Souvenir d’une fleur dorée.

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Titre : Souvenir d’une fleur dorée.

  Cela fait deux ans maintenant que je passe mes journées à attendre à cette fenêtre, espérant qu’un jour peut-être cette fille revienne et ouvre la sienne là en face de la mienne. Je sais pourtant qu’elle ne reviendra pas, mais une sensation embarrassante, un besoin douloureux m’impose de toujours regarder par là ; car si je cesse de l’attendre, peut-être finirai-je par l’oublier ? Je ne sais pas, cela m’effraie. Le week-end dernier je suis allé poser des fleurs sur sa tombe. C’était son anniversaire. Puis je me suis souvenue de son odeur, de son parfum d’adolescente pas très mature, de sa belle chevelure en or, de sa sensibilité de femme, de ces yeux… cyan et brillant. Je me souvenais de notre première rencontre, c’était ma voisine. Sarah, elle s’appelait. J’avais fini par l’aimer. Ma toute première petite amie.

  Lorsque j’eus treize ans, mes parents décidèrent de quitter notre ancienne demeure pour aménager dans une nouvelle villa. Les cartons avaient déjà été emmenés la veille et lorsque nous fûmes arrivés mes parents et moi, je vis au moment de descendre de la voiture, une jeune fille qui nous observait, une adolescente à la chevelure dorée. Ses yeux d’un bleu majestueux, n’avait cesser de nous admirer lorsque nous menions les derniers cartons vers l’intérieur de la maison. Mes parents, envoûtés par cette délicieuse présence à notre voisinage décidèrent de l’accoster. Les parents de la jeune fille, curieux aussi de découvrir leur nouveau voisin, vinrent nous accueillir. Ils nous invitèrent dans leur salon. J’étais timide, je ne voulais pas y aller, mes parent me forcèrent à les assister. Tous assis autour d’un thé, les adultes se mirent à discuter, à se forger une intimité ; ils ne perdaient pas de temps. Sur le fauteuil en face de moi, la jolie blonde me regardait, un regard à la fois attirant et effrayant, qui charmait en même temps qu’il persécutait. Et aussi étrange que cela me parût, je n’arrivais pas à regarder ailleurs, je l’observais certes avec une certaine tranquillité, mais elle m’effrayait. Elle me fit un ” salut ” de la main, je ne lui répondis pas. Je ne l’aimais pas. Ensuite nous fûmes partis. 

  Le jour qui suivi, après avoir explorer l’entièreté de notre nouvelle maison, je me promenai dans le jardin et je finis par me retrouver dehors. La jeune voisine était là, souriante. Elle faisait rire les passantes, de vieilles femmes qui rejetaient leur vieillesse au point de se promener dans la rue sous les chaudes lueurs de l’été. Elle me remarqua puis effectua un geste de salut, je la regardais sans répondre. Je rentrai chez moi. Le lendemain, mes parents et moi étions partie très tôt le matin pour découvrir l’apparence de notre nouveau quartier, à notre retour, elle était là, devant chez elle, entourée de garçons qui semblaient aimer sa compagnie. Mon père me proposa d’aller les assister, c’était une belle occasion pour me faire de nouveau camarade, mais non, j’aimais mieux rester seul dans mon coin. Je pensais fermement que la vie était moins ennuyeuse lorsque nos pensées n’étaient pas constamment altéré par celles d’autrui, être prisonnier de la compagnie des autres, non merci ; pour moi, il n’y avait pas pire pour mener une fastidieuse existence. Pourtant je n’étais pas exclusivement antisocial, mais en voyant cette fille aussi entourée, je compris que nous n’appartenions pas au même monde. Sa faculté innée de préserver l’amitié était une menace vis à vis de notre affinité. Deux pôles opposés, sont certes soumis à l’attraction, cependant les lois humaines sont indépendantes des lois de la physique ; chez l’humain, l’amitié nait souvent de ce petit détail que l’on retrouve chez l’autre et qui est indissociable à notre personnalité, mais aussi de tout ce que ces êtres ont en commun. Je la détestais. Elle me remarqua, me fit un signe de la main, je l’ignorai. Chaque jour depuis elle me formulait des « salut ! », qui n’eurent jamais de retour, n’eurent jamais servit à aucune conversation entre nous. Notre relation persista ainsi pendant deux ans. 

  Puis j’entrai au lycée. Nous allions dans la même école, pas très loin, toujours dans le quartier. Un institut modeste, mais assez coloré, sans uniforme. Elle était une classe au-dessus de la mienne, un an de plus que moi. Je la voyais souvent dans les couloirs, toujours un signe de la main, mais aucune réponse ; j’entendais ses amis se moquer d’elle et lui dire : « tu t’es encore prit un râteau, Sarah ! » puis rigoler dessus.

  Un matin, après avoir fini mon petit déjeuner, j’entendis sonner à la porte. C’était Sarah, la jeune voisine. « Elle ! Pensai-je à la fois irrité et stupéfait, quand donc cessera-t-elle de me considérer ? », ma mère vint voir l’heureux personnage qui demandait la maisonnée, elle fut ravi de voir la jeune fille me demander,

– Je déteste cheminer seule madame, alors je voulais savoir si votre fils pouvait m’accompagner. Je répondis promptement, exaspéré, 

– Non absolument pas. 

– Mais…

– Hé, et pourquoi pas mon garçon ?demanda ma mère.

