La promesse d’un chevalier.

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Titre : la promesse d’un chevalier.

  Un jour ma mère m’a offert une petite sœur. Elle s’appelait Stacy, une Stacy au regard doux comme une caresse de lune et au sourire lumineux comme un scintillement d’été dans le cœur sacré des vivants ; et ce merveilleux sourire doté du pouvoir incroyable de fasciner, fut le premier cadeau qu’elle eût à m’offrir. J’avais cinq ans lorsque je la découvris pour la première fois sur le sein de notre mère, pendant qu’elle pressait le lait de ses jolies joues roses qui accentuaient son magnifique aspect de bourgeon. Lorsqu’elle perçu mon enchantement, ma mère me demanda de la toucher puisque j’étais maintenant son grand frère, je touchai sa main, elle prit mon doigt, serra de sa force sensible de bébé ; elle me disait : « Salut grand frère, regarde, je suis née maintenant pour te tenir compagnie. ». Elle était si chaude cette main, si tiède et si douce, de la douceur d’une vie nouvelle éclose à la terre en faveur de l’amour et de la douleur.

  Lorsque ma chère Stacy eut deux ans, lorsqu’elle apprit enfin à marcher et à dire ses pensées confuses en des termes indéchiffrables, il lui arrivait de passer tout son temps assise en face de moi d’une quelconque manière, tentant presque toujours de me communiquer par un sourire son besoin inconscient de posséder mon amitié. Elle me suivait partout, minaudait lorsqu’elle voulait des bisous ou grimaçait lorsqu’elle avait fini par salir ses couches. Elle m’ennuyait très souvent. Il lui arrivait de s’asseoir sur mes cuisses puis de saisir mon vêtement de ses poings minuscules, et lorsque cela m’agaçait, je me levais puis j’arpentais le salon avec son petit corps accroché sur le mien et elle se mettait toujours par pleurer vue qu’elle avait mal aux bras. Cependant elle ne fut jamais tombée. Un jour ma mère me surprit en train de l’effrayer ainsi, alors elle m’asséna d’abord une série désagréable de fessées puis elle me dit, quand elle vit ma petite sœur me défendre puis pleurer pour moi tout en s’acharnant contre elle ; « regarde, Rémy, comme elle me déteste de t’avoir frappé ; pourtant les enfants ne savent pas haïr, ils s’embarrassent facilement et ont crainte de tout, mais ils apprennent le plus tôt à aimer. Tu es son premier ami, mon chéri, son premier copain et son premier camarade de jeu ; tu es son grand frère. Agis envers elle comme un chevalier pour sa princesse et défis le monde pour elle. C’est ton trésor Rémy. », après avoir écouter ma mère je regardai la petite Tracy qui s’était incliné sur mon torse pour sommeiller. C’était ma princesse. J’étais son chevalier. J’étais son cœur, elle était mon âme ; deux pôles unis sous un même ciel et ce pour toute la lenteur des éternités. 

  À trois ans, elle apprit à craindre les fantômes et les cauchemars, vives manifestations des errances de l’esprit, et elle me retrouvait chaque soir sur mon lit, et elle me chuchotait des mots d’enfant, et elle me machouillait l’oreille ou me prenait d’assaut par ses bisous charmants ; puis lorsqu’elle finissait par avoir sommeil, elle me regardait sans rien dire, tout près de moi, plus sereine, plus muette, plus docile encore qu’un chat qui veille au chevet de son maître puis elle se recroquevillait sur mon cœur pour bercer le sien. Elle devint mon salut.

  Ma chère Tracy fut malade depuis sa naissance. Ma mère lui faisait prendre toute sorte de comprimés et l’emmenait chaque mois prendre une série de piqûres que j’estimais ne point pouvoir supporter si l’on me les administrait autant qu’à elle. Oh, qu’elle fût courageuse ma Tracy. Mais un soir pendant que ma mère faisait pétiller les aliments sur le gril, ma sœur qui en ce moment là jouait avec moi s’effondra subitement sur ses genoux puis tomba sur le côté, elle ramena ses membres crispés vers sa poitrine et commença par suffoquer comme un petit animal à l’agonie. Je l’observais tout souriant croyant qu’elle mimait la douleur telle une ruse pour me voir me rapprocher et me saisir. Très vite les suffocations devinrent plus vives : elle s’étouffait. Lorsque je la touchai, je fus parcouru d’une frayeur incommensurable : ses éclats de sanglots, bas comme des chuchotements, me passaient dans le corps comme des lames puis s’éteignaient dans le vide silencieux du salon. Je couru avertir ma mère du phénomène. Elle la prit dans un tel élan d’épouvante qu’elle en oublia de se changer et la mit dans la voiture ; elles partaient pour l’hôpital. 

  Je revis ma sœur deux semaines après. Elle semblait si faible, si limitée, si triste que je demandai à ma mère ce qu’il se passait, mais celle-ci se mit aussitôt à sangloter. Tracy vint à moi, leva les mains pour m’edicter son besoin de câlin et me signifia par la même occasion qu’elle avait sommeil.

