Les Crapules de la Cabane – Chapitre 23

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                                            Chapitre 23 : Le fou

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— Monsieur Dixon ? me demanda froidement, l’un des trois. Nous sommes à la recherche d’un homme, et nous pensons que vous pouvez nous aider. Votre ami nous a indiqué que vous aviez discuté avec lui, un peu plus tôt dans la journée.

Le flic désigna Walter d’un signe de tête. Celui-ci m’adressa un sourire machiavélique, ravi de me mettre une bande de policiers dans les pattes. Il savait que je n’étais pas leur plus grand fan, et tout le monde connaissait mon passif de petit criminel de bas étage. Je n’avais jamais été en prison, mais je connaissais les cellules de garde à vue et de dégrisement par cœur, tout comme le reste de la bande. Ce n’était pas un hasard si on nous surnommait les Crapules.

Je connaissais tous les flics de la ville, mais je n’avais jamais vu ceux-là auparavant. Une unité de Manchester, probablement. C’était aussi bien. Ainsi, je m’épargnais un interrogatoire désagréable, comme ceux auxquels j’avais droit habituellement, à chaque fois qu’un policier s’adressait à moi.

— C’est pas mon ami, déclarai-je suffisamment fort pour que le vieux m’entende depuis son comptoir.

Il me répondit aussitôt par un bras d’honneur, avant de retourner à ses clients. L’un des flics se racla la gorge, et tous les trois ignorèrent volontiers notre petite querelle de bistrot.

— Il s’agit de Tony Corbyn. Il se fait appeler « Il Pazzo », enchaina le deuxième policier.

Et merde. Cet idiot était recherché. S’il se faisait coincer avec la marchandise que je lui avais confiée, j’étais certain qu’il me balancerait. J’avais perdu mes amis, l’amour de ma vie, mes rêves de devenir un grand gangster un jour, et voilà que maintenant j’allais finir en prison. Je me rassurais en me convaincant qu’il ne pouvait rien m’arriver de pire, à ce stade. Et d’un autre côté, je me disais que cette journée avait encore beaucoup de potentiel pour me faire vivre un enfer jusqu’au bout, au vu des emmerdements que j’avais déjà enchainés depuis ce matin. Putain de journée de merde ! J’avais hâte qu’elle se termine !

— Il prétend être italien, mais c’est faux. Si vous avez quelques notions de cette langue, alors vous l’aviez déjà deviné.

— Comment ça ? demandai-je, sans comprendre où il voulait en venir.

— « Il Pazzo », intervint le troisième flic. Ça veut dire « le fou ». C’est comme ça que les autres patients le surnommaient, quand il était interné en hôpital psychiatrique, à Manchester. Il s’en est échappé avant-hier.

Je sentis ma gorge se nouer. Mes yeux se figèrent, écarquillés. Je réalisai avec effroi, que j’avais donné un gros paquet de cocaïne à un malade mental, et que je ne reverrais jamais ni l’un, ni l’autre. Mon plan, pour restituer les trois briques de prétendue cocaïne à leurs propriétaires, venait de s’envoler.

Ainsi, je me rappelai que j’avais sous mon t-shirt deux fausses briques de drogues et que si ces policiers s’en rendaient compte, je me ferais arrêter. Ils finiraient par constater que ce n’était que de la farine mais, le temps que je parvienne à expliquer les raisons qui m’avaient poussé à me balader dans la rue, en pleine nuit, avec de la fausse cocaïne planquée sous mes fringues, les deux gangsters auraient déjà descendus mes amis. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Je devais m’en débarrasser.

— Ah ? me troublai-je en tentant de modérer ma stupéfaction.

— C’est un homme dangereux, et un escroc. Il est urgent que nous le retrouvions. Vous a-t-il dit où il allait ?

Je me contentai de secouer la tête et d’afficher une moue désolée en haussant les épaules. Moins j’en disais, mieux c’était. Sous pression, je devenais un bien piètre menteur. Et mon cœur s’emballait déjà d’angoisse.

— De quoi avez-vous parlé ?

— De choses et d’autres, des banalités. Rien de spécial. On a juste bu un verre.

Les trois hommes en uniforme échangèrent un regard dépité.

— Bien. Nos équipes sont déployées dans toute la ville, mais si vous le revoyez, appelez-nous immédiatement, d’accord ?

Je secouai à nouveau la tête, d’un hochement affirmatif, cette fois.

