Quand le destin décide de jouer les entremetteurs dans les couloirs impersonnels d’un aéroport, il ne fait pas les choses à moitié. Imaginez un terminal bondé : la cacophonie d’annonces interminables, l’odeur de café trop infusé et l’atmosphère électrique des départs et des arrivées. C’est dans ce théâtre de la routine et de l’aventure que nos deux protagonistes se heurtent.
Thomas, les yeux cachés derrière un roman d’Amélie Nothomb, est le stéréotype même du vacancier : chemise hawaïenne (un choix audacieux pour un séjour au Groenland), short beige, et un sourire nonchalant de celui qui n’a pour horaire que le lever et le coucher du soleil. Il est la personnification du farniente, un apôtre du repos bien mérité, à tel point que même son pas paraît fredonner “La vie en rose”.
À l’opposé du spectre, armée d’une valise aussi robuste que ses convictions, voici Sarah, incarnation de l’efficacité professionnelle. Son tailleur strictement cintré, son regard scannant les tableaux d’affichage plus vite qu’un logiciel de trading, elle est la reine des décalages horaires et des fauteuils de première classe, toujours entre deux rendez-vous.
Leur rencontre, aussi imprévue qu’une averse en plein désert, se produit près de la porte A23. Thomas, trop absorbé par la mésaventure de la protagoniste de son roman, percute maladroitement Sarah. Les feuilles de son dossier “Ultra-important-Très-confidentiel” virevoltent dans un ballet aérien.
“Je vous demande pardon! Votre dossier semble vouloir prendre son propre envol,” s’exclame Thomas en rassemblant les feuilles éparpillées.
“Si seulement il pouvait m’amener à Tokyo sans plus de complication!”, réplique Sarah avec un soupçon de sourire, surpris de se faire une place parmi son stress.
Et là, entre rire et confusion, une étincelle. Pas celle des films à l’eau de rose, non. Une étincelle singulière, faite de curiosité, d’un brin d’admiration pour l’étranger qui leur fait face, et de l’humour du hasard. Parce que, parfois, l’inattendu a le charme de nous déranger agréablement.
Pour ces deux voyageurs d’une route si divergente, cette rencontre fortuite deviendra peut-être la plus belle de leur vie. Car même l’aéroport le plus fréquenté peut devenir le théâtre des possibles.
De retour. L’esprit Divin va les réunir de nouveau dans cet aéroport.
Thomas, avec sa démarche digne d’un empereur romain un peu gauche, s’éloigne sur le trottoir tapissé de feuilles d’automne, qui sautent et virevoltent comme pour souligner le ridicule de la situation. Il rumine sa chance manquée, se demandant comment il a pu laisser partir Sarah sans même oser lui demander son nom. Il s’imagine déjà vieux, assis sur un banc, racontant à des pigeons indifférents l’histoire de la femme aux yeux émeraude qui a filé entre ses mains sans qu’il ne sache pourquoi.
Pendant ce temps, Sarah, d’un pas léger et dans un élan de liberté, s’enveloppe dans l’anonymat de la ville, tout en murmurant des jurons contre sa timidité maladive. Elle s’arrête devant une vitrine de librairie, et son reflet lui renvoie un sourire moqueur. “Ah, Sarah !” se dit-elle, “toujours prête à plonger dans un roman, mais quand l’histoire s’écrit devant toi, tu tournes la page.”
Mais l’univers, dans sa grande machination, n’a pas dit son dernier mot. Comme si nos deux héros étaient les pions d’un échiquier cosmique, le destin se prépare à jouer un tour magistral. Dans la librairie où Sarah s’est arrêtée, un exemplaire d’un vieux livre de poche sur les amours perdus et retrouvées trône, un signet dépassant, comme un indice laissé par un auteur mystérieux.
Pendant ce temps, Thomas, qui essaie de noyer son chagrin dans un café crème un peu trop amer, découvre, oublié sur la table, un téléphone portable rose pailleté qui vibre sans cesse. Curieux, il saisit l’appareil et l’écran affiche un nom : “Sarah.”
Avec un sourire qui se dessine sur le bord des lèvres, Thomas comprend que la pièce n’est pas terminée. Sarah, en même temps, tourne la page du livre pour découvrir des mots griffonnés avec passion, une déclaration qui pourrait bien être la sienne si elle avait eu le courage de l’exprimer.
