Les Crapules de la Cabane – Chapitre 24

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                                            Chapitre 24 : Souvenirs

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— L’heure est largement écoulée, ajouta le second en tapotant sa montre, emboitant le pas du premier.

— Je suis désolé, capitulai-je, dans un élan de désespoir. Il me faut plus de temps. Je vais vous rapporter toute la dope, c’est promis. J’ai juste besoin d’un peu plus de temps.

Je pouvais sentir à leur regard qu’ils n’étaient pas convaincus par ma tentative de négociation. Ils n’étaient pas dupes. J’essayais seulement de gagner du temps. Si j’avais été en possession de la marchandise, je l’aurais déjà récupérée, et je me serais montré au pub, en temps et en heure.

Je n’avais rien à leur fournir, pas même les fausses briques dont je venais de me débarrasser. J’étais coincé, fait comme un rat. Les deux types glissèrent une main sous leur veste, sans un mot. Je devinais que c’était pour saisir la crosse de leur pistolet. J’entrevoyais déjà mon sombre destin. J’allais finir la gueule sur le bitume, gisant dans une marre de sang. Je le pressentais, du plus profond de mon bide. Mais, si par miracle il me restait une chance d’y échapper, il n’y avait qu’un seul moyen pour moi d’y parvenir. La fuite.

C’était une constante sacrément fourbe qui régissait ma petite vie de merde, indépendamment de ma volonté. Je multipliais les ennuis insolubles, engendrant malgré moi, toujours plus de complications, qui venaient s’ajouter aux précédentes. Et à chaque fois, je me retrouvais démuni face à une seule et unique échappatoire. J’étais las de ce schéma toxique que j’entretenais indéfiniment. Mais j’en étais le seul responsable.

Je stoppai toute réflexion et me mis à courir. Des coups de feu retentirent aussitôt, sifflant tout autour de moi. J’étais fatigué, et mon endurance laissait à désirer, pourtant je filais à toute allure. Ma vie en dépendait.

J’avais mal partout, j’étais éreinté. Mes meilleurs atouts restaient mon sens de l’orientation, et ma connaissance parfaite de tous les recoins de la ville. Si j’avais pu semer ces tarés une fois, je pouvais encore y arriver. Je devais y arriver.

                                                                                   *         

Plus de coups de feu, rien que les clapotements de la pluie sur les pavés et ma respiration paniquée qui faisaient écho dans les ruelles. J’avais réussi à semer mes ennemis, après de longues minutes de dérobade acharnée. J’étais dans une impasse. Littéralement. Un cul-de-sac où nous trainions souvent, le reste de la bande et moi, quand nous étions encore des adolescents boutonneux. Parce qu’ici, se trouvait une cave. Celle de Reggie, dit « la Poisse », l’ancien voisin de Mohan. On aimait bien trainer ici à l’époque, avant d’avoir l’âge de zoner au pub. Reggie, c’était un pauvre type très seul, un ancien militaire qui avait pété les plombs. Il nous filait des joints gratuitement, juste pour avoir quelqu’un avec qui causer. Et on adorait l’écouter nous raconter des anecdotes délirantes. C’est pour ça qu’on l’avait surnommé « la Poisse », parce qu’il lui arrivait sans arrêt des galères !

Cette cave représentait notre premier QG. On y avait des tas de souvenirs. Notre première cuite avait eu lieu ici-même. Il nous était également arrivé d’y dormir quelques fois, l’été, quand il faisait trop chaud chez nous, et qu’on avait trop bu pour rentrer. Un petit sourire tragique se dessina sur mes lèvres alors que je me remémorais quelques bons moments partagés avec Angus, Taz, et même Mohan.

Reggie la Poisse laissait toujours sa cave ouverte en ce temps-là, et on s’y réfugiait quand on le voulait. Je ne savais même pas s’il était toujours en vie. Il devait avoir une cinquantaine d’années aujourd’hui, si toutefois on ne l’avait pas déjà enterré. Entre ses abus d’antidépresseurs, l’alcool, et le reste, j’étais persuadé qu’il mangeait les pissenlits par la racine, depuis longtemps déjà.