  L’année qui suivi elle entra en maternelle, elle avait maintenant apprivoiser ma couche et venait chaque nuit un livre à la main ronronner pour que je lui lise une histoire avant de s’endormir. Et par une de ces nuits où je revenais enfin des toilettes, je la trouvai allongée le regard lié au plafond, immobile comme un mort ; puis soudain elle se mit à haleter, à suffoquer, des secousses âpres et effrayantes ; elle faisait une crise. Étant beaucoup plus mature qu’autrefois, j’allai chercher notre génitrice qui la conduisit aussitôt à l’hôpital, dans le même état d’effarement que l’année précédente. Ma mère revint le lendemain, seule. Elle m’annonça que Tracy devait se faire interner dans un centre hospitalier : ses crises étaient désormais bien trop répétées, ma mère était allée bien trop souvent la chercher inconsciente à l’école. Je ne le savais pas puisque j’étais dans une autre école élémentaire. Tracy devait désormais vivre loin de moi. 

  Pendant près d’un an, j’allais la voir chaque soir après les cours pour lui tenir compagnie, elle était timide et n’aimait pas s’approcher des autres enfants qui étaient d’ailleurs plus grands qu’elle, et elle avait très peur aussi des vieils gens. « Ils parlent très haut, les vieux messieurs, me disait-elle un jour, mais les mamies sont très gentilles avec moi. », et il m’arrivait de dormir avec elle la nuit puis de repartir le lendemain pour l’école : les médecins et les infirmières avaient fini par manifester leur béguin envers notre fraternité et permirent nos échanges affectives. 

  Par une soirée pluvieuse après l’extinction des feux, elle me demanda alors que j’identifiais, le bras tendu vers le haut, les ombres sur le plafond :

– Grand frère, dis, c’est quoi un rêve ? Je réfléchis longtemps, la réponse fut si confuse dans ma tête que je bafouillai en l’énonçant ;

– Un rêve… un rêve c’est un appel Tracy.

– Un appel ?

– Oui un appel, petite sœur, mais qu’on n’entend pas, tu vois… comme lorsque tu pleures quand je te taquine, tu pleures pour que je m’arrête, pour que je te fasse rire n’est-ce pas ?

– Oui Rémy, disait-elle en riant, et puis j’aime bien lorsque tu me chatouille. C’est drôle.

– Bah un rêve c’est un peu ça, un peu comme vivre dans un monde où tout est drôle, où tu peux tout faire comme voler et aller partout où le temps est beau, mais les rêves ne sont pas toujours vrai tu sais. Les hommes n’ont pas d’ailes. 

  Tracy attrapa mon bras toujours tendu vers le plafond avec ses petites mains de nourrisson.

– Alors tu veux voler grand frère ? Tu voudrais être libre comme dans les rêves ?

  J’hésitais, lui souris.

– Oui Tracy, je voudrais voler jusqu’au bout du monde, avec toi, avec maman et papa.

– Alors je prierai pour toi, mais nous volerons seulement tous les deux d’accord. Maman pleure beaucoup et papa…, et papa crie très souvent. Avec toi je suis heureuse Rémy. 

  Je l’embrassai sur le front. Elle s’endormit. Je repensai toute la nuit à notre discussion sur les rêves, sur la liberté, et le lendemain je fus en retard pour l’école. 

  Par un samedi matin d’automne pluvieux où je décidai de lire à Tracy un livre de conte pour enfant que j’avais acheté pour elle avec mes économies, celle-ci, sous une forme plus solennelle de puérilité, décida de remettre en cause mon identité. Nous étions allongés sur le lit en face du livre et pendant que je lui lisais une des histoires, elle, m’écoutait silencieusement. Puis soudain, lorsque j’eus fini de conter, elle se rapprocha et me donna un baiser sur la joue. Cela faisait longtemps qu’elle n’eût manifesté ainsi sa tendresse. Mais cette fois ces lèvres chaudes qu’elle eût à imprimer sur ma joue semblait exprimer bien plus qu’une simple affection d’enfant. Que lui arrivait-il tout à coup ? Elle demanda,

– Penses-tu, Rémy, que nous nous marierons lorsque nous serons plus grand, comme ce prince et cette princesse ? 

  Pendant qu’elle parlait, ses iris noirs brillaient d’une volonté d’enfant. Je répondis,

– Tu sais Tracy, je ne suis pas ton prince mais ton chevalier. Ma mission est de te protéger pas de t’épouser plus tard. Elle reprit, d’un ton assuré ;

– Tu es mon prince et mon chevalier Rémy.

– Non Tracy, moi j’ai déjà une princesse, elle s’appelle Lucy. 

  Elle fronça les sourcils, rougit, gonfla ses jolies joues et se mit à me fixer d’une vue perçante et chagrine ; elle boudait. 

– Je ne connais personne d’autre que toi Rémy, pour devenir mon prince.