– Quelle réponse voudrais-tu que je te fasse maman ; je ne veux pas, c’est tout. Va t’en, femme. Je te suivrai plus tard. Elle s’irrita puis partit, ma mère hurlait,

– Tu as été brutal Mick ! Ça je le savais déjà, je me contentai de tendre ma main pour recevoir mon argent de poche qui fut diminué de moitié ce jour là puis je sortis de la maison. Elle m’attendait, je voulu retourner à la maison mais cela s’avérait être une action stupide. J’allais être en retard si je faisais un caprice. Une solution, la fuir. Soudain elle me demanda,

– Est-ce que tu me déteste ?

– Non, mais s’il te plaît ne m’approche plus. Je me mis à marcher, elle chemina avec moi, « ne t’inquiète pas, dit-elle, je n’aime tout simplement pas marcher seule. Je ne dirai rien, je te le promet. », je me sentais quelque peu attristé mais incapable de lui demander pardon, un froid planait entre nous, désagréable, plus âpre à supporter après chaque pas. Ce fut moi pourtant qui eut à l’instaurer, cette atmosphère macabre qui nous unissais dans ce silence. Bientôt nous arrivâmes à l’école où je réussi à me défaire de sa présence.

  Un soir, la climatisation de ma chambre tomba en panne, alors j’ouvris la lucarne et vis que la fenêtre de ma chambre donnait sur celle de ma voisine. Elle n’avait pas ouvert ses volets, mais je voyais nettement ses formes se balader sur la surface en verre, son ombre se mouvoir librement sur les vitraux de la lucarne fermée. Elle était nue, sûrement, et il me sembla qu’elle chantait, une voix rauque et sans mélodie, plus détestable encore que le ronronnement d’une voiture au moteur malade. J’attendis là que la lucarne s’ouvre et que se dévoile ce corps de femme harmonieusement façonné. J’attendis là toute la nuit, plus idiot encore qu’un homme qui cherchait ses propres larmes dans un lac après avoir prit conscience qu’il pleurait pour la mauvaise personne. Elle s’était endormit depuis dix heures. Le jour suivant, j’oubliai d’appeler le dépanneur, et la nuit, je décidais d’ouvrir encore une fois ma fenêtre pour rafraîchir ma chambre. Oh la nuit ! elle qui fut depuis si fort longtemps la demeure des songes et des fantasmes refoulés, elle qui vit à travers la tendresse des corps enlacés, à travers les amours exprimés au travers des caresses brûlantes de deux cœurs unis dans l’obscurité, une science inconnue des célibataires mais néanmoins grandement estimée par ceux-ci, allait déverser dans cette chambre pitoyable la vigueur des vents qui chassent la solitude. « ciel ! Criai-je devant la fenêtre encore fermée, regardes la vie de ton serviteur et chasse la lourdeur du célibat de cette pièce. Amen. » ; j’ouvris les volets avec violence, une fille en face, une blonde, me regardait avec horreur et stupéfaction pendant qu’elle se séchait les cheveux. « Au diable les craintes, Pensai-je, si cette fille m’était offerte ce soir autant me l’accaparer aujourd’hui » ; je m’accoudai sur la base du cadre, le regard droit dans celui de ma proie, que le calme eût été le mot d’ordre qui régentait tout esprit humain face au trouble devint une évidence, mais je devais chercher cette tranquillité ailleurs qu’en moi-même, soudain un acteur de film d’action me vint en tête, James Bond était là, j’étais James Bond. Je ne vivais plus que par l’imitation. « salut beauté ! Que dis-tu de… » elle avait lentement refermée les volets de sa fenêtre. Je demeurai toujours à cette place, hébété, idiot, laid. Au moins la brise de la nuit me tint compagnie. 

  Cette matinée là ma mère me gronda. Elle me demanda de sonner à la porte des voisins, je refusai. Elle pensait que j’étais détestable vis à vis de la jolie voisine. Elle n’était pas particulièrement hargneuse, une douce mère qui dorlote son rejeton, cependant, lorsque ses besoins étaient contestés ou ses humeurs bafouées, cette marâtre aux tempéraments suaves devenait tout autre,

– Sarah est une gentille fille, et toi Mike, t’es qu’un petit connard qui ne vois jamais ce que la nature lui offre comme avantage. Si tu te comportais mieux vis à vis des gens tu aurais déjà une petite amie.

– Maman tu as dit qu’on ne sacrait pas dans la maison. Elle n’écoutait pas, continua,

– Vas sonner à cette putain de porte, sinon tu peux bien partir sans ton argent de poche. Je veux des petits enfants Mickael, des petits enfants tu comprends ?

– Bon sang Maman, merde, je n’ai que quinze ans, elle hurla,

– J’ai dit, on ne sacre pas dans la maison !

– Bien, bien. Répondis-je avec nonchalance tout en sortant de la maison. 

  À l’école, pendant l’heure du déjeuner, je me rendis compte que je n’avais pas de quoi déjeuner. Aussi, je m’ennuyais. Je décidai alors d’arpenter les couloirs à la recherche d’une situation satisfaisante. C’était un de mes passe-temps préférés, tout comme chatouiller ma mère qui me frappait presque toujours après, ou terrifier les enfants dans les airs de jeux, mais cela commençait désormais par m’effrayer : les gosses en colère son terrifiant lorsqu’ils s’unissent pour répliquer ; morsures impitoyables aux fesses, coup de poing dans les couilles, descente monumentale du pantalon ; les mômes tentaient toutes sortes de torture contre leur bourreau, mais surtout, essayaient toujours toutes les tactiques pour assaillir leur assaillant. 