— Ne tentez rien par vous-même, ce serait risqué. Nous le soupçonnons d’être armé.

Toujours muet, j’acquiesçai à nouveau, et restai stoïque jusqu’à ce qu’ils quittent le pub. Walter m’observait, de ses petits yeux de fouine, en faisant semblant d’astiquer son comptoir. Quel tocard, celui-là !

— T’es qu’un fouille-merde, Walter !

— Je t’emmerde, p’tit con !

                                                                                     *   

Il pleuvait toujours, et il planait dans les rues, une odeur de chien mouillé dégueulasse. Planté devant l’entrée de la Cabane, le visage enfoui dans mes mains, je cherchais toujours une issue à ce guêpier. La vie de tous mes amis était en jeu. Même notre pub risquait de disparaître. Walter était un vieux con grincheux, mais il était comme ça avec tout le monde. Et on l’aimait bien, malgré tout. S’envoyer des vacheries, c’était notre façon de communiquer avec lui. Et la Cabane, c’est tout ce qu’il avait. C’est aussi, tout ce que nous avions. Voilà plus de quinze ans que j’y trainais tous les jours, en compagnie de mes meilleurs potes. Ça comptait beaucoup pour moi.

Si toutefois je parvenais à sauver les miches de tout le monde, y compris les miennes, j’avais quand même un deuil à faire. Plus jamais, nous ne serions les Crapules de la Cabane. Je me voyais déjà finir seul au comptoir, comme un vieux poivrot aigri par la vie et les regrets, noyant mon chagrin au fond d’un verre.

Envisager cet avenir me prenait aux tripes. J’en laissai même échapper une larme que j’essuyai rapidement d’un revers de la main. Dans ces conditions, après ce terrible bilan, difficile de percevoir une quelconque raison de poursuivre ma lutte. Pourtant, je n’envisageais pas une seule seconde de baisser les bras. Qu’ils me reparlent un jour ou non, qu’ils me rejoignent à nouveau à la Cabane ou pas, je voulais sauver ma bande de potes. Et Olivia ! Et notre pub ! Si tout devait s’arrêter là, si je devais y laisser ma peau, je voulais au moins utiliser le peu de temps qu’il me restait à bon escient. Je n’avais rien d’un héros, ni même d’un type vaguement fréquentable, et mon coefficient bravoure avoisinait la nullité. Néanmoins, j’avais bien l’intention de me battre, jusqu’à la fin. Quitte à mourir, je le ferais avec fierté, et sans regrets !

Avant tout, avec le nombre de flics qui grouillaient dans le coin, il valait mieux que je me débarrasse du substitut de drogue que j’avais fabriqué. De toute façon, je n’avais que deux briques sur trois, et ça ne suffirait pas à satisfaire le duo de gangsters. M’enfonçant dans la pénombre des rues piétonnes, je balançai les briques de farine dans une poubelle, après m’être assuré que personne ne rôdait dans les parages.

Je ne cessai de marcher, le regard rivé sur le sol, la tête en vrac. En dernier recours, je pouvais toujours aller chercher mes amis, pour les prévenir, mais nous serions toujours en danger. Nous ne pouvions pas fuir et tout laisser derrière nous. Et si nous le faisions, il était fort probable que la paire de mafieux nous retrouverait, tôt ou tard. Nous ne pouvions pas non plus lutter contre deux hommes armés et prêts à tuer. J’aurais pu appeler la police, mais je me voyais mal leur raconter ce qui nous avait mis dans cette situation, au départ. Je ne pouvais certainement pas leur avouer que tout partait d’un projet de trafic de drogues qui avait mal tourné. Nous finirions tous en prison.

Un sifflement résonna dans la pénombre et je levai la tête pour regarder droit devant moi. Encore eux…

— Alors ? me demanda l’un des deux individus, en s’avançant vers moi d’un pas lent. On t’a attendu, au pub.

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2 Commentaires
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O. DeJavel
1 année il y a

Un moment important : Le protagoniste compare sa vie passée avec l’avenir tel qu’il l’entrevoit.

Les choses ont changées pour de bon et il contemple le contraste entre le passé et l’avenir.

« Plus jamais, nous ne serions les Crapules de la Cabane. Je me voyais déjà finir seul au comptoir, comme un vieux poivrot aigri par la vie et les regrets, noyant mon chagrin au fond d’un verre. »

Bien fait.

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