Je poussai la petite porte en bois délabré et soupirai de soulagement en découvrant qu’elle était ouverte. Un miracle ! Enfin ! Je m’introduis à l’intérieur et refermai derrière moi, avant d’aller m’asseoir au fond de la cave. Il faisait froid et humide, mais j’étais à l’abri. L’éclairage urbain laissait une lumière tamisée percer l’obscurité, par l’unique lucarne de la grotte. Je n’y voyais presque rien. Grelottant, claquant des dents, je sortis mon téléphone de ma poche, et activai la fonction lampe torche. En essayant de m’installer aussi confortablement que possible, je fus saisi par une douleur vive dans l’épaule gauche. Je dirigeai mon téléphone pour identifier la source de cette atroce souffrance. En pleine lumière, je remarquai une énorme tâche de sang qui imbibait toute la manche et le haut de mon t-shirt, jusqu’à l’encolure. Putain ! J’avais pris une balle ! Prenant conscience de ma blessure, la douleur s’intensifia immédiatement.

Je grognai longuement, à cause du supplice, mais aussi de la dure réalité qui venait de me frapper. J’allais crever ici. J’expirai profondément et fermai mes yeux larmoyants, provoquant la chute de quelques larmes qui dégringolèrent sur mes joues, jusqu’à mon menton mal rasé.

— J’suis sûr que vous êtes en train d’vous marrer… Faîtes chauffer le thé, Dory. J’arrive.

Et je ne serais pas seul à la rejoindre. Un frisson déchirant parcourut mon corps alors que je pensais au reste de la bande. Ils allaient tous y passer, par ma faute. Ils étaient peut-être même déjà morts. Je ne pouvais m’empêcher de songer à tout ce que nous avions vécu ensemble, tout ce que nous avions partagé, remontant dans le passé avec nostalgie. Jamais plus je ne pourrais taquiner Mohan sur sa petite taille. Jamais plus je n’entendrais Angus utiliser des mots que je ne comprenais pas. Jamais plus je n’admirerais la beauté d’Olivia. Jamais plus je ne verrais les affreuses baskets jaunes de Taz.

Taz. Je repensais à ce début de journée, quand il m’avait asticoté pour que j’avoue mes sentiments à Olivia. Je venais de comprendre qu’il était le seul à ignorer l’idylle secrète qu’elle entretenait avec Mohan. S’il avait été au courant, il se serait abstenu de me charrier à ce sujet. Et comme il était incapable de garder un secret, tous avaient dû s’entendre pour le maintenir à l’écart du complot. Je culpabilisais de l’avoir jugé aussi sévèrement que les autres. Et je m’en voulais aussi pour ce que je leur avais dit, à tous. Tout ça n’avait plus la moindre importance. J’aurais tout donné pour effacer cette embrouille ridicule qui nous avait divisés et menés à notre perte. S’il m’avait été possible de tout recommencer, je serais même remonté un peu plus tôt dans le temps, et je n’aurais pas mis sur pieds ce plan débile qui m’avait conduit à l’agonie dans cette cave sinistre.

Si j’avais pu revenir en arrière, juste une journée. Rien qu’une petite journée.

Résigné par la fatalité, alors que je baissais finalement les bras, je plissai les yeux en fixant le mur. Une pierre dépassait, mal encastrée, en comparaison des autres. Sans me lever, je me déplaçai péniblement pour l’atteindre. D’une main, je la retirai du mur sans mal. Dans le trou qu’elle dissimulait, une boîte poussiéreuse. Je la reconnus immédiatement. Nous l’avions cachée là, les autres et moi, il y a bien longtemps.

