Finir sur un cintre à Moulins,,,

5 mins

Depuis que tu es venu t’installer ici, que ce soit sous un paisible clair de lune, une sombre et tonitruante nuit zébrée d’éclairs ou par une froidure hivernale à l’ambiance cotonneuse nous nous retrouvons, tous les deux, à la brune, en une silencieuse intimité, ou, sur cette même couche à tes pieds je me glisse. Te portant en scène, à voix feutrée et les yeux fermés pour mieux savourer l’instant, je reprends nuit après nuit le récit de ces merveilleux instants que nous avons partagées à travers ce monde extraordinaire fait de palais majestueux aux résonances orchestrales dans lesquels tu m’as entrainée et ou avec grande délicatesse j‘ai pu effleurer chacune des pièces de cette malle qui n’eut de cesse de nous accompagner durant toutes ces années, en s’enrichissant tant et tant qu’elle en est devenue le coffre de ton trésor.

Toi, avide de revivre ces homériques instants, tu me retiens à tes côtés. De tes mots, de tes caresses à la légèreté et l’élégance d’une plume suspendue au gré des ascendances, tel un feu follet tu me réchauffes et embrases mon cœur. Contrairement aux autres hommes qui au mieux m’ignorent ou au pire me bousculent en me rudoyant, tu sembles attiré, rassuré par ma seule présence. Parfois sans un mot tu déposes sur mon épaule une chaude larme en portant ton regard et ton cœur au-delà de ce rideau de fer que tu avais bravé alors qu’un autoritaire pompier de service le gardait dressé.
***
Montée en catimini jusqu’au balcon, derrière le rideau rouge, je me cache à ton regard. Tu es là, en bas, tiré à quatre épingles. Comme tu le rêves ton costume, sans faire de faux plis, épouse à merveille ton corps et ses élans. Tu vas, tu viens le geste ample, traversant cette place de part en part le menton levé, virevoltant, bondissant jusqu’à l’épuisement, tu accompagnes le tout d’un récitatif décompte rythmé par l’écho de tes pas… A croire que tu répètes une demande en mariage.
Moi, dans mes petits souliers, telle une modeste et sombre souris au poil cendré trottinant continuellement à ta suite, je veille au fil du temps, à satisfaire le moindre de tes désirs, espérant qu’un jour, qu’un jour tu oseras…
***
Je me souviens de celui où tu m’as demandée, tu ne voulais que moi pour la vie, pour la mort.
Tu me, l’avais juré.
Je n’ignore pas o combien ta fidélité est fragile, mais à cet instant, mes yeux dans tes yeux j’ai vu la force de ta supplique et je n’ai su, je n’ai pu dans un souffle, les mains tendues vers le plus profond du ciel, que clamer un Oui libérateur.
Tout de suite je compris alors que pour nous ce serait pour la vie et au-delà et que ces autres conquêtes frêles et éclatantes de jeunesse qui ne rêvent que de rejoindre ton corps afin de te livrer le leur dans la souffrance de tes exigences avec les seuls mots qu’elles s’autorisent “Oui Maître !”, ne seront, au final, que des étoiles filantes, des ombres d’elles-mêmes.

Pour sceller notre céleste union, tu as dénoué ta douce et si légère écharpe aux reflets cristallins, l’as tressée en couronne et tel un prince au réveil de sa belle tu m’en as coiffée.
La magie opéra.
Enivré par ma si prompte réponse, contre la chair de ton torse, brulant, brillant et ruisselant de sueur tel un chevalier tu m’as prise, enlacée dans tes bras fins et musclés, pour, vers le firmament de la grande coupole, sur la pointe des pieds m’entrainer à en perdre la tête dans un pas de danse endiablé. Autant le mien était gauche et ignorant autant le tien était dynamique et savant. Nous étions alors si bien ensemble que jamais je n’aurai voulu que ce tourbillon prenne fin. Toutefois, les quelques accrocs survenus me coupèrent dans mon envolée. Il me fallait immédiatement stopper cela.

La confiance, que tu places entre mes mains, je le sais, libère ton esprit et tes mouvements.
Aussi à chaque instant mes doigts, mes yeux ignorant leur ruine s’attachent de fils en aiguilles à faire des miracles pour qu’au soir venu serti dans ton écrin tu sois plus sublime encore…
Plus que toutes les autres femmes qui t’ont accompagné, si belles et dévouées furent-elles, de ton corps je connais les moindres reliefs, qualités ou fragilités…Plus que toutes autres j’ai appris à soigner tes plaies fussent-elles au plus profond de de ton cœur.