  A-t-on jamais entendu parler de la légendaire anecdote des merveilles du couloir scolaire ? En ces circonstances d’ennui extrême, tant arpentent inconsciemment les couloirs pour visiter la féérie, on y découvre de tout : une altercation entre lycéens qui se transforme en bagarre, une frasque entre meilleurs amis qui s’impose en bagarre, une humiliation entre fille qui dégénère en bagarre ; on ne sait jamais d’où cela viendra, mais il vient que les couloirs sont assurément des arènes de combat. Un garçon s’etouffait près des casiers, son amie, une fille à la poigne forte, lui assénait des coups dans l’abdomen pour le délivrer ; une méthode originale, mais le garçon semblait plus souffrir de ces coups que de son étouffement. Une claque, plus loin. Un garçon venait de rompre avec une jolie demoiselle. Ô couloirs merveilleux, merci, vous ne décevez jamais. Je continuai à marcher. Devant moi, la bibliothèque. Une fille sortit de la salle, une blonde, qui courait dans ma direction, toute attristée, un livre dans les bras. « Une autre rupture ? » pensai-je, elle me vit, je la reconnue, « Sarah ? », elle semblait pressée, comme fuyant une situation, une personne. Elle regarda derrière elle, un garçon sortit de la bibliothèque, il cria son nom. Elle me remit le livre, « tu me le rendra à la maison, d’accord. », un regard charmant dans ses iris vert, c’était la délicatesse qui vivait en cette parole, en cette posture, sur ces lèvres, une aura de jeune fille chagrinée. En cet instant elle semblait vivre de ma compassion, haleter du suspense que lui imposait mon silence, une attente complexée par mon indifférence ; je ne lui répondis pas. Elle était partie avant. 

  Le soir même j’attendis sur mon lit, les jambes croisées un livres à couverture noir à la main, celui que j’avais reçu d’elle. Je lu le titre du bouquin, « ” histoire sur l’évolution des navires “, mais c’est quoi cette merde ! » ; j’eus volontiers lu des BD où des magasines érotiques qui mettent en chaleur, mais un livre illustré comme celui-ci, non merci. Et puis, une explosion, un fracas énorme qui déchira le silence de ma chambre. Je cherchais du regard pour élucider la manifestation du bruit, mais rien n’était susceptible de créer ce grondement. « un esprit frappeur ? », l’effroie était là désormais. Un autre choc, aussi violent que le précédent retentit dans la pièce, mais l’origine semblait provenir du dehors. Une troisième explosion. Cette fois la fenêtre avait remué. La rage monta, j’ouvris les volets, exaspéré à en perdre le souffle. Elle s’apprêtait encore à lancer quelque chose,

– Non mais tu vas arrêter de faire ça ! Comprends que tu déranges les voisins, surtout lorsque tu tentes de détruire leur fenêtre. 

– Oh excuse moi, je m’ennuyais alors je voulais bavarder.

– Bah bavarde toute seule, connasse. Et ne viens plus me perturber. 

– Me traite pas de connasse, enfoiré.

– Je le répète, t’es une connasse ma vieille. Et qu’est ce que tu me lançais au fait ?

– Ah ça, c’était des balles de tennis.

– OK, laisses moi te dire, Sarah, d’abord t’es pas canon, si de plus tu essaies de faire la belle qui lance des balles de tennis à la fenêtre du garçon pour qui elle a le béguin, t’es mal barré. Aussitôt un mouvement brusque de son bras m’avertit qu’elle venait de décocher la comète, je vis la boule recouvrir ma vision, l’œil droit, j’esquivai à tant. Je la haïssais.

– Oh la pute ! 

Un hurlement monta subitement d’en bas, ma mère.

– On ne sacre pas dans la maison j’ai dit. ” Pute ! ” Qui traites-tu de pute garçon inconscient, je suis la seule femme de la maison.

– C’est ce film que je regarde maman, une garce heu… une femme vient de péter la patience d’un type. Sarah grognait,

– T’avais qu’à pas me chercher, abruti. 

– Je te jure, ma fille, que je vais te défoncer le crâne, elle couru chercher une autre balle de tennis qu’elle me lança instantanément. La boule ricochait contre les murs et effleura mon ordinateur. 

– Oh ciel ! criai-je avant d’aller chercher ma balle de basket dans le placard, elle regardait apeurée,

– Tu ne vas pas me lancer ça, n’est ce pas.

– Je vais me gêner tiens. 

  La lucidité prit aussitôt le pas sur mon emportement, je ne pouvais pas risquer de lui faire du mal, mes parents risqueraient de payer les soins, et puis ma balle pourrait bien rester dans cette chambre en face sans plus jamais retrouver son propriétaire. Je remis la balle dans le placard et attendit à la fenêtre. Elle était là en face de moi, dans la même position, coude appuyé contre le cadre, mais regardant sur le côté, la vision égarée. C’était la première fois que je l’admirais aussi longtemps, cela ne me déplaisait pas, le calme la rendait sublime. Ses cheveux se dispersait sur ce visage aux pommettes de feux qui brillait d’un vif charmant dans ce silence glissé entre les cris de hiboux, elle semblait évadée, noyée dans une méditation inédite, mais unie encore à toutes les exigences qui font hommage à la compagnie. C’était sa beauté qui divaguait en ma mémoire, comme un fantôme dans son errance infini des cimetières, une éternité épuisé dans la douleur mais limité aux âmes déchus. J’étais une âme déchu, plongé dans les abîmes pendant fort longtemps déjà, mais amoureux, tout comme les filles, des amours désespérés ; j’aimais le sport, les jeux vidéo, la neige et les revus cochonnes, mais je n’avais jamais autant vibrer de ma vie qu’en cet instant. 

