Conte – Le Prince dans sa tour d’ivoire

12 mins

Il était une fois une fée qui vivait dans le royaume des fées de l’air du temps, de la pluie, du vent, et de l’amour qu’elle portait à toutes les créatures du ciel et de la terre. C’était une fée bienfaisante, et elle avait été comblée de nombreux charmes et talents par le magicien son père, et père de toutes les fées de l’univers. 

Pourtant, malgré les dons variés dont elle était dotée, il lui manquait quelque chose: elle ne connaissait pas le monde des humains et n’avait encore jamais rencontré ce que l’on appelle dans le langage humain un homme. Or, cela était contraire à la destinée des fées qui, comme chacun sait, doivent remplir des missions auprès des humains et leur apporter aide et réconfort. Notre fée ne s’en plaignait pas; elle était bien trop éprise de solitude et de liberté, aimant à vagabonder dans le ciel – elle avait le pouvoir de se métamorphoser en oiseau d’un coup de baguette et de voler librement dans les airs – et sur la terre, à parler aux arbres et aux bêtes de la forêt qu’elle affectionnait particulièrement. Et elle se sentait si comblée qu’elle n’avait nulle envie de quitter ce royaume enchanteur où chaque instant lui réservait de nouveaux délices et des grâces infinies. 

Un jour cependant, alors qu’elle volait dans le ciel, un violent orage éclata et de puissantes rafales de vent l’éloignèrent de son royaume. Elle en fut si effrayée qu’elle craignit de perdre ses ailes et de mourir. Alors qu’elle se débattait au milieu d’éclairs menaçants, implorant en vain le magicien de la sauver, elle aperçut devant elle une drôle de tour très haute, tout en ivoire – elle n’avait encore jamais vu de tour d’ivoire – surplombée d’une terrasse où elle put atterrir sans trop de dommages. 

Regardant autour d’elle, elle avisa un escalier conduisant à l’intérieur de la tour, et s’y engagea. L’escalier en colimaçon débouchait dans une pièce sombre, dont les murs étaient recouverts de livres de toutes sortes. Au milieu, une table et un siège dans lequel était recroquevillée une forme étrange. 

Effarouchée par cette apparition, elle voulut d’abord s’enfuir, mais elle ne put s’empêcher de s’approcher et de regarder la créature qui dormait là. C’était sans nul doute un homme, car il ne ressemblait en rien aux faunes exquis et ravissants ou aux lutins graciles qu’elle avait l’habitude de voir dans les bois. Etonnée, elle l’observa plus attentivement: de nombreux sillons traversaient son visage qui lui rappelèrent les plis de la rivière quand le vent la fouettait. Il était pâle comme la mort, et semblait faible et sans vigueur, comme si la vie se fût retirée de lui. L’expression de son visage était tourmentée, et il paraissait souffrir de quelque douleur profonde qui rongeait et creusait ses traits. 

Bien qu’elle n’eût de sa vie aperçu créature si peu gracieuse, la fée ne put cependant s’empêcher d’avoir un mouvement de compassion, se demandant quel mauvais sort l’avait ainsi marqué. Elle songea à toutes les beautés qu’elle connaissait, qu’elle découvrait chaque jour et chaque nuit, aux mille enchantements et prodiges que cette créature endormie semblait ignorer, et se demanda comment l’on pouvait ainsi se retrancher dans une tour, alors que l’univers regorgeait de tant de merveilles. 

Comme elle s’interrogeait, un bruit la fit sursauter, et elle se glissa furtivement hors de la pièce au moment précis où survenait un nain, qui portait un plateau d’argent avec une carafe d’eau. 

« Monseigneur, fit le nain d’une voix tonitruante qui éveilla l’homme, voici de l’eau pour vous désaltérer. Sa Seigneurie a-t-elle fait un bon somme? Désire-t-elle autre chose? 

– Hem, grogna l’homme d’une voix maussade, j’ai fait un mauvais rêve, j’ai rêvé de lumière, d’êtres volants dans les airs, de balivernes! Vite, tire les rideaux, tu sais bien que je ne peux voir le soleil, la lumière me fait mal aux yeux! »

Lorsque le nain sortit de la pièce, refermant la porte derrière lui, la fée lui barra le passage. 

« Que fais-tu là, demanda le gnome stupéfait, et qui es-tu? Ne sais-tu pas que nul n’a le droit de venir ici. Le prince te fera mettre à mort s’il te découvre. Seuls ses serviteurs ont le droit de monter dans la tour pour lui apporter ce dont il a besoin. 

