Le bureau de l’assistante sociale n’avait pas changé depuis 4 ans. Pourtant, Tarik se surprenait chaque fois à le trouver différent de l’image qu’on pouvait s’en faire. Forgé par les rumeurs et les séries télé, il s’était toujours imaginé ce genre d’endroit froid et austère, lugubre, relayant des relents de détresse et d’amertume. Mais pas du tout. Ici, c’était lumineux. Le bâtiment était bien exposé ce qui laissait entrer une belle lumière dans la pièce. Des affiches colorées d’évènements comme des concerts ou des spectacles artistiques couvraient les murs blancs. Il y avait plusieurs plantes vertes qui respiraient la santé et le pot à crayons regorgeaient de fantaisie, débordant de stylos ornés de licornes, proposant des couleurs étonnantes ou de formes amusantes. L’ensemble aurait pu donner un air désinvolte ou enfantin, mais tout était agencé de façon à garder le sérieux du lieu tout en créant un cocon rassurant.
Lorsqu’il entendit la porte de la pièce s’ouvrir, Tarik posa les yeux sur une petite femme ronde et dynamique, dans la quarantaine, qui irradiait sa bonne humeur. Toute en courbe et en sourire, Madame Virelle sautilla presque jusqu’à sa chaise de bureau. Assis en face d’elle, l’adolescent avait l’air bien terne. Son expression était figée en un masque blasé qui ne désarçonna la travailleuse sociale. Elle lui lança d’ailleurs un sourire en coin, se penchant vers lui par-dessus le bureau, créant une fausse impression de proximité.
– Alors Tarik, prêt ? C’est le grand jour !
Elle avait l’air plus excitée que lui de ce qui allait suivre. Elle ouvrit devant elle un dossier bleu qui contenait une vingtaine de feuilles de papiers et en sélectionna quelques-unes qu’elle tourna face à Tarik.
– Voilà le contrat d’engagement réciproque ! Comme tu peux le voir, Monsieur Humbert a déjà signé. Moi, j’ai signé là, ma supérieure ici. Il ne manque plus que toi ! Lis-le attentivement et si tout te convient, tu signes en bas de la page, ici et ici.
Tarik jeta un coup d’œil aux feuilles noircies de paragraphes écrit dans une police trop petite. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas lire, mais il savait déjà de quoi il s’agissait et il n’avait aucune envie de se coltiner encore les mêmes informations. Il attrapa un stylo au hasard dans le pot à crayon et signa rapidement les formulaires. Comme il s’y attendait, Madame Virelle posa sur lui un regard désapprobateur en secouant la tête de droite à gauche.
– Ce n’est pas sérieux jeune homme ! Tu sais qu’il faut toujours lire les documents qu’on te propose avant de les signer ! Un jour, ça te jouera des tours.
Elle ne le réprimandait pas vraiment. Un peu tout de même, mais pas pour de vrai. Aussi se contenta-t-il de hausser les épaules comme si ça ne l’intéressait pas. Madame Virelle avait une patience d’ange avec lui. Il lui était très reconnaissant de tout ce qu’elle avait accompli pour lui. Malgré tout, communiquer n’avait jamais été son fort. Bien qu’ils se côtoyaient régulièrement depuis ces dernières années, il s’arrangeait toujours pour ouvrir la bouche le moins possible.
– Bon, puisque tout est en ordre maintenant… on va pouvoir y aller. Tu as ta valise ?
Il hocha la tête et se leva de sa chaise sans attendre. Un nouveau sourire gigantesque illumina le visage de l’assistante sociale.
– Impatient à ce que je vois, hein ? Mais avant d’y aller, on doit refaire le point. Rassieds-toi s’il te plait.
Il soupira mais obtempéra. C’était parti pour le rabâchage.
– Tu vas donc partir chez Monsieur Humbert. Il te logera sur place. Il viendra nous chercher directement à notre arrivée à la gare. J’ai ton billet de train ici, je t’accompagne pour voir tes conditions d’hébergement. Je sais que tu es un grand garçon, mais tu es encore mineur, alors tu n’as pas le choix. Tu es sous ma responsabilité jusqu’à ce que je passe le flambeau à Monsieur Humbert.
Elle marqua une pause. Elle attendait une réaction de sa part. Il hocha brièvement la tête.
– Bien. Une fois installé, je te laisse à ses bons soins. Tu auras le temps de prendre tes marques la première semaine, puis tu commenceras officiellement ton apprentissage à partir de lundi prochain. Si d’ici là, ou même n’importe quand, quelque chose ne va pas, tu m’appelles. On est bien d’accord ?
Nouveau hochement de tête.