– Comment sais-tu mon nom, Mike ? Je ne te l’ai jamais dit, nous n’avons pas eu l’occasion de beaucoup bavarder tous les deux.

– Ma mère. Elle le prononce nettement ce nom, lorsqu’elle parle de toi. 

– Mais tu ne voudrais pas savoir comment je l’ai su moi, ton nom ?

– Ce serais absurde, non, de discuter autour de ça.

– Oui…oui, c’est vrai. Un ton dramatique, bas comme une timidité. Elle restait silencieuse.

– Ce livre là, que tu m’as demandé de te remettre plus tard…,

– Oh ça ! Laisse tomber, il ne servira plus. Je l’ai acheter pour quelqu’un mais il n’en voulais pas. Il préférait ce genre de truc pourtant. 

  Je répliquai, le coude sur le chambranle de la fenêtre et la main posée sur la joue, un air indifférent.

– Je pense que tu aurais dû lui montrer tes formes en maillots de bain au lieu de lui acheter ce bouquin. Elle rougissait,

– Tu…tu penses que les garçons préfèrent ce genre de choses ?

– C’est évident non, t’as quel âges au juste pour demander ça ?

– Je suis plus grande que toi, bouffon.

– Bah montre moi ta poitrine que je vérifie. 

– Non, gros pervers. 

– Une enfant donc.

– Cherches pas à me provoquer, tu perds ton temps.

  Silence ! Elle semblait intriguée, pensive. Peut-être pensait-elle à celui à qui ce cadeau était destiné. Quoi qu’il en fut, ce désappointement se manifestait nettement sur cette mignonne figure d’enchanteresse.

– Si cela ne te dérange pas, tu peux m’en faire cadeau, ce livre.

– Mais tu as dit que les garçons…

– Ce livre n’est pas très attirant et le contenu est glauque mais, quel importance. Il me servira un jour sûrement. 

  Elle fit un sourire, adorable.

– Tu es gentilles, Mickael. L’atmosphère devenait insupportable pour moi, il fallait que je réussis à m’en défaire avec panache.

– Bonne nuit ! Je fermai les volets et me dirigeai vers mon lit. Une balle de tennis roula sous ma plante de pied, je trebuchai, « Oh la garce ! », je ramassai les deux balles et les jetèrent dans le placard. Il fallait maintenant invoquer le sommeil. Il était onze heure.

  La nuit suivante, après avoir fini mes devoirs de math, je repensai à l’attaque de la jeune fille et me rendit compte que les choses aurait pu mener à une fin plus sinistre. Une balle de tennis dans le visage aurait probablement impliqué ma fin. Je marchai vers mon placard, l’ouvrit et prit une des deux balles immobiles sur le sol. Assis sur le lit, je lançai la balle contre le mur, elle revint, je recommençai. Une succession de heurt contre le mur, des percussions régulières, une sonorité à la fois fascinante et fastidieuse. Je m’ennuyais. Le thermostat était réparé, plus la peine d’attendre à la fenêtre. Un film peut-être, l’ordinateur marchait aussi, mais… pas envie. Ce qu’il me fallait c’était une compagnie, je pensai à Sarah, « aurait-elle envie de parler ce soir ? Hier elle avait envie de discuter, et maintenant ? » ; je me refusais de mendier sa présence, pur principe, une sorte de dignité d’homme à se priver de la femme car je le voyais bien que c’était le désir du sexe opposé qui m’accablait. Je fermai les yeux et attendit. Après une grande inspiration je les rouvrit puis me rendit à la fenêtre, une marche lente et livide comme ceux des âmes errantes qui s’immiscent pesamment dans les couloirs, entre les tombes, à la recherche d’autres âmes errantes égarées par là. J’ouvris les volets, un soulagement ravivait mon cœur, des pulsations justes, celles de la paix offerte par la nuit. Elle était là.

– Salut, Sarah !

– Je me demandais si tu allais finir par te présenter. Je me disais que si tu n’ouvrais pas, j’allais encore user de mes balles.

– Tu en as beaucoup, de ces choses ?

– Tu ne peux pas savoir comme ça m’apaise de les entendre battre…

– …contre le mur, je sais. Aujourd’hui je voudrais bien discuter un peu moi aussi. 

– Tiens, et de quoi veux-tu parler, Mike ? Je ne répondis pas, je n’en avais aucune idée. Elle se chargea de me mener dans son monologue puérile, sur l’amour et les enfants, des sujets aussi délicats que leur nature. Elle s’essaya à chanter, après un extrait détestable, une aberration pour l’ouïe, je lui suppliai d’arrêter. Elle se fâcha et ferma ses volets. Elle les rouvrit peu de temps après, je n’avais pas bougé. Les cheveux dénoués, le visage minaudant pendant que sa main caressait sa chevelure flamboyante, elle demanda d’une voix tout à fait charmante,

– Dis Mickael, est-ce que tu me trouves jolie ?

– Pourquoi tu me demandes ça ?

– Cela fait bien longtemps qu’on se connait sans se parler, je me sens à la fois étrangère et proche de toi, penses-tu que mon apparence puisse pousser un garçon à me posséder ? 

  Je répondis, impassible, 

– Je ne sais pas, tu me trouves beau toi ? 

– Hé, j’ai posé la question la première, et puis cette question ne te concerne pas vraiment. Je veux seulement ton avis.

– Alors crois-moi lorsque je dis que je n’ai pas envie de te répondre.

– Tu es monstrueux, gamin.

– Tu veux dire, monstrueusement mignon comme un gamin.