  Ses paroles étaient maintenant lourdes en amertume. Cela faisait près d’un an et demi qu’elle logeait dans le centre et elle n’allait plus à l’école, par conséquent, elle avait très peu de compagnon qui pour la plupart étaient beaucoup plus âgés qu’elle ; des vieux et des adolescents. J’étais triste pour elle. Je réitérai,

– Je suis ton chevalier, Tracy, mais aussi ton prince chéri qui viendra chaque jour te voir et veiller sur toi jusqu’à la fin de sa vie. 

– Oh oui, oh oui, je suis si contente, si contente grand frère. Mais…, et ton amie Lucy ?

– Elle attendra lorsque nous serons plus grand. Je veillerai sur vous deux.

  Elle posa doucement sa tête sur l’oreiller et se mit à m’observer, longuement, silencieusement ; une contemplation du cœur, un chérubin, un ange au sourire de fée.

  

  C’était le jour de son anniversaire, ce jour là je décidai de rentrer plus tôt de l’école pour avoir le temps de lui trouver le cadeau convenable, mais mes économies s’étaient volatilisées dans le précédent cadeau que je lui offris. Alors je lui achetai des pommes dans un pauvre magasin de rue. Elle aimait bien cela mais je voyais aussi qu’elle commençait par s’en lasser ( je lui en rapportait toutes les semaines ). Lorsque j’entrai dans sa chambre, je la trouvai éplorée sur son lit, confuse dans ses sanglots de peine. Elle refusa de me dire sa douleur et se mit à manger les pommes une par une comme pour se consoler du chagrin. Lorsqu’elle en eut assez elle décida de tout m’avouer.

  Elle s’assit sur le bord du lit, le visage bas comme prit d’une soudaine timidité,

– Tu sais Rémy, je ne sors jamais et…, aujourd’hui je voulais me rendre à la plage. J’ai appeler maman pour lui dire, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas venir aujourd’hui et que puisque nous somme en automne, elle ne voulait pas risquer que mon état empire à cause du froid. Mais… je veux vraiment aller à la mer Rémy. Tu pourrais la convaincre, grand frère, de me laisser y aller ?

  Il était vrai qu’elle ne sortait jamais. Il était vrai que le froid risquerait d’aggraver son état ; mais elle voulait aller voir la mer, et maman refuserait assurément. Quel liberté avait-elle si elle ne pouvait pas même vivre cela ? J’étais révolté par la pensée de la voir recluse à tout jamais en ce lieu. Que valait une vie où il n’était pas possible de s’y sentir libre, une existence où l’espoir de vivre même durant un court instant nos rêves n’existait pas ? Elle voulait aller voir la mer, bah il fallait que je l’y mena. 

– Ça te dis de voir la mer avec ton grand frère ?

– Ça ne serait pas amusant si tu ne viens pas, Rémy. 

– Bien, nous partons pour la mer, je te prendrai sur mon dos, il ne faut pas que tu faiblisses en marchant.

– Nous ne prendrons pas un taxi ?

  Oui, cette option était plus simple, mais je voulais tout simplement mimer l’héroïsme, je restai idiot devant celle qui pulvérisa ma confiance. Je cherchai dans son armoire, elle enfila son pull, elle recouvrit sa tête d’un bonnet en laine, je nouai une écharpe à son cou. Elle monta sur mon dos et nous nous faufilâmes dans les corridors de l’établissement. Elle m’avertissait des présences éventuelles, me chuchotait les méthodes pour passer les regards et surtout me soufflait dans le cou pour m’éviter le stress. Une symbiose parfaite pour notre descente harmonique vers la mer. Nous nous élancions maintenant dans les allées ombragées de l’hôpital et nous finîmes par passer le portique d’entrée. « Une promenade pour ma sœur, dis-je au vigile, juste au bout de la rue monsieur. », puis nous allâmes par les rues et les trottoirs. Les sentes était désertes, pas une voiture ne passait, comme si l’appel des ténèbres là haut dans le ciel les eût empêché de sortir de leur terrier. Il fallait parcourir environ huit kilomètres pour atteindre la plage, et huit kilomètres avec une petite fille de six ans sur le dos s’avérait être un rude parcours pour un enfant de dix ans. Pourtant, elle n’était pas très grande. Je marchai, marchai. Au bout d’un kilomètre j’étais déjà horriblement exténué, je n’étais absolument pas habitué à un pareil effort ; mais c’était son anniversaire, j’étais son chevalier et son prince aussi. Elle dormait sur mon dos bercée par les caresses des vents humides de l’automne. Au bout de deux kilomètres, les crampes se succédaient dans mes jambes et j’avais mal aux épaules. Le tonnerre murmurait dans le ciel sinistre, Tracy dormais toujours. Il ne fallait pas la réveiller, j’estimais que le cadeau fût ainsi plus agréable lorsqu’elle se réveillerait. Au bout de six kilomètres, mes genoux instables me lâchèrent quelques fois. Je trébuchai ! Non, je sus me rattraper. Tracy s’était-elle réveiller ? Non, elle se mit seulement par mâcher mon oreille, toujours somnolente. C’était douloureux tout de même. J’avançai. Après cinq heures à marcher avec obstination, je découvrais enfin la berge. Elle était vide, personne pour admirer l’horizon pluvieux avec nous, comme si la nature même eût voulu lui offrir une vue en exclusivité. Tracy avait ouvert les yeux depuis longtemps. Elle descendit brusquement, me fit tomber et se mit à courir sur le sable encore humide des pluies précédentes. Je m’assis ; les jambes chaudes, crispées par l’effort, m’imposait à la tranquillité. Mes mollets se détendaient sous une douleur effroyable ; Tracy se jeta sur ma poitrine pendant que je les massais, « je t’aime grand frère, cria-t-elle ; ô que c’est beau tout ça. » ; elle restait assise entre mes jambes, le regard relevé au loin dans l’obscurité où serpentait les lignes d’argent, les fulgurances qui s’éteignaient aussi vite qu’ils apparaissaient dans ce monde de féérie lugubre. « J’aime ! », murmura-t-elle. Je posai mes lèvres sur son bonnet rose et dit d’une voix atténuée par la laine du chapeau, « Joyeux anniversaire, petite sœur. ». Elle se leva, couru vers la mer et une crainte incroyable me prit d’un coup, une peur semblable à ce soir funeste où je la découvris immobile sur mon lit. « N’y vas pas, Tracy, reviens, reviens, c’est très dangereux par là. » ; oui, un jour un de nos instituteurs ( celui de géologie ) nous avait parlé de la raison pour laquelle il ne fallait pas nous rendre à la plage en automne ; en effet durant cette période le niveau de la mer monte et par conséquent la vigueur des vagues rendent les inondations et les noyades possibles, l’on peut ainsi facilement se faire emporter par la mer si l’on se rapproche de trop près. Tracy revint vers moi, prit ma main et me demanda de la suivre sur le sable. Je ne pouvais plus marcher, je n’en avais plus la force ; mais par un effort violent, je finis par me relever. Je dandinai le long du sable brun avec ma sœur qui me tenait par la main sous le ciel désormais noir comme la nuit, dans les souffles gelés venus des horizons marins. Tracy était heureuse, elle souriait. J’étais heureux, moi aussi. 

