sans doute monsieur le curé qui devait s’occuper de lui, lui donner à manger.
Alors, on a surveillé tous les jours pendant plus d’un mois et à part une vieille qui est venue un après-midi déposer des fleurs à ses pieds, on n’a jamais vu le curé lui apporter quoi que ce soit pour qu’il puisse se restaurer.
On a bien réfléchi.
On pense qu’il est mort et que la vieille ne le sait pas.