– Absolument pas.

– Au moins t’as été franche. Dis-moi, pourquoi me demandes-tu ça tout d’un coup ? Elle s’accouda à sa fenêtre, les mains sur le menton, elle articulait sur un léger ton de méditation,

– Je pense que c’est parce que c’est la nuit. En ces moments là on pense à nos incertitudes, à nos faiblesses, à nos douleurs, à l’amour ; et on veux la compagnie pour nous rassurer. Et je t’ai avec moi, ce soir. Ce que je dis est embarrassant n’est-ce pas ?

– Non, tout était bien dit. Sache aussi, Sarah, que je te trouve sublime. Aussi, j’ai adoré te regarder dès notre première rencontre. Tu était la chose la plus éblouissante que j’avais jamais vue, une fille d’environs mon âge, jolie comme le collier en diamant de ma mère. Oups, je crois l’avoir mal dit celle-là.

  Elle regardait, étonnée, extrêmement stupéfaite, les yeux luisant d’une émotion renforcée par la nuit, dans ses prunelles claires comme le jour.

– Tu pensais ça de moi durant tout ce temps ?

– Oui, pourquoi ?

– Et ça ne te fais rien de me le dire ainsi ?

– Je ne sais pas, ça te fais quelque chose à toi ? Ses pommettes se mirent à rutiler d’un rouge cramoisie, Elle s’embarrassait. Elle ferma sa fenêtre, pour de bon cette fois.

  Un jour à l’école, un ami m’offrit un paquet qu’il me demanda d’ouvrir à la maison, « Je ne te dirai pas ce qu’il y a à l’intérieur Mike, mais sache seulement que c’est parce que nous sommes des frères que je te le donne, des camarades de bataille tombé plusieurs fois pour avoir maté dans le vestiaire des filles. » ; ces paroles, même prononcé sans entrain, sonnait dans le cœur d’un mec comme une hymne de bataille, le courage levé sous le blason de virilité de tous les martyrs qui ont défendu jusqu’à la fin, leur créance absolue en la sensualité toute puissante : ce besoin infini de mater des filles nues. Ce camarade dont l’appel me fut parvenu avait lui-même consenti à abandonner son humanité pour toucher au faveur de l’érotisme et fut giflé d’innombrable fois pour défendre sa loyauté. Ô ami de bataille, puisses-tu un jour me pardonner ; je t’avais trahis pourtant, livré à la sentence du mal pour sauver ma peau, mais tu m’aimes encore. C’était la fidélité qui unissait les hommes et les distinguait de la femme, une fraternité immuable qui force la détermination dans les périples qui mènent à la délivrance. Je déchirai le paquet dans un mouvement extatique, à l’intérieur, des DVD. Sur les couvertures, des images luxuriantes de femmes nues. J’avais devant moi quatre DVD de vidéo porno. Ô paradis du cul, qu’eût servit un cœur pour lequel on n’eut pas voulu se livrer aux charmes, visiter la tentation des mondes où s’unissent la chair dans le macabre des pulsions sexuelles. Je m’assis en face de mon ordinateur, j’allumai, je glissai un des disques dans le lecteur vidéo. Ah, c’était l’euphorie ! Soudain, un bruit à la fenêtre. « Ce doit encore être cette fille. Passons. », j’augmentai le volume. Pas d’inquiétude, la pièce était assez insonorisé, ma mère ne risquait pas d’entendre les gémissements. Un autre choc, j’ignorai. J’avais mit mon casque cette fois, persuadé que plus rien ne me dérangerait. J’avais lentement descendu mon pantalon, entraîné par la folie, la stupeur que façonnait les mouvements en face, dans l’écran. Un choc ! Plus puissant encore que les précédents. Le fracas s’était diffusé dans la pièce et avait finit par percer ma concentration. Le courroux monta, impossible à l’apaisement, dans l’élan d’un torrent qui verse sur les terres ou d’une fulgurance qui déchire l’univers. Je me levai, mon pantalon bas et avançai difficilement vers la fenêtre, j’ouvris les volets et j’hurlai ma tranchante indignation,

– Que veux-tu, Sarah ? Me détestes-tu autant pour ne pas pouvoir me laisser vivre même après deux appels auxquels je ne voulu certainement pas répondre ? Si tu veux parler, vas devant ton miroir, tu trouveras très vite quelqu’un qui ne te lacheras pas du regard. Sarah avait les mains sur la bouche, figé de stupeur, abasourdie, elle regardait quelque chose dans ma chambre. L’ordinateur était encore allumé, le porno visible, la sensualité audible. 

– Je ne te pensais pas…ainsi…,

– Ne perds pas ton calme Sarah, je vais tout t’expliquer…, Elle fixait désormais mon caleçon, rendu pesant par l’excitation. On toquait à la porte,

– C’est ta mère, mon chéri, je t’ai entendu crier. Eh, c’est étrange, j’entends des voix. Je peux entrer ?

– Non maman, pas encore.

– J’entre mon chéri…, Je me pressai vers la table où se trouvait mon ordinateur, mais pas assez vite, mon pantalon au pied atténuait ma célérité. Je trébuchai. Par terre, sous le lit, dormais tranquillement une balle de tennis que je saisis puis lançai sur l’écran. Détruire cette machine me ferait, certes, du chagrin mais m’empêcherai toutefois une catastrophe, un châtiment de persécution semblable à celle des suppliciés. La balle passa à côté. Ma mère entra.