  Je m’accroupis, ma sœur monta sur mon dos, je sentis mes mollets se déchirer sous le poids de l’enfant, et j’avançai malgré le frissonnement de mes jambes. Nous avancions sur la voie déserte, constamment chahuter par les gifles perpétuelles et glacées de la nature. La fillette avait froid, j’avais mal dans tout le corps, épuisé par les membres, atterré par les torrents de la pluie prochaine ; je me sentais détruit jusque dans mes entrailles même, ma confiance, cette détermination hargneuse et intrépide qui me fit dévaler les sentes ( huit kilomètres ), tout était anéanti. Seulement, Tracy qui frissonnait sur mon dos. Quel idiot ! Comment eus-je pu la faire sortir par ce temps, comment eus-je pu lui promettre une telle chose que la mer ? Si son état empirait ce fut entièrement de ma faute. Je m’en voulais, elle était la seule chose qui pusse me permettre de marcher jusqu’au bout. Soudain, je l’entendis murmurer sa reconnaissance.

– Grand frère, merci pour tout.

– Pour…pourquoi me remercis-tu, Tracy ?

– Mais pour la plage voyons, pour ce voyage, tu es idiot parfois.

– J’aurai aimé te faire voir ça en été, tout brille en ce moment là, même le sable, même la mer. 

– Alors nous reviendrons l’été prochain. C’est une promesse n’est-ce pas ?

– Oui, je ferai tout pour te faire voir ça durant les vacances d’été. 

  Elle criait de joie. J’étais content mais au bout de mes forces. On avait parcouru deux kilomètres. Je ne pouvais plus avancer même d’un pas : j’eus si mal au niveau de l’échine que je cru qu’elle venait de se rompre ; j’allais assurément tomber. La bruine s’immisceait déjà dans l’espace. Soudain un claxon. Une voiture dévalait la chaussée, elle s’arrêta en face de nous, quelqu’un en sortit. « Des enfants ! Ce sont bien des enfants. », une voix féminine, rendu âpre par la stupéfaction. Elle couru à nous. 

– Que faites-vous là, mes petits ? 

  Tracy s’écria,

– Nous sommes allés voir la plage madame.

– Mais… par ce temps ? Je voulu m’effondrer, la femme me retint. Tracy descendit,

– Vas dans la voiture, commanda-t-elle à ma sœur, je porte ton frère tout à l’heure. Elle me prit dans ses bras et me conduisit à la voiture. Tracy tapotait sa cuisse « faite poser sa tête sur ma cuisse madame, c’est mon grand frère chéri. », elle fit selon la consigne de ma sœur et monta au volant. La femme demanda notre destination et au moment où elle entendit la réponse, elle démarra le moteur du véhicule et nous nous mimes à chevaucher la chaussée humide. La pluie heurtait sur la coque du monstre à moteur, un joli martèlement sur le monde grisâtre, une douce musique de septembre. Tracy me caressait lentement la tête, je m’endormis. 