– Calme-toi, répondit la fée, je suis une fée, je me suis perdue en volant dans les airs et j’ai dû atterrir, car un orage menaçait de m’arracher mes ailes. Dis-moi, c’est donc un prince que cet homme étrange qui a plein de sillons sur le visage et qui paraît si malheureux et si peu vivant? 

– Oui, c’est le prince du royaume où tu te trouves, que l’on nomme le royaume de “Zombie” depuis la terrible malédiction qui l’a frappé. 

– Quelle malédiction? 

– Je ne devrais pas te le dire, mais puisque tu es une fée, je vais te raconter l’histoire en quelques mots: il y a de nombreux siècles déjà, la famille du prince a été frappée d’une terrible malédiction, et depuis, à chaque génération, l’aîné ne peut ni vivre à la lumière du jour ni même sortir. Il est condamné à rester enfermé ici jusqu’à ce qu’il meure. 

– Mais de quelle malédiction s’agit-il donc? s’exclama la fée. 

– Cela non plus, je n’ai pas le droit de te le dire, mais… hésita le nain, une des reines du royaume a commis autrefois une faute grave en refusant les lois de la vie et de la nature, et depuis, toute sa descendance est atteinte de ce mal fatal qui frappe les aînés. 

– Quel terrible sort! Et il n’y a rien à faire pour cette pauvre créature? 

– Hélas, rien. Seuls d’immenses pouvoirs pourraient conjurer cette malédiction, mais jusqu’à présent, nul n’y est encore parvenu. » 

Lorsqu’elle quitta la tour, la fée se sentait si triste que, pour la première fois, elle ne put jouir du plaisir de voler librement dans le ciel et de batifoler avec les oiseaux dont elle parlait les multiples langages. Elle ne cessait de penser au prince, enfermé là-bas dans sa tour d’ivoire et mourant de ne pas vivre. 

Sitôt revenue dans le royaume des fées, elle alla rendre visite au magicien son père et lui raconta son étrange aventure. Puis, comme elle l’interrogeait sur le moyen de libérer le pauvre prince de la malédiction qui l’avait si injustement frappé, des larmes coulèrent de ses yeux et, pour la première fois de sa vie, elle en goûta la saveur salée et la douceur. 

« Tes larmes vont peut-être t’aider à sauver le prince, lui fit le magicien avec bienveillance, bien que cela sera difficile, mais elles montrent que tu es généreuse et capable de désintéressement, comme disent les humains. Tu es prête à présent à affronter leur terrible monde. 

– Terrible, mais pourquoi terrible! s’exclama la fée d’un ton alarmé. 

– Eh bien, parce que les humains, même s’ils connaissent la lumière, vivent davantage sous la loi inexorable du royaume de l’ombre… 

– Le royaume de l’ombre? 

– Oui, le royaume de l’ombre où règne une souveraine néfaste et mortelle, que l’on appelle « sorcière ». Les lois qui gouvernent ce royaume sont celles de la mort, de la destruction, de l’aliénation, de la malédiction, et elles pèsent sur tous les humains. 

– Mais, poursuivit la fée, épouvantée par ce qu’elle venait d’apprendre, n’y a-t-il aucun moyen de se dérober à ce pouvoir de l’ombre? 

– Si, mon enfant, répondit le magicien en souriant à l’émotion de la fée, c’est la lumière. Seule la lumière et son action bienfaisante sur les êtres peut les libérer de la destruction, de la mort, des malédictions qui les frappent. La lumière que nous, les magiciens, avec l’aide des fées, diffusons sur l’ombre. Malheureusement, le pouvoir de l’ombre est souvent plus puissant que celui de la lumière, et cela est naturel, car la vie est faite d’ombre et de lumière, et il faut trouver le parfait équilibre entre les deux, chose délicate et difficile pour les humains, qui sont pour la plupart frustes et déséquilibrés. 

– Mais alors, soupira la fée, il n’y a donc rien à faire pour le prince? 

– Si, sourit à nouveau le magicien, mais seule la sorcière peut te le révéler. Et pour cela, il faut descendre dans le royaume de l’ombre pour l’interroger. 

– Seigneur! s’écria la fée terrorisée. Je ne pourrai jamais m’y résoudre, moi qui n’aime que la lumière. 