  Je regardais maintenant le plafond, deux déclarations, toutes deux des châtiments de mort ; « privé d’argent de poche pour un an. », bien, mais surtout, « Tu ne reverra plus jamais tes DVD, truand. », cette dernière fut la pire des deux. 

  Ma génitrice aux nobles qualités maternelles m’avait privée de toutes mes joies, un affront envers la pudeur l’eût rendu méconnaissable, je le savais, bien des jeunes gens le comprennent ; mais cet outrage valait-il une sentence de ce genre ? la mort même ? Je l’entendis briser mes disques une par une, le caprice inassouvi d’une haine pour les choses qui pulvérise l’innocence, une volonté informulée de mère de retrouver son nourrisson, celui pour qui elle fut obligé de forcer sa maturité pour préserver la vie. J’étais tout pour elle, toute cette colère ne m’était pas seulement destiné, elle se réprimandait elle-même, mais quoi, j’étais bien dans l’âge où toutes ces choses se manifestent. Elle admettait que je pusse me mettre en couple, que je pusse toucher aux caresses affectueuses d’une fille sous toutes les bontés que livrent des corps amoureux, mais n’admettait point que je m’extasiasse devant du porno.

  Dehors, sur la fenêtre d’en face, personne. Sarah avait fermé les volets au moment où elle avait vue ma mère entrer dans la chambre. J’attendis, je priai que cette trappe se déchire sous sa présence, que la belle se dévoile encore par cette nuit, et qu’elle me parle ; je voulais entendre sa voix. Me méprisait-elle désormais, après ce qu’elle venait de voir ? Probable, je voulais juste l’entendre avant de m’endormir. Un craquement, comme celui d’un verrou qui venait de se faire retourner. La surface se coupait en deux ailles qui épaississaient le rectangle clair qui donnait sur une chambre, au milieu se trouvait Sarah, vêtu de sa robe de nuit. 

– Je croyais que tu ne sortirais plus.

– J’ai eu peur de ta mère, j’ai eu peur pour toi. Comment ça s’est passé avec elle ?

– Pas grand chose tu sais. Plus de porno et plus d’argent de poche, juste ça.

– On peut partager mon déjeuner à l’école si tu veux.

– Sans façon, merci.

– Comme des amoureux…

– Mais encore ?

– Je te comblerai de bisou, Mike, et je te suivrai partout. 

– Mes charmes sont trop puissant pour être contenus par une seule femme. Je te tromperai assurément, milady. 

  Elle ria un moment puis s’apaisa, devint plus sereine.

– Tu sais, à moi aussi il m’arrive de visionner du porno.

– Eh vraiment !

– Oui et aussi de me masturber. 

– Oh, la fille de mes rêves ! Mais dis moi, pourquoi est-ce que tu me dévoiles ton intimité ? Les traits de la jeune fille s’adoucirent, elle me regardait avec une sincère attention comme celui que l’on a à la découverte d’un objet sublime, inestimable.

– Je ne sais pas, j’en avais envie. Je ne crains pas de me dévoiler à tes regards. 

  Occasion parfaite ! J’en profitai.

– Bien. Combien de garçon as-tu embrasser ?

– Six… je crois. Et toi ?

– Jamais.

– Tu es sortie avec combien de gars ?

– Deux mecs. Et toi ?

– jamais. Toujours en couple ?

– Oui, mais…

– As-tu déjà couché avec un garçon ?

– Non, jamais.

– Jamais ! Tu as déjà embrasser des garçons, tu es sortie avec deux mecs, toujours en couple, d’ailleurs, et tu me dis que t’as jamais couchée avec l’un d’eux ! 

– Oui, c’est ça. Le silence s’immisça entre nous, comme remontant du gouffre qui nous séparait puis se perdait dans le ciel nocturne, infini et altéré d’étoile. Nous nous regardions, un désir à la fois vague et précis nous condamnait à cette tranquillité agréable. Elle tendit sa main vers moi,

– C’est étrange, dit-elle, tu n’as jamais voulu que je me rapproche de toi, pourtant…, je me sens maintenant plus proche de toi que n’importe qui d’autre sur cette terre.

  Cette paume de main, tendu pour moi, était une volonté. Celle de m’atteindre. Moi aussi, je tendis ma main, une même volonté. Nous étions trop loin pour nous toucher. Un souffle glacial couru avec une sensible frénésie et dispersa nos cheveux.

– Ne voudrais-tu pas te rapprocher de moi, davantage ?

– Tu es folle ! Je ne veux pas me risquer à faire une chute, il faut dire que c’est pas le sol à côté. 

  Elle riait,

–Je voulais seulement que tu me permettes de t’approcher. 

  Je réfléchis.

– Nous sommes déjà assez proche, ici. J’avais briser l’ambiance, elle se mit en colère, elle ferma l’ouverture. 

  Le lendemain, elle vînt me chercher chez moi, elle avait décider de tenter une fois de plus son approche. Ma mère, ravie de la voir, m’observa subtilement avec un dédain colossal, je haussai les sourcils et suivi la jeune fille : j’avais peur de la contrarier. Vis à vis de moi, son impatience était déjà au paroxysme. Si je voulais un jour retrouver cet amour qu’elle dissimulait sous mon argent de poche, je devais me soumettre à toutes ses volontés, car vivre seulement de la cantine de l’école s’avérait être bien trop douloureux. Sarah devint mon compagnon de route. Je finis par aimer sa compagnie. Elle me taquinait très souvent sur les sentes. Elle essayait de me tenir par la main puis maugréait lorsqu’elle voyait que j’avais esquivé ; elle me racontait souvent quelques légendes horrifiques pour m’agiter : elle avait comprit assez tôt que j’étais un froussard ; mais aussi puisqu’elle était toute petite, toute menu, toute mignonne ; depuis cette première matinée ou elle remarqua que j’adorais les blondes, elle me laissait presque toujours caresser ses cheveux si doux, si soyeux, qui ruisselait sur sa tête vers ses épaules, comme des lignes solaires qui descendaient sur les landes flamboyants d’Arizona ; puis elle s’animait, s’échauffait comme une fille qui goûtait aux premières caresses d’un garçon ; et finissait presque toujours par m’entourer de ses bras la tête sur ma poitrine ; si timide, si innocente, si désirable.