  Lorsque nous fûmes arrivés, je sentis la femme me prendre dans ses bras. Elle me donna un baiser sur le front et dit, « ta petite sœur m’a raconté ce que tu as fait pour elle. Aujourd’hui c’était son anniversaire, tu t’es bien comporté, mais…, ne refais plus jamais ça mon garçon. » ; elle me laissa aux infirmières puis repartit. L’on me monta dans la chambre de Tracy, ma mère attendait à la fenêtre. On me fit asseoir, elle se mit en face de moi, le visage furieux, et puis…, une brûlure, un choc vif sur la joue me donna aussitôt un mal de crâne terrible. Elle m’enlaça aussitôt après la gifle, la douleur sur ma joue s’apaisa, elle était seulement devenue une chaleur de mère pour sa progéniture, une inquiétude de femme pour son plus précieux trésor. Elle me fit rentrer à notre demeure. Tracy restait seul dans la pièce vide et sombre, sa chambre. Je fus hospitalisé pendant une semaine.

  Le matin de mon dernier jour à l’hôpital, ce fut elle qui me tira du sommeil. Il faisait jour, le soleil dardait ses rayons de feux à travers le grand rideau vert de la chambre où je me trouvais ; je sentis comme une tendresse de fille sur la joue, un doux bécot que je confondais en un rêve. C’était peut-être ma mère ou mon amie Lucy, ou… peut-être, éventuellement ma petite sœur, Tracy. Un autre bisous s’imposa sur l’autre joue puis un autre sur le front, puis un autre sur… les lèvres. Ce fut si doux. Des lèvres aux surfaces molles, aussi douces, aussi tièdes que ceux d’un nourisson, un si long et si tendre bisou de bébé. J’ouvris mes yeux, Tracy était juste au-dessus de moi. Cette frimousse de bébé souriait comme si elle venait de réaliser un prodige. Je bondis hors du lit, exaspéré ; je nettoyais ma bouche ; je criai, irrité,

– Mais c’est dégueulasse Tracy, qu’est ce qui t’as pris bon sang ? Ma sœur riait,

– Si tu voyais ta tête, Rémy. Regarde maman, mon grand frère à peur des bisous. 

  En face, ma mère qui nous observait, elle riait elle aussi.

– Maman t’as vu ça ? Elle va me rendre fou cette petite !

– Voyons Rémy, elle t’a juste effloré les lèvres, rien de bien méchant.

– Oui Rémy, c’était juste un bisous. 

  Je me mis à pleurer,

– Maman, comment on efface les baisers. 

– En donnant un autre bisous, dit Tracy avant de sauter du lit en me voyant la chercher comme une proie qu’on veut éteindre.

  Je me calmai et préparai mes valises. Ma sœur m’assistait. Elle s’approcha tout à coup de mon oreille et me chuchota quelque chose. « Tu sais Rémy, la nuit dernière j’ai vomi du sang et le docteur a demandé à maman de le suivre dans le couloir et moi aussi je les ai suivit sans qu’ils le sachent. Il disait que je ne tiendrai pas jusqu’à l’an prochain ; tu comprends toi ce que cela veut dire ? J’ai bien demandé à maman mais elle refuse de m’en parler. »

  Je me sentis tout à coup comme enchaîné en face du plus terrible démon de ma vie contre qui il était maintenant impossible de se dérober. Je cherchais du regard dans toute la salle comme pour trouver quelque chose à quoi me raccrocher, mais je ne vis que cette petite fille ; elle seule pouvait contenir ma peine mais comme par ironie, c’était aussi elle qui la provoquait. Mourir ? Elle ? Dans un an, seulement un an à vivre avec elle ? Il fallait qu’une chimère, qu’un cauchemar se manifestât pour que je pusse m’en défaire ; là c’était la réalité. Je serrai ma sœur dans mes bras pendant que je lui murmurai : « tu ne mourras pas petite sœur, je prierai pour ta survie, je prierai… je prierai…. », oui lentement je répétais les mêmes mots tel un cantique, tel un appel à l’aide au milieu de la mer dans l’espérance de toucher le cœur de Dieu ou du diable, peu importait qui avait le pouvoir de la préserver de la mort, je lui destinais ma vie pour la sienne…, pour la sienne.

  Durant tout l’hiver, je vécu cloîtré à la maison. Je regardais à travers les fenêtres les points de gèle chuter lentement des cieux comme du coton et recouvrir le monde d’une écume blanche, pâle comme du lait. Dehors, le monde semblait tapis dans le silence constamment troublé par le sifflement des fantômes de glace qui apportait le froid comme s’ils eurent apporté la peur ; et à l’intérieur de la maison ce ne fut pas mieux : les murs, les objets, les planchers, tout semblait avoir apprit les tours du silence et lorsque c’était le moment d’effrayer, la maison semblait recourir à toutes les forces mystiques qu’elle possédât. Parfois un amas tourbillonnant de corbeau planait au-dessus des champs dépouillés ou d’arbres majestueux aux branchages décharnés par le temps. Peut-être que ces oiseaux effrayant eussent-ils été les seuls à être ravis des caprices du vieux hiver durant tant de siècle déjà qu’il vivent maintenant ainsi par habitude ; où œuvraient-ils seulement pour se délasser du froid qui pénétrait jusque dans leur manteau de plume plus ténébreux encore que la sinistrose ambiante, parfois présage d’un appel à la mort. Quoi que ce fût, la présence de ces oiseaux me rappelait chaque jour les paroles de ma petite sœur, comme une condamnation de soi-même et une exécution de notre fraternité. Je restai près d’un mois sans la voir. Elle me manquait terriblement. La neige chutait constamment et obstruait les sentes qui menaient à la maison de soin et ma mère refusa durant toute cette période de m’y conduire. 

