Le Dernier Brûleur d’Étoiles – La Voix du Mirage, chapitre 8

6 mins

Nous quittâmes le village peu de temps après. Je ne tentai pas de fuir, préférant attendre d’être plus loin du village et que l’homme soit endormi. Je voulais lui poser des tas de questions, mais il marchait tellement vite à travers les buissons et les ronces que j’étais presque obligé de courir pour le suivre et avais besoin de toute mon énergie.

Nous marchâmes longtemps sans faire une seule pause, et quand enfin, nous nous arrêtâmes en milieu d’après-midi, j’avais les jambes coupées et le souffle court. Je me laissai tomber sur le sol et bus de longues gorgées de l’eau de ma gourde. L’homme s’assit en face de moi ; il ne paraissait ni essoufflé, ni fatigué. Il me regardait fixement, et je me sentis soudain très mal à l’aise.

– Raconte-moi ton histoire, me dit-il sans autre préambule.

Je tressaillis. C’était la première fois qu’il m’adressait la parole depuis que nous étions partis.

– J’aimerais déjà savoir qui vous êtes, risquai-je.

Je regrettai aussitôt mes paroles, pensant qu’il allait les trouver irrespectueuses, mais il se contenta de sourire et répondit :

– Mon nom est Galahad. Je doute que ça te renseigne vraiment, mais c’est tout ce que tu as besoin de savoir pour le moment.

J’acquiesçai. En effet, ce renseignement ne m’avançait pas beaucoup.

– Qu’allez-vous faire de moi ? demandai-je. Pourquoi m’avez-vous emmené ? Quel était ce village, qui étaient ces hommes ? Comment…

– Ce que je vais faire de toi, ça dépendra de ce que tu vas me raconter, m’interrompit Galahad. Explique-moi comment tu t’es retrouvé en plein milieu de cette forêt.

– Cette forêt ? Mais c’est un bois… enfin…

Son regard pénétrant qui n’avait toujours pas bougé me dissuada de poursuivre. Pouvais-je faire confiance à cet homme ? Devais-je lui raconter la vérité, ou bien une histoire inventée de toute pièce ?

– Ne t’avise pas de me mentir, avertit Galahad comme si j’avais réfléchi à haute voix. Je le saurais immédiatement et ça te coûterait très cher.

Des menaces ? Mais pour qui se prenait-il ? Je lui lançai un regard noir, mais me décidai tout de même à lui dire la vérité, du moins une partie.

Je lui relatai ce qui m’était arrivé depuis quelques jours ; je parlai de l’orphelinat, de la mort de mon amie Marina, de sa prédiction sur mon accusation de meurtre, de l’étrange comportement du directeur lorsqu’il avait appris le décès, de ma fuite, et enfin de ma rencontre avec ces mystérieux villageois. Je ne mentionnai ni mes cauchemars, ni les bleus apparus mystérieusement sur mon corps ; mais malgré cela, je me sentis soulagé de pouvoir enfin raconter ce que j’avais vécu à quelqu’un, fût-ce un parfait étranger. Galahad m’écouta sans m’interrompre une seule fois ; son visage était indéchiffrable, et je me demandai s’il pensait que j’étais fou et racontais n’importe quoi. Quand il fut sûr que je n’avais rien d’autre à ajouter, il se leva.

– Nous allons marcher jusqu’à la tombée de la nuit, me dit-il.

– Mais… commençai-je, surpris qu’il n’ait fait aucun commentaire sur ce dont je venais de lui faire part.

– Pas ici, coupa-t-il. Nous parlerons plus tard. Je comprends tes doutes et je te promets quelques explications, mais pas maintenant. Kellian pourrait avoir envoyé deux ou trois de ses hommes pour nous suivre et je n’ai aucune envie qu’ils se mêlent de mes affaires.

Considérant que la discussion était close, il se remit en chemin de son pas rapide, et une fois encore, je fus presque obligé de courir derrière lui.

Quand nous nous arrêtâmes enfin, le soleil était couché depuis longtemps. J’étais épuisé ; mes jambes étaient douloureuses, j’avais un point de côté et j’avais froid, bien que la température dût avoisiner les vingt degrés.

– Lève-toi, m’ordonna Galahad alors que je venais à peine de m’allonger. Va chercher un peu de bois pendant que je prépare de quoi manger.

Son ton était parfaitement calme, mais je devinais qu’il ne souffrait aucune réplique. Je me levai en grommelant et lui rapportai quelques branches sèches.

– On ne va pas faire un grand feu, me dit-il, car cette partie de la forêt n’est pas très sûre. On l’éteindra avant de dormir.

J’acquiesçai, renonçant à demander des explications. Je regardai Galahad ; en moins de trente secondes, il avait réussi à allumer un feu.

Sans allumettes.

Sans briquet.

Comme s’il avait fait ça toute sa vie.

Il sortit deux morceaux de viande de son sac de cuir et les fit griller au-dessus des flammes. Ce n’était pas mauvais, mais ça ne ressemblait à rien de ce que je connaissais.

– Galahad… murmurai-je lorsqu’il eut pratiquement éteint le feu. Où sommes-nous ?

– Dors, me répondit-il. Demain, nous aurons un long chemin à parcourir. J’espère que nous parviendrons à sortir rapidement de la forêt.