– Et pourtant, mon enfant, c’est le seul moyen. Tant que tu n’auras pas rencontré l’ombre, tu ne pourras rien pour le prince, ni pour les humains en général, et tu n’es pas sans ignorer que toute fée se doit d’aider les humains. Je peux te guider et te protéger jusqu’au royaume de l’ombre. Mais ensuite, tu devras faire preuve de courage et poursuivre ta route toute seule. 

– Alors, soupira la fée, puisque c’est ainsi, partons… » 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le voyage fut périlleux, mais grâce à leurs pouvoirs, le magicien et la fée purent déjouer aisément les obstacles qui se trouvaient sur leur route, et eurent tôt fait d’arriver à l’entrée du terrible royaume de l’ombre, une caverne profonde gardée par de repoussantes créatures. Le magicien qui était enveloppé d’un halo de lumière tint les monstres et les ombres à distance. Et après quelques instants, ils débouchèrent dans une grotte obscure, où vivait la redoutable souveraine de l’ombre. 

« C’est ici que je dois te quitter, dit alors le magicien à la fée. Tu n’as plus rien à craindre à présent. La sorcière te dira ce que tu dois faire pour libérer le prince. Mais, prends tout de même cette plume magique. Lorsque tu l’interrogeras, elle écrira la réponse à ta question. Attention, ne lui pose pas trop de questions, sinon elle cessera de te répondre. » 

C’est en pleurant que la fée quitta le magicien, dissimulant sous ses vêtements la plume qu’il lui avait donnée. Puis elle se dirigea vers le centre de la grotte, où se tenait la sorcière. Celle-ci était toute de noir vêtue et avait la face voilée par un linceul noir également. 

« Que veux-tu ? demanda-t-elle à la fée. 

– Je veux savoir ce qu’il faut faire pour libérer le prince du royaume de “Zombie” de la malédiction qui pèse sur lui.

– Ah, c’est donc pour cela que tu es ici, malheureuse! Je vois que tu es fée, et que tu ne sais pas à quoi tu t’exposes, car il n’y a qu’un seul moyen, et il te faudra pour cela renoncer à tous tes pouvoirs de fée. 

– Et quel est ce moyen? demanda la fée avec inquiétude. 

– Parvenir à conquérir le coeur du prince et à lui donner un baiser. Mais prends garde, tu ne disposes que de 28 jours pour cela, et si à l’issue de ces 28 jours, tu n’as pas réussi, tu mourras, ainsi que le prince. 

– 28 jours! s’écria la fée, de plus en plus désespérée. 28 jours, mais ce n’est pas possible, voyons, c’est trop court! Comment pourrais-je me faire remarquer du prince en si peu de temps. N’y a-t-il pas moyen d’avoir un peu plus de temps? 

– Non, répliqua la sorcière d’une voix glaciale. 28 jours, c’est tout. Mais tu as de la chance. Je crois savoir que le prince cherche en ce moment un fou pour le divertir. Peut-être acceptera-t-il une folle! A présent, je vais te révéler l’ultime condition, la plus difficile. Quand tu auras réussi à conquérir le coeur du prince et à lui donner un baiser, il faudra que tu disparaisses aussitôt et que tu renonces définitivement à lui. C’est la condition pour le sauver de la mort. Si tu ne renonces pas, tu mourras. Es-tu prête à accepter toutes ces conditions? 

– Oui, murmura la fée, qui avait pâli. Oui, j’accepte tout. Mais le prince, lui, pourra-t-il m’oublier? 

– Ne t’inquiète pas pour cela, dès que tu lui auras donné ton baiser, il sera transformé et il oubliera tout. Alors, es-tu prête à un tel sacrifice? 

– Oui… 

– Bien. Tu vas arriver ce soir-même au royaume du prince. Présente-toi aussitôt à lui comme le “fou” qu’il cherche, il t’acceptera car il n’y a pas d’autre “fou” disponible dans tout le royaume. Prends ce sablier: le sable s’écoulera durant 28 jours, et lorsque le dernier grain sera tombé, si tu n’as pas réussi, tu mourras. Va à présent. » 

Le soir même, la fée se présenta au prince comme “folle” venue d’un royaume lointain de femmes, et lui proposa de le divertir mieux que le meilleur des fous de tous les royaumes, et de l’aider grâce à sa sagesse dans toutes les affaires du royaume, ainsi que de lire son avenir et son passé dans les astres, et moult autres services que les fous rendent communément aux princes. Après quelque hésitation, le prince accepta que le “fou” fût une “folle”, et la fée s’installa dans une pièce près de sa chambre, le sablier à côté de son lit et sa plume magique à portée de la main. 