  Je rendis visite à ma sœur par un doux matin de décembre où la nature grise inclinait à contempler la solitude avec une mélancolie agréable, je la trouvai en train de se faire décorer par une infirmière. J’avançai lentement dans le couloir de l’hôpital les mains geler dans les poches de mon pull, puis, arrivé en face de sa porte, je l’entendis parler avec quelqu’un. C’était une voix de femme. J’ouvris. « Attention il arrive, il arrive ! » Chuchotait la petite fille à son amie. Elle était assise sur son lit le visage teinté d’incarnat, une mine de joie. Elle portait une robe à froufrou d’un bleu lactescent et avait des rubans roses attachés à ses brins de cheveux noirs si brillants, si beaux qu’il semblât qu’on les ait mouillés. À côté d’elle se trouvait un miroir. Elle m’attendait, ses yeux d’un cristal noir me regardait tel le symbole de son âme. « comment tu me trouves grand frère ? C’est Shamee la gentille infirmière qui m’a rendu belle. Alors, comment tu me trouves ? » ; elle était sublime, mais je ne trouvais pas les mots pour lui déclarer ma pensée, j’étais trop heureux de la voir ainsi déguisée, une véritable fée des glaces. 

– Tu… tu es très jolie Tracy. 

  Elle mit ses mains devant sa bouche et se mit à rigoler,

– Non grand frère pas comme ça, pas comme ça !

  L’infirmière s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille,

– Dis lui, « je vous trouve très jolie ma noble dame ».

  Je réitérai,

– Je vous trouve très jolie ma noble dame. 

– Je préfère le titre de belle demoiselle mon bon, reprenez. 

  Je demandai à l’infirmière,

– Mais où a-t-elle apprit à être aussi insolente ?

– Disons que lorsque tu étais absent, je venais lui tenir compagnie pour jouer ou parler entre filles, je lui ai appris quelques formules durant ce temps. Tu devrais jouer aussi. Je pris une longue inspiration puis reformulai,

– Je vous trouve très jolie, belle demoiselle. 

  Elle tendit le revers de sa main,

– Vous aussi mon beau monsieur, je vous trouve très beau dans votre pull. Approchez garçon et déclare toi…heu non… Approchez mon prince et déclarez votre flamme. 

– Ça veut dire quoi tout ça ?

– Ça veut dire Rémy qu’il faut que tu t’approches pour me demander en mariage.

– Je ne veux pas faire ça moi. Laisses moi tranquille s’il te plaît. 

– Pourquoi ?

– Parce que je ne veux pas, voilà. Qu’est ce qui te prend aujourd’hui ? 

  Elle devint subitement plus calme, le visage toujours souriant,

– Tu sais Rémy, maman m’a tout expliqué. Elle m’a dit que bientôt je partirai loin et te laisserai seul avec elle et que nous ne nous reverrons plus. C’est ça mourir, elle m’a dit. J’ai tout raconté à Shamee et elle m’a dit de passer tout le temps qu’il me restait en compagnie de ceux que j’aime alors j’ai voulu passer le reste de mon temps avec toi grand frère. Shamee m’a dit que ceux qui se marient ne se séparent pas même après la mort, hein n’est-ce pas Shamee ? Celle-ci se mit à pleurer, elle n’arrivait pas à répondre, elle mangeait les syllabes dans ses sanglots si bien qu’elle ne formulait rien d’audible. 

– Elle pleure beaucoup celle là, continuait Tracy, elle reprit. Rémy, marions nous !

  Je vis soudain mon monde se désagréger comme des fibres qui se dénouaient sur un tissu, comme un bout de papier qui se consumait lentement dans un brasier ; la douleur frappait dans mes poumons tel des lames de fer qui déchirent les parois d’une forteresse, mon souffle se perdait, je paniquais. Comment avait-elle pu accepter aussi facilement sa fin ? Je ne voulais pas qu’elle meurt, elle n’avait encore rien toucher de la vie à six ans, mais aussi…, elle n’avait pas grand chose à perdre de cette vie. Elle eut passé deux ans de sa si courte existence cloîtré à cet endroit ne voyant nul autre que sa famille et ces infirmières, personne de son âge ne tenait à elle, personne à part ma mère, à part moi, ne penserait à elle après sa mort. Je me sentais sauvagement indigné par cette pensée. Je la haïssais, je haïssais Tracy, si je l’oubliais maintenant, je ne souffrirai pas de la perdre plus tard. Ces mots heurtaient en mon cerveau continuellement, continuellement, puis ils devinrent paroles. « Je te hais Tracy ! Comment peux-tu accepter aussi facilement de mourir, comment peux-tu dire que tu voudrais passer le reste de ton temps avec moi ? Le reste… le reste… après ce reste il n’y a rien c’est ça ? Après ces quelques mois tu auras disparu c’est bien ça ? Et moi je ferai quoi dis moi, après… ; Il vaudrait mieux pour moi que je t’oublie maintenant. Ça me sera plus facile après. » ; elle se mit à pleurer, je couru vers la sortie. L’infirmière voulu me rattraper dans le couloir mais j’étais déjà loin.