Quand tu t’éloignes, ne pouvant supporter la moindre de tes absences, je me tourne vers celui à la froide et muette présence en papier mâché qui s’offrant à mon étreinte m’accompagne dans le dédale des couloirs, escaliers et ateliers. Avec lui je m’enhardis dans le flou, je taille pour la ville, je le porte à la mode. A ton retour, tu t’en saisis comme d’un bouquet tu l’effeuilles. Sur ton passage vers toi les regards se tournent et découvrent…
***
Un soir, sans bruit, elle est venue toute de noir vêtue, le regard livide. Sans égards envers moi elle a commencé à te tourner autour, chaque jour plus insistante. Tu la chasses. Elle revient sournoise par petits bouts elle te dévore encore et encore. Tu lui résistes. Elle veut faire festin de ton corps. Elle n’a de souhait que celui de t’entrainer dans son antre, loin de moi.

La présentatrice du journal télévisé annonça ton départ de la sorte « Du fauve, il avait le regard brûlant et les mouvements aussi ». Ce fut ta première infidélité envers moi…
***
Aujourd’hui encore en nombre ils sont venus, certains parfois de bien au-delà des frontières pour te saluer, échanger un instant. A ceux qui les yeux emplis d’étincelles voient se réaliser leur rêve de te montrer combien de toi dans l’effort, la rigueur et les exigences ils ont appris tu adresses un aimable salut. A d’autres qui se limitent à cocher une case sur leur circuit touristique, la tête ailleurs, le menton en avant tout à la fois volontaire et défiant, la bouche encanaillée et les yeux d’éternel rêveur tu te contentes de leur adresser un sourire moqueur pour seule dédicace.
Les derniers sont tellement insistants qu’il me faut batailler à coups de balais pour les chasser afin  qu’enfin je puisse dans ton repos te retrouver.

Une fois le portail refermé, pour effacer leurs traces, au son du gravier qui paisiblement s’écoule entre mes doigts, je ratisse l’allée puis m’occupe du jardin ôtant à la main toutes ces mauvaises herbes et ces bouquets alambiqués qui se croyant en terrain conquis veulent y prendre racines.
***
Dans l’obscurité d’une nuit sans lune, brisant ce huis-clos, un pas lourd crissant sur les cailloux annonce une sombre casquette chapeautant une pâle figure à peine mise en lumière par le halo d’une tremblotante torche électrique au seuil de l’épuisement. D’une voix rauque, usée par les acres maïs biscornues parties en fumée l’homme en quête d’autorité me demande :
•    Mais qui êtes-vous, que faites-vous ici à cette heure ?
Pour calmer son tremblement il me faut le rassurer.
•    Moi ! Je ne suis que sa costumière et comme toutes les nuits, dans la paix du lieu, je veille sur lui. Au soir venu, répondant à sa supplique, à mon engagement. Je reprise son linceul et maintenant qu’il a choisi cet endroit pour bâtir sa dernière demeure je m’attache à redonner forme aimable à son kilim après que ses admirateurs soient venus en grignoter quelques pièces d’or pour telles des reliques les emporter au loin. Ainsi je contribue à la préservation de son éternel amour pour son art. Ne vous inquiétez pas, ma décision est prise, au matin je serai partie…Pour rejoindre Rudy !

L’instant fut bref.

Tournant les talons l’homme à la casquette se dit en maugréant que demain, dans son carnet de ronde du cimetière Russe de Sainte Geneviève des Bois, il lui faudra expliquer la présence de cette nuptiale couronne découpée dans un tutu en organza, abandonnée à côté de cette tombe et pour laquelle il lui faudra également faire tout un tas de paperasses pour l’envoyer finir sur un cintre à Moulins au côté des autres pièces du trésor…

POSTFACE
En prime ces quelques éléments sources d’émotions et à l’origine du choix de certains mots.
https://noureev.org/rudolf-noureev-tombe-cimetiere-sainte-genevieve-des-bois/
https://www.youtube.com/watch?v=66zGq3g4Cdg&ab_channel=Op%C3%A9ranationaldeParis
https://noureev.org/rudolf-noureev-costumes-scenes-cncs/
https://www.youtube.com/watch?v=PWX99nsYFuw&ab_channel=Telerama

Peut être aurez vous reconnu au travers de ces lignes en cours d’écriture quelques-unes des chorégraphies de R.N
– Le balcon / Roméo et Juliette
– Les ombres / La bayadère
– Poil cendré / Cendrillon
– Moulins / Don Quichotte
– Un prince au réveil de sa belle / La belle au bois dormant 

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