Leurs cœurs battent à l’unisson, bien que séparés par des rues et des cafés, une onde traverse la ville. Thomas et Sarah se préparent, sans le savoir, à écrire une autre scène. Il ne reste qu’une chose à découvrir : qui osera faire le premier pas pour tourner la page sur un nouveau chapitre de leur vie…
Thomas quitta le café avec une sensation d’ironie douce-amère. Sarah s’éloignait dans la direction opposée, perdue dans ses pensées et le clic-clac de ses talons qui martelaient le pavé parisien. Il ne pouvait s’empêcher de sourire en repensant à leur conversation spontanée, un échange vif, plein d’esprit et de réparties qui aurait fait pâlir de jalousie les dialogues de Marivaux. Ah, si seulement la vie était un roman !
Mais la vie, ce capricieux auteur, avait déjà tourné la page sur cette scène et écrivait la suivante. Thomas ignorait que le ticket de métro glissé distraitement dans la poche de son blouson était en fait la première lettre d’un mot mystérieux de l’univers, celui de la coïncidence.
Il monta dans le métro bondé, où chaque passager semblait le personnage d’une histoire distincte. Là, une vieille dame, chapeau vissé sur la tête, qui parlait toute seule de son chat disparu. Ici, un adolescent au regard vague, écoutant de la musique dont le rythme s’échappait de ses écouteurs. Et juste à côté, un homme en costume, l’air préoccupé, préservant de justesse la dignité de son espace personnel, malgré la proximité oppressante.
Pendant ce temps, le destin, ce scénariste malicieux, n’avait pas abandonné sa plume. Sarah se retrouva à la librairie “Au fil des pages”, poursuivant sa quête insatiable de l’œuvre qui apaiserait son humeur mélancolique. Alors qu’elle scrutait les étagères, la couverture d’un livre attira son attention : “Les Caprices du Métro” – une comédie romantique signée d’un pseudonyme intrigant, ‘Anton V.’. En le feuilletant, elle ne put retenir un gloussement ; une réplique lui rappelait étrangement la verve de Thomas.
De son côté, Thomas ne s’était pas rendu compte, alors qu’il esquivait un passager trop pressé, que le ticket de métro avait glissé de sa poche, atterrissant sur le sol comme une invitation à l’inconnu. Une jeune femme, vêtue d’un imperméable rouge vif, le ramassa. Elle l’interpella, mais Thomas, absorbé par les vicissitudes de son trajet quotidien, ne l’entendit pas.
La jeune femme, Marie, avait toujours eu la manie de lire tout ce qui lui tombait sous les yeux. Dans l’obscurité du wagon, elle examina le ticket et remarqua quelque chose d’insolite : un numéro de téléphone griffonné au dos, entouré d’un cœur. Son cœur fit un bond. Était-ce le laissez-passer pour une aventure ?
Elle se décida alors et glissa un mot avec son propre numéro dans la poche de Thomas. Un sourire espiègle fleurit sur ses lèvres ; peut-être était-elle l’héroïne anonyme du prochain chapitre du destin de cet inconnu.
Arrivé chez lui, Thomas retrouva le ticket et le numéro de Marie, intrigué. Devait-il appeler ? Ce genre de choses n’arrivait que dans les romans, sa spécialité. C’est drôle comme parfois la vie décide de vous rappeler vos propres fictions.
Sarah, quant à elle, acheta impulsivement “Les Caprices du Métro”. En sortant, elle bouscula un homme tenant un chien en laisse. Elle s’excusa précipitamment, mais quelque chose dans le regard de l’homme l’arrêta. C’était Anton V., l’auteur du roman qu’elle tenait. Il la reconnut à son tour, ému par l’étrange synchronicité des événements. Après des présentations surréalistes, ils décidèrent de prendre un café ensemble.
Le lendemain, Thomas sursauta en voyant son livre dans les mains de la femme dans le métro. C’était Sarah. Elle lui révéla alors la vérité : elle n’était autre que la nièce d’Anton V. et le livre qu’elle lisait la veille, celui qui avait inspiré leur échange au café, était le sien.
Et si la vie était un roman, après tout ? Où chaque personnage que vous rencontrez joue inéluctablement son rôle, où chaque billet de métro peut être le début d’une nouvelle aventure, où chaque choix est une chance de changer de chapitre. Thomas sourit. Son téléphone à la main, il composa le numéro de Marie. La roue tourne.
Sacha AI