– Si tu ne te sens pas bien, tu m’appelles. S’il se passe quoi que ce soit, tu m’appelles. Si tu as le cafard, tu m’appelles. Si…
– J’ai compris, la coupa-t-il enfin. Elle avait l’air fière d’elle, elle venait de le piéger rien que pour le parler. Il leva les yeux au ciel toute en souriant, amusé. Elle le connaissait bien, elle savait qu’il détestait quand elle se comportait comme une mère poule.
– Très bien. De ton coté, je te fais confiance pour être avenant, aimable et souriant comme tu l’es toujours !
Tarik sourit devant l’ironie. Il hocha tout de même la tête. Il était bien conscient qu’il devrait faire un minimum d’efforts pour se montrer sociable. Ce ne serait pas facile, mais il devait bien ça à Madame Virelle. Voilà 4 ans qu’elle se démenait pour lui alors qu’elle le connaissait à peine, 4 ans qu’elle se battait pour lui et qu’elle mettait tout en place pour le sortir de sa situation merdique. Elle lui disait qu’elle ne faisait que son travail, mais Tarik, du haut de ses 17 ans, n’était pas dupe. Il y avait plus que ça. Un engagement qu’elle avait envers lui que personne n’avait eu jusque-là. Elle l’aimait bien, même s’il ne savait pas pourquoi, car il n’avait absolument rien fait pour mériter ça. Rien pour mériter autant d’efforts et de persévérance. Au contraire même. Ce projet qu’elle avait monté pour lui à la force de son travail et de son engagement pourrait se transformer en quelque chose de bien plus grand que lui. S’il ne faisait pas tout foirer, Madame Virelle décrocherait des subventions vitales pour la continuité de celui-ci. Ce qui signifiait que les années suivantes, ce ne serait pas un, mais des dizaines de gamins qu’elle sortirait des foyers pour leur offrir une chance d’une vie meilleure. Elle ne lui avait jamais mis la pression avec ça, pourtant il savait qu’il tenait entre ses mains des années de travail et qu’il pourrait tout foutre en l’air en un rien de temps. Il trouvait qu’il était le pire candidat possible pour accomplir une telle mission. Pourtant Madame Virelle croyait en lui. Elle l’avait choisi. Et il avait adhéré.
– Et surtout, Tarik, pas de fugue. C’est compris ? S’il se passe quoi que soit, je prends le premier train pour venir te chercher. Mais n’oblige personne à te faire rechercher par la police, d’accord ?
Il pinça les lèvres puis obtempéra. La remarque était agaçante mais justifiée. Ça n’aurait pas été la première fois qu’il trouvait comme seule solution d’essayer de disparaitre et que ça se terminait au commissariat…
– Tu n’as rien oublié ? Tu as ton téléphone, ton chargeur, tout ce qu’il te faut ? Si tu as besoin de quelque chose, je te le ferais envoyer. Et puis, voilà pour toi.
Elle ouvrit son tiroir et lui tendit un petit étui de plastique ainsi qu’une enveloppe. Il était floqué à l’effigie d’une banque et lorsque Tarik l’ouvrit, il y découvrit une carte bancaire flambant neuve.
– Tu vas gagner ton propre argent, alors je t’ai fais ouvrir un compte courant et voilà une carte pour t’en servir. Elle est bloquée, ça veut dire que tu ne peux pas dépenser plus que ce qu’il y a sur ton compte. Dans l’envelopper il y a tous les codes pour gérer tes besoins directement depuis l’application de la banque. Je te fais confiance pour ça.
– D’accord.
Il n’était pas certain de se faire confiance à lui-même. Il n’était pourtant pas très dépensier même avec l’argent de poche qu’on lui donnait au foyer. Il avait simplement du mal à se faire confiance.
– Madame Morel restera aussi en contact avec toi. Tu peux l’appeler en cas de besoin.
Madame Morel était sa psychologue. Il la voyait régulièrement même s’il était d’avis que ça ne servait à rien. Elle trouvait qu’il avait fait d’énormes progrès, lui ne voyait pas en quoi. Son rapport avec elle était mitigé. Il doutait qu’il l’appellerait. Il acquiesça malgré tout.
– Alors on peut y aller !
Cette fois, ils se levèrent de concert et sortirent tous les deux du bureau. Tarik récupéra sa valise qui l’attendait dans l’entrée, dans le bureau de la secrétaire. Cette dernière lui souhaita bon voyage et ils quittèrent l’immeuble haut qui abritaient différentes instances sociales de cette ville de banlieue parisienne. C’était la première fois qu’il allait prendre le train. C’était assez excitant.
Incroyable, cette assistante sociale mériterait une médaille, et cet ado paumé est tellement crédible.
Voilà qui promet une belle histoire.
J’adore la description au début qui dit tout sur le thème.
Merci beaucoup pour ce retour ! ça fait vraiment plaisir à lire ! J’espère que la suite sera à la hauteur, ahah !