Sa nouvelle fonction lui laissait beaucoup de liberté: le prince ne faisait appel à elle que le soir, aux moments où il était d’humeur taciturne et sombre et où il avait besoin d’être diverti et d’oublier le chagrin qui le rongeait. Mais n’ayant plus sa baguette magique, elle ne pouvait plus se métamorphoser en oiseau et voler à sa guise. Aussi, était-elle rivée au sol, au monde des humains, et ne pouvait-elle se rendre dans son cher royaume de lumière. 

Les premiers jours, le prince ne lui prêta aucune attention. Il la faisait simplement asseoir dans un coin de sa chambre et vaquait à d’étranges occupations auxquelles elle ne comprenait rien. Et chaque jour, la fée devenait plus triste, car son univers enchanteur lui manquait cruellement, et elle ne trouvait aucune consolation en la compagnie de cet humain qui ne la voyait pas et semblait ne rien vouloir d’elle. Et il n’était pas rare que des larmes, amères à présent, lui montaient aux yeux. Mais le prince, perdu dans sa tour d’ivoire, ne se rendait compte de rien. 

Puis, au bout d’une semaine, elle engagea timidement la conversation avec lui: elle lui parla du soleil, de la lune, des astres, des fleurs, des arbres et des mille charmes de son royaume, ainsi que de son père le magicien, le plus merveilleux des êtres de l’univers. Bien que le prince parût ne pas l’écouter, elle n’en continua pas moins à lui parler chaque soir, jusqu’à ce qu’il lui dît enfin un mot en levant les yeux sur elle. 

Deux semaines s’étaient déjà écoulées, et elle doutait de plus en plus de la possibilité de gagner le coeur du prince. Ce dernier lui paraissait si indifférent et si sec qu’elle se demandait parfois s’il avait un coeur et une âme. Elle regrettait aussitôt ses sombres pensées, car elle savait que toute pensée sombre alimentait le royaume de l’ombre, et que seule la lumière pourrait vaincre la malédiction qui aliénait le prince. 

Bien qu’elle consultât chaque jour sa plume magique, et que celle-ci lui donnât toujours des conseils avisés, elle se sentait de plus en plus découragée et n’avait plus qu’un désir: fuir, rompre ce pacte qui l’avait menée jusqu’aux humains, et retourner dans son merveilleux royaume. Trois semaines passèrent ainsi, et le sable s’écoulait à un rythme régulier et inéluctable. 

Chaque soir, elle voyait le prince, et chaque soir, elle lui parlait d’elle, de sa vie, de son royaume; il commençait également à lui parler, mais hélas il ne savait pas parler de lui, il ne savait pas être généreux, il ne savait rien de ce que savent les fées, il était limité et obscur comme le sont les humains en général, et encore bien davantage en raison de la malédiction mortelle qui pesait sur lui. Et la fée perdait patience; il arrivait même qu’elle se mît en colère contre lui, découvrant ainsi en elle toutes sortes de travers “humains” appelés orgueil, impatience, colère, cruauté, méchanceté, découragement, mélancolie, désespoir… 

Et pourtant, au coeur de son malheur, une chose lui devenait de plus en plus évidente et claire: le prince avait une âme et, malgré ses réticences, sa froideur apparente et sa réserve, il l’écoutait et était sensible à ce qu’elle disait, ce qui ne manquait de l’étonner. Un soir, elle le vit même sourire de manière radieuse, et elle se précipita sur la terrasse, remerciant avec ferveur le ciel et ses amies les étoiles d’avoir bien voulu arracher un sourire au prince. Car sourire, n’était-ce pas le prélude à l’expression du coeur? 

Hélas, malgré ces progrès, le temps passait, et le 28ème jour approchait inexorablement. Et le prince, même s’il avait pris goût à sa compagnie, ne semblait pas du tout avoir envie de recevoir un baiser d’elle. 

Enfin, le 27è jour arriva, et la fée se sentait perdue. Si elle ne parvenait pas à donner un baiser au prince avant l’aube, ils mourraient tous deux, et elle ne reverrait jamais son royaume bien-aimé. Elle versa tant de larmes ce jour-là qu’elle eut l’impression qu’elle allait inonder toute la tour, et, se dit-elle avec amertume, le prince va se noyer dans ce flot de larmes, et ce sera tant pis pour lui, puisque de toute manière il doit mourir. Quand elle entra dans sa chambre, ses yeux étaient encore si gonflés de larmes que celui-ci lui demanda, étonné: 

« Qu’avez-vous donc, vous avez l’air bien affectée aujourd’hui? Et dire que je vous avais préparé une surprise. 