– Mais…

– Dors, je te dis. Je monterai la garde cette nuit.

– Monter la garde ? Mais pour…

– Dors !

Je poussai un grognement et m’installai à deux ou trois mètres de lui. Cet homme commençait à m’agacer, mais d’un autre côté, sa présence avait quelque chose de rassurant, tout comme l’épée qui pendait à sa ceinture. Et j’avais l’impression qu’il savait parfaitement où aller, contrairement à moi. Il me fallait rester avec lui pour comprendre ce qui m’arrivait, mais je me promis de lui fausser compagnie dès que j’aurais obtenu des réponses à mes questions.

– Gwenvael… Où es-tu ? J’ai besoin de toi…

– Je ne sais pas où je suis. Je croyais être dans le bois à côté de l’orphelinat, mais des évènements étranges se sont passés. Je suis perdu.

– Tu n’es pas perdu, tu es juste rentré chez toi… chez nous…

– Je ne comprends pas… Et qui es-tu ? Je t’entends, mais je ne te vois pas…

– Viens me sauver. Je suis trop faible sans toi.

– Te sauver ?

– Les hommes de Gurwan me retiennent. Ils sont à ta recherche. Ils ne doivent pas te trouver.

– Gurwan ?…

– Gurwan et ses soldats. Les Démombres. Ne les laisse même pas t’approcher.

– Je…

– Le jour se lève. Je dois te laisser, à présent.

Galahad s’approchait de moi pour me tirer du sommeil, mais j’étais déjà réveillé. Il ne faisait pas tout à fait jour.

– Qu’est-ce que tu as ? me demanda Galahad en me gratifiant d’un regard suspicieux.

– R… rien, répondis-je, encore troublé par les paroles que j’avais entendues.

« Tu es rentré chez toi »… Que signifiait cela ? Je me creusai la tête pour essayer de trouver une réponse plausible, puis je pris conscience que Galahad me dévisageait, les sourcils froncés. Alors, je me relevai.

– Tout va bien, assurai-je. On peut y aller.

Il ne répondit pas, et nous nous mîmes en route après qu’il m’eut jeté un dernier coup d’œil interrogateur.

Pendant toute la matinée, nous marchâmes en silence, quand tout à coup, je m’arrêtai net.

– Que se passe-t-il ? m’interrogea Galahad.

Il était sur le qui-vive, la main posée sur la garde de son épée.

– Je… vous n’entendez pas ?

Il tendit l’oreille, puis haussa les épaules.

– À part les oiseaux, il n’y a aucun bruit.

– Moi, j’entends autre chose. On dirait des chuchotements.

À nouveau, Galahad se concentra, mais ne sembla rien entendre.

– C’est ton imagination qui te joue des tours, conclut-il. Mais c’est normal, dans ce décor et avec la fatigue.

Je m’indignai de cette conclusion un peu hâtive. Comment Galahad pouvait-il mettre ma parole en doute ? J’entendais clairement des murmures autour de moi, même si je ne parvenais pas à identifier les voix ni à comprendre ce qu’elles disaient.

– Je vous assure que des gens parlent, répliquai-je, agacé.

– Et moi, je te dis que tu les imagines, rétorqua Galahad, tou¬jours parfaitement calme. Alors maintenant, assez perdu de temps. Remettons-nous en marche.

– Mais je ne suis pas fou ! insistai-je. Vous devez me croire !

Galahad, qui avait déjà parcouru une bonne dizaine de mètres, se retourna et revint sur ses pas.

– En route, ordonna-t-il.

– Je ne bougerai pas d’ici tant que vous ne me croirez pas.

Un éclair traversa les yeux de Galahad. Instinctivement, je reculai d’un pas.

– Je n’aime pas que mes ordres soient discutés, me prévint-il. Alors dépêche-toi, nous devons sortir de cette partie de la forêt avant ce soir.

J’hésitai pendant une fraction de seconde, mais son regard froid et son visage dur me dissuadèrent de continuer à discuter. Furieux, je me remis en route d’un pas rapide. Galahad ne fit aucun commentaire sur ma mauvaise humeur. Je lui avais obéi, peu lui importait que ce soit de bonne ou de mauvaise grâce. Il avait obtenu ce qu’il voulait.

En fin de journée, nous atteignîmes l’orée de la forêt. Je m’arrêtai pour reprendre mon souffle et contempler le paysage qui s’étalait devant moi. Il y avait quelques champs d’herbe haute, et au loin, je distinguai un village.

J’étais stupéfait. J’ignorais totalement l’existence de ce village. Galahad sourit de ma réaction.

– Nous passerons la nuit là-bas, m’informa-t-il. Viens. Nous devons arriver avant le crépuscule, sinon ils ne nous laisseront pas passer.

Je ne demandai même pas qui « ils » étaient. Je le suivis sans un mot, toujours d’humeur assez morose. Nous traversâmes les champs et nous gagnâmes un petit chemin de terre qui devait mener au village. J’avais remarqué que, depuis que nous avions quitté la forêt, je n’entendais plus de chuchotements autour de moi. Certes, cela me rassurait, car je n’avais plus le désagréable sentiment d’être observé, mais d’un autre côté, cela m’inquiétait, car à présent, je ne savais plus si je les avais imaginés ou s’ils avaient vraiment existé.

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