  Cela fit deux semaines que je ne la vis depuis la dispute, depuis ma crise de colère. Toutes les nuits, au moment de dormir, je regardais le plafond en me répétant qu’il fallait que je l’oublie. Le lendemain de l’incident, elle m’avait envoyé une lettre mal écrite et criblée de fautes où elle s’excusait de ce qui aurait pu m’énerver quant à ce qu’elle eût à dire et elle me priait dans ce message de lui revenir au plus vite. Je froissai la lettre puis la jetai avec une hargne féroce sur le mur indestructible, et j’attendis sur le bord de mon lit, les larmes au yeux. Elle n’y était pour rien, je le savais. Elle était maintenant capable de vivre mais non de persister dans cette vie, et c’était moi qui devait lui permettre le bonheur. Contre qui j’eusse été me plaindre sinon contre la mort ? mais cette vilaine faucheuse demeure aussi sourde qu’impitoyable, une force insensible qui flâne éternellement dans le monde tout en arrachant aux humains tout ce qu’il ont de plus chère, une seule chose : une âme. 

  Noël vint, je refusai de le passer avec elle et ce fut pareil pour le nouvel an. Elle continuait par m’écrire des lettres que me ramenait ma mère chaque fois qu’elle allait la voir, je les ignorais toutes. Après trois mois, lorsque mes pensées pour elle commençaient à m’échapper, ce fut les cauchemars qui se mirent à me rappeller son existence. Elle m’envoyait chaque jour des lettres que je ne lisais jamais et par conséquent je n’avais aucunes nouvelles d’elle. Ma mère ne disait jamais rien concernant Tracy. Chaque soir je l’entendais pleurer toute seule dans le salon, de petit hurlement de douleurs comme ceux que l’on octroie à la fatalité, qui montaient dans la maison, traversait les murs, emplissaient les chambres pour enfin m’atteindre dans les rêves.

  Puis un soir je revis Tracy dans un songe. C’était la veille de mon anniversaire. Je me trouvais dans une sorte d’espace infini aux horizons semblables. J’étais debout, les pieds enfoncés dans une sorte de marre qui s’étendait sans fin devant moi, comme au milieu de l’océan dont l’eau limpide et dorée tirait de sa surface des bulles d’or qui montaient vers le ciel rouge et nuageux. Pas de lune, pas de soleil, pourtant tout était visible, surtout cette jeune silhouette en face de moi. C’était Tracy. Elle était affublée d’une robe d’un bleu lactescent, la même que celle qu’elle portait la dernière fois que je la vis. Elle souriait encore. Je sentis monter en moi le ravissement de la retrouver, je me mis à patauger vers elle mais mes jambes devenais toujours plus lourdes à chaque fois que j’avançais. Des mains sortirent de l’eau pour m’attraper les jambes, je trébuchai puis tombai sur mes mains et mes genoux tous dans l’eau, à quatre pattes. Je levai mes yeux effarés vers Tracy,

– Joyeux anniversaire, grand frère ! Dit-elle en tendant les mains devant elle comme pour solliciter une étreinte ; Ah c’est vrai, on ne peut pas se toucher ici.

– Tracy viens m’aider s’il te plaît, je ne comprend rien à tout ça. Il y a quelque chose qui me retient par les jambes. Tracy, Tracy… ;

  Son visage s’apaisa, devint plus sérieux ; 

– Grand frère, je m’en vais.

– Mais, mais où vas-tu ?

– Là où je ne pourrai plus te retrouver, mais avant, j’ai souhaité te dire un joyeux anniversaire. Elle se mit à pleurer ; je t’ai toujours attendu tu sais ? Toujours, toujours, grand frère, et je t’attendrai encore là où je serai ; mais s’il te plaît, ne me rejoint pas trop vite d’accord ? Toi tu as encore Lucy, ici. Après un moment de silence, elle prononça. Au revoir, Rémy.