Assis en tailleur, je posai la relique sur mon genou, une petite boite en bois que Taz avait piqué à sa mère et qui contenait autrefois des breloques sans valeur. Je ne me souvenais même pas de ce qu’on avait mis à l’intérieur, et j’ignorais si elle contenait encore quoi que ce soit. Curieux et ému, je l’ouvris.

Dans la boîte, je trouvai un vieux joint, roulé une bonne vingtaine d’années plus tôt. Mais aussi quelques photos, une page de magazine porno et un petit cran d’arrêt rouillé. Je humai le pétard, que je soupçonnais sans saveur. Il ne sentait presque rien. Je le portai à mes lèvres et sortis mon briquet pour l’allumer. Inspirant une première et profonde inspiration, je recrachais aussitôt la fumée en toussant à plein poumons. C’était immonde ! Écœuré, j’écrasai le bédo par terre. Dommage, j’en aurais volontiers fumé un dernier en attendant la mort. Je serais forcé de me contenter d’une cigarette. Je sortis mon paquet de clopes de ma poche, et m’en allumai une. La toute dernière.

Clope au bec, je parcourus les quelques photos instantanées qui trainaient au fond de la boîte, et me laissai embarquer dans de tendres souvenirs. Nous les avions prises avec un polaroid que Mohan avait volé à une prof du lycée. Déjà en ce temps-là, il était doué pour le pillage. Et il avait manifesté, très jeune, un penchant pour ce genre de petits larcins. Sur bon nombre de photos, Olivia était présente. Je trouvais ce détail surprenant, puisqu’elle ne trainait que très occasionnellement avec nous. Souriant timidement malgré ma triste mine et la douleur dans mon épaule, je pris le temps d’admirer la jeune femme, sur chacun des clichés. Il avait toujours émané d’elle, quelque chose de particulier. Une bienveillance sincère, une aura authentique. Mon regard dévia sur le reste du groupe. Olivia était au centre. Angus, qui n’était pas encore barbu à l’époque, affichait une large grimace qui me fit pouffer de rire. Le visage de Taz était à peine visible, derrière sa mèche de cheveux qui couvrait déjà ses yeux, et Mohan… Je remarquai un détail qui m’avait échappé jusqu’à lors. Son regard était porté sur la demoiselle. Mais pas n’importe quel regard. Je distinguais sans mal l’affection qui s’en dégageait.

J’analysai alors une deuxième photo, puis une troisième, et les repassai toutes en revue. Sur chacune d’elle, Mohan portait sur Olivia, un regard plein d’affection. Non. Pas d’affection, d’amour. Comment n’avais-je rien remarqué ? Je me pinçai les lèvres, frappé par cette nouvelle révélation qui aurait dû me sauter aux yeux depuis des années déjà. Aveuglé par mon égocentrisme, et par mes propres sentiments, je n’avais jamais décelé ceux de Mohan jusqu’à aujourd’hui. Il ne m’avait pas trahi. Je l’avais fait.

Durant toutes ces années, il avait gardé pour lui son attachement pour Olivia, laissant le mien s’exprimer, occultant ses propres désirs. Je lui en avais voulu d’avoir été un si mauvais ami, alors que c’était moi qui tenais le mauvais rôle depuis le début, sans le savoir. J’avais empêché ce rapprochement qui couvait depuis notre adolescence, entre deux personnes qui m’étaient chères, et qui se cherchaient depuis des années. J’étais un putain d’égoïste ! Ma mauvaise conscience me rattrapa, et j’éclatai en sanglots, laissant les photos m’échapper pour passer une main sur mon visage.

J’avais tout foiré…

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2 Commentaires
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O. DeJavel
1 année il y a

Alors ça ! C’est un retour sur le passé très complet. Un retour où Harlem revisite sa vie avec des yeux nouveaux. À défaut de les aimer plus fort, peut-être les aime t’il mieux à présent.

J’aime bien le moyen que tu as pris pour faire ce retour. Une boîte d’objets avec des photos, c’est bien pensé. Le lieux est enveloppant, propice à ce retour.

Je me précipite au prochain chapitre !

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