Je croise toujours ce même homme le matin, en vélo. Toujours son bonnet noir, un manteau, un pantalon, des gants noirs et ses lunettes sur le bout de son nez rouge de froid. Des rides grandissantes dans le creux de ses joues, le regard fixé sur la route. On fait un peu la course à la mort, tous les deux sans casque ni lumière, fondus dans l’aube ou le crépuscule. Il pédale, il pédale, il pédale, premier jour deuxième jours troisième jour, je le retrouve chaque matin comme le levé du soleil ou la tartine qui sursaute à l’appel du grille pain. Pas un bonjour ni un sourire et pourtant je le connais mieux que mon boulanger. Ou la fleuriste du centre. Ou le vendeur d’huîtres le dimanche.
Peut-être qu’un jour je le verrai plus, les rides l’auront creusé jusqu’au bout, son corps en cendres et son vélo en débris. Et puis l’aube et mes tartines grillées ne seront plus jamais les mêmes.