– Une surprise, vous? balbutia la fée, étonnée. Quelle surprise? 

– Mais, vous ne vous rappelez donc pas? demanda le prince. Cela fait aujourd’hui 28 jours exactement, une lune, que vous êtes arrivée. Et je dois dire que tout a tellement changé ici que je voulais célébrer cet anniversaire avec vous. 

– Avec moi? murmura la fée de plus en plus étonnée. 

– Mais oui, et je vous ai même préparé un cadeau. Mais si vous ne le voulez pas, vous êtes libre de le refuser. 

– Qu’est-ce que c’est? 

– Il s’agit d’un parfum rare que j’ai trouvé, lequel, je crois, vous irait très bien. » 

La fée fut si troublée qu’elle eut du mal à dissimuler son embarras. Elle prit le cadeau des mains du prince et, s’approchant de lui, eut le courage de lui donner un baiser. Le prince rougit violemment, encore plus troublé qu’elle, et eut alors un geste inattendu: il lui rendit son baiser avec ardeur. 

Au même instant, la foudre tomba au-dehors, mais le prince et la fée n’entendaient rien: ils se regardaient en souriant. Ils venaient de s’éprendre l’un de l’autre, de ce baiser donné et rendu, et étaient inconscients de ce qui les entourait. Soudain, le prince se métamorphosa et devint si rayonnant qu’il recouvra en un éclair vie, jeunesse et charme. Plus de trace de sillons sur son visage, plus d’ombre dans son regard, mais un sourire éclatant illuminait ses yeux, sa voix cassée était devenue caressante, tout son être rayonnait d’une telle lumière que la fée n’osait le regarder. 

Bouleversée, elle quitta la pièce et se rendit dans sa chambre. La plume magique était là et elle l’interrogea fiévreusement. La réponse ne se fit pas attendre: “Fuis immédiatement, tu devais donner un baiser au prince pour le sauver, mais il ne devait pas te rendre ton baiser, fuis ou tu vas mourir sur le champ.”

Elle fut si effrayée qu’elle se précipita aussitôt sur la terrasse. Dans le ciel s’amoncelaient de lourds nuages et elle ne savait que faire, lorsqu’elle aperçut sa baguette de fée, déposée là par miracle. Elle se changea aussitôt en oiseau et s’envola. Derrière elle, retentit un grand bruit, comme si le monde entier s’effondrait. Elle ne se retourna pas, emportant dans son coeur l’image du prince rayonnant et transfiguré par le baiser qu’elle lui avait donné. 

Le lendemain, à son réveil, le prince appela ses gens et leur demanda où était la fée, leur ordonnant de la chercher et de la lui amener. Lorsqu’on lui répondit qu’elle avait disparu, il se plaignit, gémit, et maudit pour la première fois de sa vie cette tour dans laquelle il était emprisonné à vie, car il était amoureux sans le savoir. 

« Mais quelle tour Monseigneur, l’interrogea le nain? Il n’y a plus de tour, regardez, voyez vous-même. La tour a disparu. 

– Disparu?! » s’écria le prince. Il courut se regarder dans un miroir. Il ne se reconnut pas, tant il avait changé: il était encore plus rayonnant que la veille, plus jeune et plus charmant que jamais. Disparu! Je suis donc libre! Mais alors, je vais partir à sa recherche. 

Et c’est ainsi que le prince quitta pour toujours sa tour d’ivoire et partit à la recherche de la fée. 

Épilogue

On ne saurait dire avec certitude si le prince retrouva la fée et s’il atteignit jamais le royaume de lumière où elle s’en était retournée. Certaines mauvaises langues affirment les avoir vus tous deux voler dans le ciel et s’envoyer dans les airs ensemble. D’autres prétendent que le prince, après avoir couru quelques lieues, n’étant pas d’un naturel conquérant et aventurier, avait rebroussé chemin et était redevenu accablé et disgracieux. Quoiqu’il en soit de ces rumeurs, les Archives du Royaume des Fées attestent que le prince et la fée restèrent amoureux toute leur vie, communiant par leurs âmes et leurs coeurs, et que la fée devint reine des fées grâce à sa sagesse, et le prince vécut encore de nombreuses années, jeune et charmant, et régna sur son royaume avec une générosité et une intelligence exemplaires. 

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