I

4 mins

10 décembre 2019


Cette nuit encore tu te tenais là, dissimulé dans la pénombre et m’observant dormir. Tu cogites sur toi, sur nous ; sur ce choix que j’ai dû faire malgré moi, pour toi et contre nous. La chaleur de l’été peine à masquer la froideur de ton cœur. Je voyage au Pays des rêves et pourtant, je vous sens ; tes colères, tes peurs, et toi. Tu cherches à comprendre l’inéluctable. Je bouge et ce drap glisse au sol. Tu esquisses mon sourire. Un authentique, plus que ceux greffés quotidiennement, mais qui ne trompe que toi. Ton regard s’égare sur mon corps dénudé, perlé de sueur et s’attarde sur ma cheville. Tu sembles surpris là où je sais qu’ils t’avaient prévenu. Il te fallait le voir pour y croire. Ancré de manière banale, un dessin subtil n’ayant de sens que pour les seuls concernés. Notre histoire à peine entamée, déjà bien entachée. Si la haine est vaine et l’amour toujours avisé, cette phrase musicale t’apparaît bien ironique. Ce semblant d’ouverture sur notre porte sans serrure. Tu me contemples une nouvelle fois, empreint d’un profond désir. À défaut de me rejoindre, tu replaces délicatement l’une de mes mèches blondes, tombant au creux de mes lèvres. Ton cœur se serre en voyant ta boucle sur mon oreille. Je m’agrippe à ton poignet et me redresse. Mon regard vif se braque sur le tien alors que je te murmure ces mots : reviens-moi.

Le jeune homme se réveille en sueur et lorgne aussitôt l’horloge murale. Quatre heures trente. Sachant qu’il ne pourrait malheureusement pas se rendormir, il se lève, mais manque de se prendre le mur en glissant sur le carrelage. Il soupire tandis qu’il se retourne vers sa compagne, mais contemple une place vide. Subtil rappel quant au fait qu’il ne se trouve pas chez eux, mais dans le lit de son amie. Précisément dans cet appartement qu’il continue de payer, malgré l’absence de celle-ci. Lùca n’avait jamais accepté sa disparition et se refusait à s’en séparer. Sa compagne, qui ne comprenait pas ce besoin, faisait son possible pour le soutenir, tout en espérant que cette sale habitude finirait par se raréfier au fil du temps. La jeune fille avait créé moult disputes au sein du couple autant que dans leurs amitiés. Illan et lui s’étaient lourdement fâchés et depuis, ils ne se parlaient plus. Celui-ci lui reprochait sa disparition. Quant aux autres, elle était tabou, ce qui l’avait fait enrager plus d’une fois. Ses amis ne comprenaient pas son obsession et s’en tenaient à la version officielle, bien qu’en défonçant la porte de l’appartement 317, tout était en place. La demoiselle n’avait emporté aucune de ses affaires personnelles. L’occupant provisoire des lieux grommelle quand son regard s’attarde sur cette photo d’eux qu’elle avait cachée tout au fond du tiroir de sa commode, mais qu’il a remis au mur, là où était sa place. Ils riaient aux éclats, essoufflés, sur leur banc à l’ombre du chêne. L’œil triste, il se décide à aller prendre sa douche avant d’être bloqué par les souvenirs qui, comme toujours à cette date, remontent en surface. Il ira ensuite courir, ayant besoin de sortir et d’évacuer cette colère progressive.

Comme tous les ans à la veille de la date fatidique, Lùca refaisait leur chemin. Il passe devant leur ancienne école d’art, mais ne s’y attarde pas. Le jeune homme la contourne et traverse le parc. Il rejoint l’étang désormais asséché où ils aimaient se baigner. S’emplissant des souvenirs, il s’arrête et sort son casse-croûte. Adossé contre le muret en pierres, il observe ce chêne qu’il trouve toujours plus majestueux. Comme chaque année, il se demande où elle est et ce qu’elle peut bien faire. Mais, plus important encore, avec qui. Son repas terminé, il reprend sa course qui l’emmène devant le commissariat de police, lieu bien trop familier. Il n’est pas surpris d’apercevoir Eliott dehors, une cigarette à la main. Ils s’observent quelques minutes. Les deux hommes n’ont jamais vraiment été amis, mais cet homme l’aura plus que quiconque soutenu, là où d’autres le suppliaient de se reprendre. D’un hochement de tête, il repart. Il a cette envie de hurler au monde sa détresse, sa tristesse. Il sait que c’est la dernière fois qu’il remet les pieds dans cet immeuble. Bien que le mariage n’ait finalement pas eu lieu, sa compagne espérait toujours et le jeune homme se sentait céder. Il crache ses poumons quand il revient, trois heures plus tard. Il ouvre par habitude sa boîte aux lettres qu’il sait vide de tout courrier, hormis quelques impayés. Machinalement, il prend ce qui s’y trouve et rentre prendre une énième douche. Il dépose sur la table du salon ce qui l’encombre sans y prêter attention. Quelques minutes plus tard, des gouttes d’eau tombent sur son torse et une serviette autour des hanches, il s’étonne de l’enveloppe jaune épaisse. Il bloque sur ce qu’il lit. Si l’adresse pré imprimée est celle d’Élie, le destinataire n’est nul autre que lui-même.

Monsieur Lùca Parsons.
Chez Élie Bennet.

Il l’ouvre non sans crainte et ce qu’il y trouve laisse l’homme perplexe. Un téléphone que l’on vient d’acheter, à en juger par sa boite et une note « 101215 ». Pris d’un malaise, il bascule sur la chaise. Le code choisi n’est autre que la date qui le rend malade. Tenant l’enveloppe, il la tourne à plusieurs reprises, comme si un mystérieux indice allait apparaître subitement sur l’expéditeur. Mais rien. La seule solution est de le recharger pour ensuite pouvoir l’allumer.

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