  Elle se retourna, marchait maintenant vers l’horizon, je criais, hurlais son nom ; des cris effroyables qui me terrorisaient moi-même, mais c’était bien un appel du cœur. Les bulles dorées éclataient maintenant une par une dans l’espace rouge, des détonations progressives qui au fur et à mesure que ma sœur s’éloignait explosaient avec toujours plus de célérité, de puissance ; et très vite les explosions répétées résonnèrent telles des mitrailleuses en furie, puis subitement, les échos devinrent flous. La petite fille marchait toujours sans se retourner, je commençais à comprendre. Je ne pouvais plus continuer à l’ignorer. J’essayai de me dégager les jambes mais d’autres mains sortirent puis saisirent mes bras, et lentement, ceux-ci m’enfoncèrent dans l’eau dorée. Au moment même où ma tête entra entièrement dans l’eau, je m’éveillai. J’étais essoufflé, atterré par ce rêve ou ce cauchemar ( je n’étais pas certain de comment je pouvais qualifier ce mirage ) ; j’avais peur, j’avais mal, j’étais triste, je voulais savoir comment elle allait. Le lendemain c’était mon anniversaire, je voulu le passer avec elle, lui dire que j’étais désolé, lui dire que j’acceptais de l’épouser ( d’ailleurs je pensais aussi épouser son infirmière ) et je désirais de toutes mes forces passer le reste du temps qu’il lui restait à ses côtés. 

  Le téléphone sonna, ma mère qui dormait encore au salon n’entendit pas. Le téléphone sonna une seconde fois, elle se leva et prit l’appel. Elle monta précipitamment les escaliers pour se diriger vers sa chambre, cinq minutes après j’entendis ses pas ornés de tongs effleurer le parquet avec célérité, puis le bruit du moteur de sa voiture se perdit hors de la maison. Elle ne revint pas de la nuit.

  Le lendemain je me rendis au centre pour voir ma sœur et lui déclarer ma résolution. Elle n’était pas dans sa chambre. Ma mère attendait au milieu de la pièce, convulsée par les sanglots qui semblaient provenir des tréfonds de son âmes, auprès des infirmières qui débarrassaient la chambre. Je voulu comprendre ce qu’il se passait. Ma mère le sentit, elle me tendit une lettre de Tracy, entre deux doigts. Je l’ouvris, encore une écriture d’enfant mais l’orthographe par contre fut grandement améliorée : « salut grand frère, c’est ta petite sœur adorée. Je t’ai envoyé des lettres chaque jour mais tu n’as répondu à aucune d’entre elles. J’espère que tu vas bien et que tu penses à moi. Tu sais j’ai beaucoup maigrit depuis, c’était peut-être mieux que tu ne me vois pas comme ça après tout, je suis beaucoup moins jolie. Et puis tu t’ennuierais souvent si tu venais me voir, je passe mon temps à dormir à cause des médicaments et de toutes ces injections qui font mal. Et puis je te demande pardon, Rémy, je vais peut-être trahir notre promesse. Nous n’irons sûrement pas à la plage l’été prochain, mais merci de m’avoir fait voir la mer ce jour là. Je t’aime grand frère. Peut-être qu’on ne se verra pas avant ton anniversaire alors je te souhaite un JOYEUX ANNIVERSAIRE, Jérémy. » ; je souriai puis murmurai,

– Attends de me le dire par toi-même. Maman, où est Tracy ? Ma mère s’effondra, ses petits gémissements se transformèrent en cris de détresse. Un horrible doute me nouait à l’effroi mais il était bien trop tôt pour une quelconque supposition, je feignis l’ignorance puis demandai de nouveau,

– Maman, Tracy, où est-elle ? Celle-ci formula d’une voix toute basse malgré tout l’effort qu’elle mit pour l’exprimer,

– Ta… ta petite sœur est morte Rémy.

  Il fallait alors que je la trouvasse sans vie, il fallait maintenant que je la visse éteinte pour croire à cette fastidieuse plaisanterie. J’insistai auprès d’une des infirmières.

– Tu ne devrais pas voir ce genre de choses mon garçon. Me dit l’une d’elle, ma mère intercéda.

– Laissez le y aller, cela le fera peut-être grandir un peu plus.

  La femme me mena à travers les couloirs, nous nous arrêtâmes devant l’entrée d’une pièce où il y avait d’inscrit « Chambre 0-0 ». Nous entrâmes. Au milieu se trouvait un lit solitaire recouvert d’un tissu blanc ; quelque chose semblait être tapis sous le drap immaculé, une chose réelle, immobile. La femme s’arrêta, « c’est là, tu peux vérifier. » ; je relevai le drap et aussitôt je sentis ma poitrine exploser, brûler, communiquer à tous mes membres la douleurs que lui imposait mon cœur qui se dilatait puis se compressait par une vitesse désagréable à la vue du plus bel objet qui enjolivait ma vie ; ma petite sœur bien-aimée gisait là, endormie, pâle et sans lueur comme le drap qui la recouvrait. Son visage était là, si beau, si mignon, si détendu mais aussi…, si blanc ; un visage sans expression, sans vigueur, sans teinte d’incarnat, sans rien, vide. Je pris sa main, je la posai sur ma joue. Elle était raide, difficile au mouvement, froide. J’embrassai le revers de cette main qu’elle ne me tendra plus jamais pour le baiser et je me mis à pleurer, lentement, sans sanglot, sans sifflement, sans aucun bruit ; aussi silencieusement que dans une communication avec les défunts. Je reposai la main de ma gentille Tracy, je replaçai la couverture, je la touchai au travers du tissu tout en lui chuchotant mes mots d’adieu. Je sortis de la pièce avec l’infirmière.

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