  Mais un jour elle ne vint pas me chercher pour l’école. Nous nous retrouvions chaque soir à nos fenêtres pour bavarder, néanmoins ce soir là elle ne se présenta pas. J’allai le jour suivant pour la voir, ses parents me dirent qu’elle refusait de m’accueillir, elle était très malade, et elle refusait ma visite. Je n’insistai pas, mais j’étais torturé de n’avoir aucune nouvelle. Mon cœur œuvrait en dissension avec ma raison, je ne pensais plus qu’à elle, une attache sans précédente signée d’une envergure particulière, une résonance d’amour et de douleur mêlé qui retranscrit les déchirements de l’âme dans les entrailles, une sorte une mortification spirituelle à cause inconnu.

  Par un soir d’orage où les assauts du ciel trépidait sur les tuiles des maisons, une pluie d’automne vigoureuse et destructrice, une image de Sarah sous la pluie régentait toute ma conscience. Cette nuit là je me sentait capable de me glisser entre les trombes d’eau pour aller toquer à sa porte si elle ne se présentait pas au moment où j’ouvrirais la fenêtre. J’ouvris. Mes yeux s’emplirent lentement d’émotion. Elle était là, mais ne m’avait pas encore remarqué ( l’impact des eaux sur la nature avait atténué le bruit de l’ouverture des volets ). Elle regardait en bas, la tête sur ses mains disposées l’une sur l’autre, un châle sur les épaules, le gouffre mouillé qui séparait nos demeures. Elle leva les yeux, elle me vit. Elle hurla quelque chose, je ne pus l’entendre : le rideau de pluie atténuait les sons. Alors on attendit, on se regardait, une vision brouillée par la chute continue des cristaux de juillet, un décor adéquat pour célébrer mes sensations. C’était le ravissement, la félicité. La pluie ralentissait, elle se transforma en bruine. Sarah souriait désormais, un sourire de tendresse, un sourire inestimable. Je lui déclarai,

– Je crois que je suis amoureux de toi, Sarah. Son regard prit du volume, ses prunelles scintillaient, ces auréoles bleus centrées sur moi ou plutôt sur les mots qui s’envolèrent hors de mon âme la rendaient toujours plus jolie au fur et à mesure qu’elle m’observait.

– Tu penses vraiment ce que tu viens de dire ?

– Oui, je le pense vraiment. Durant ces jours où je n’avais plus aucune nouvelle de toi, je ne me sentais plus moi-même, comme si… comme si après tous ces jours qui ont fini par te lier à une partie de moi, tu t’étais subitement retirer en emportant cette partie là. Oui… c’est un peu comme cela que je le vois.

– Oh Mike, tu sais pourtant que je ne suis pas libre.

– Oui, je le sais.

– Tu voudrais que je rompe avec mon petit ami ?

– Oui, tout à fait. Elle riait maintenant,

– Que tu es égoïste, Mike. Bien, je ferai ce que tu veux. Les choses n’allaient plus vraiment bien entre nous de toute façon, j’étais tombé amoureuse de toi depuis bien longtemps. Mais il faut que tu saches quelque chose.

– Quoi, dis moi. Si tu veux m’informer que tu as déjà couché avec ce mec, ne t’inquiète pas, je prends toujours.

– Non, idiot. Mais il faut que je te dise que… je suis très malade. Son regard devint alors plus assuré ; je suis épileptique, une patiente en phase terminale. Elle ferma les yeux, força un sourire ; je pense que je vais bientôt mourir, Mickael. 

– Quoi ! 

  La crainte était revenu, mais cette fois elle prenait une forme autre que la supposition, maintenant c’était la fatalité.

  Les examens de fin d’année me forcèrent à l’oublier un moment. Elle ne venait plus à l’école pendant un mois déjà et avait refuser de me voir durant cette période, pour me permettre la rigueur des études. Les vacances arrivèrent, je restais près d’elle tout le jour ( les parents finirent par me laisser accéder à sa chambre ), je lui tenais compagnie, puis la nuit nous nous retrouvions à nos lucarnes. Elle restait incapable de quitter sa chambre et le froid, l’humidité présente dans la nature crispait ses nerfs où accentuait la fréquence de ses convulsions. Elle était devenu ma petite amie. Nous nous aimions, mais… elle n’allait pas guérir. Nous le savions tous les deux, elle s’attristait pour moi. Un matin sa mère vint sonner à notre porte, sa fille faisait un caprice, elle voulait me voir. Je la suivi, elle me laissa, je montai jusqu’à la chambre de Sarah. Une chambre au parfum de jeunesse, un parfum de fille ; une chambre rangée, colorée, aussi harmonisée que son propriétaire, aussi lumineuse que celle qui y siégeait. Elle était allongée dans son lit, le teint blême, le point serré sur ses draps un peu lourds. À sa gauche, une lampe de chevet. Elle suait, serrait les dents, grimaçait de douleur : elle semblait souffrir. Je l’approchai, m’assit sur son lit.

– Est-ce que tu souffres ? Elle s’apaisa, me sourit.

– Non ça va, tu es là maintenant. Elle souffrait, toutes les formes de douleurs semblait s’acharner sur ce corps frêle de jeune fille, jolie encore dans ses éclats de jeunesse. Je pris sa main, elle la serra, serra, aussi fort que ses forces purent le permettre, une étreinte d’amour, une chaleur de vie. Une chaleur… 

– Je voudrais aller quelque part, Mike.

– Emmène moi où tu voudras, ô adorable fillette ; je suis ton chevalier fou, une part de toi-même. Elle mit sa main sur ma joue, elle m’observait plus sérieusement,

– Je voudrais aller à notre mansarde, peux-tu me porter ? 

– Oui, laisse moi faire. 

  Je retirai les draps de ce corps décharné et blanchi par son absence de santé puis pris dans mes bras cette silhouette fine et sans présence, les courbes les plus parfaites ou demeurait mon amour, la demeure où logeait cet autre vie avec autant d’importance que la mienne. « maintenant, dit-elle, rends toi dans le couloir », je marchai, « continue, tout au fond…, prends sur ta gauche ». Un cul de sac. Uniquement, des marches qui donnaient sur le plafond. « montes et on y sera. », je montai. La pièce était sombre mais la lumière du dehors s’infiltrait lugubrement par une fenêtre de verre. Je la posai. J’ouvris la lucarne, dehors, le ciel gris et lourd enveloppait la vie et diffusait les silences après chaque grondement impérieux du tonnerre sur les toits effacés par la brume. Je m’assis près de Sarah, elle posa sa tête sur mon épaule. Elle se mit à parler, une voix juste, dépouillée de l’infirmité que procure la maladie.

– Hier j’ai rêvé, mon chéri, que tu avais bien fini par m’épouser. On était devenue une famille. Et on avait deux enfants dont je ne me rappelle plus les noms, une fille et un garçon. La fille avait ton tempérament, franc et désintéressé. Le garçon lui était un sensible, tout comme moi. Je suis tombée amoureuse de notre famille, je suis retombé amoureuse de toi.

– Je veux bien te croire, je voudrais vraiment qu’un de nos enfants soit blond aussi.

– Des cheveux châtains comme les tiens ne sont pas mal non plus.

– Et puis…, je t’aime si fort, Sarah. Je m’appliquerai mieux l’année prochaine, je finirai dans une école d’ingénieur, après on se mariera et nous aurons des enfants aussi jolis que toi. Je me mis à pleurer ; je… je ne veux pas que tu meurs avant de m’avoir épousé, d’accord. Tu me le promets ? Elle essuyait mes larmes, elle murmura,

– Oui, je ferai ce que tu voudras. Je te le promet, Mickael. Pourrai-je te demander quelque chose à mon tour ?

– Oui, vas-y.

– Je voudrais que tu… m’embrasses…, 

– D’accord mais je manque d’expérience tu sais, ce sera ma première fois.

– Ça n’en sera que plus agréable, rapproche toi. Le goût de ses lèvres, son odeur, sa main sur ma joue, tout son être me ravivait. Je la serrai contre moi durant tout ce temps où elle me fit toucher à la chaleur de ses lèvres ; je me sentais défaillir, satisfait jusqu’au comble de l’extase. C’était mon premier baiser. Elle me regardait désormais, heureuse de me voir rougir de mes pulsations cardiaques. Puis des larmes se mirent à couler sur ses joues pendant qu’elle souriait encore. « j’espère que tu me pardonneras. », dit-elle seulement avant de me demander de la ramener dans sa chambre. 

  Le jour qui suivit, une ambulance s’était arrêté très tôt le matin devant sa demeure. Plus tard je me rendis chez elle, comme chaque jour, pour avoir des nouvelles de son état. Elle n’était plus là. Son cœur s’était arrêté dans la nuit. Elle fut prise d’une convulsion violente durant la nuit, une douleur impossible à gérer, une douleur qui déchire les muscles, brise les os, retourne les entrailles. « Elle t’a aimé mon garçon, dit sa mère, jusqu’à la mort. Elle avait prononcé ton nom avant de perdre son souffle, le tien, pas celui de son père ni de moi. » ; j’étais tout près de cette chambre, c’était juste la fenêtre à côté, mais je n’avais rien entendu de cette fin amer, même pas les lamentations de la mère. Ce baiser qu’elle m’offrit la veille, n’était autre que son message d’adieu. Elle avait aussi dit, « j’espère que tu me pardonneras », je comprenais enfin. Il y a de ces choses mystiques en ces êtres proches de la mort qui leur révèlent les caractères de leur fin. Elle savait qu’elle allait mourir, qu’elle allait m’abandonner. Elle voulait des enfants, pourtant. Elle m’a menti, elle est partie. C’était un mensonge ? Non, elle voulait fonder une famille, elle m’aimait, mais que pouvait-elle faire contre le sort, contre son humanité, contre sa fragilité ? Pendant qu’elle secouait violemment dans son lit, elle avait ouvert les yeux, prononcé mon nom, trois fois, puis tout prit fin en un instant. Son corps s’était détendu lentement au rythme de sa vie qui lui échappait, avec la même sérénité qu’une bougie isolé qui consumait ses dernières forces dans le vide obscure, comme une journée qui s’éteignait par delà un horizon sans retour, comme une luciole qui après avoir volé jusqu’au lac qu’elle convoitait, avait fini par ne plus scintiller dans la nuit. Sarah était partie maintenant, à tout jamais.

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