Chapitre1.2 – Le Bateleur (La prophétie des morts antiques)

7 mins

Elle embrassa sa nièce, raccrocha mais n’était pas très à l’aise avec tout le projet, même si elle n’avait qu’une hâte: serrer la petite dans ses bras. Mentir à Ange, son beau-frère dont elle avait toujours été proche depuis la mort de sa soeur et de son mari mais avec qui elle était en froid depuis sa dernière affaire, elle se disait bien que ce n’était pas une très bonne idée.

Elle soupira et regagna sa place dans la voiture du train. Par chance elle était assise dans le sens de la marche, ce qui lui évitait le mal des transports qui pointait en général son nez dès que ses pieds n’étaient plus en contact direct avec le sol et qui lui donnait la sensation de se projeter encore plus rapidement vers sa destination. Elle avait hâte d’arriver et de prendre quelques vraies vacances.

Finalement, depuis le drame plusieurs années auparavant et son changement de carrière, elle avait voyagé mais n’avait jamais pris de temps de repos, de temps vide de toute considération matérielle et elle espérait bien le faire à présent. Qui plus est, elle en avait les moyens. Kaplan, en effet, lui avait léguer tout ce qu’il possédait et c’était assez conséquent. Elle n’arrivait toujours pas à comprendre pourquoi, mais peut-être les papiers qu’elle avait emportée avec elle lui en apprendraient-ils plus. Sur pourquoi elle bénéficiait de ce leg et peut-être aussi sur le rôle qu’il avait pu jouer dans le meurtre de sa soeur et de son mari.

Cette dernière pensée tournait en boucle dans sa tête nuit et jour depuis sa mort, elle n’arrivait plus du tout à respirer sans et en même temps elle craignait ce qu’elle allait découvrir dans les papiers de Kaplan. Elle était passée à son appartement avant de partir, avait forcé sans vergogne l’élégant secrétaire en bois précieux qui trônait dans son bureau, avait pris tout les documents qu’elle avait pu trouver sans les trier, les avait fourré dans un grand sac de voyage qu’elle gardait maintenant près d’elle. La boîte de Pandore pensa-t-elle, oserait-elle l’ouvrir? 

***

Arrivés en gare d’Arles, les trois adolescents formaient déjà un groupe soudé. Ils étaient à cet âge flou où, passée la timidité de l’adolescence à peine entamée, on était ami à la vie à la mort, en quelques instants d’enfance partagée.

Chacun jouait déjà son rôle attitré dans le groupe, une façade leur permettant de trouver leur place; le voyage leur ayant permis de raconter une partie de leur jeune vie et de forger le récit de leur personnalité. Le petit Théo jouait la partition de celui qui est calé en histoire. Il ne devait pas pouvoir utiliser cela comme un avantage dans la vie de tous les jours, mais dans un camp d’archéologie, il se sentait plus à l’aise et n’hésitait pas à raconter ses anecdotes avec un débit de mitraillette, de peur sans doute, qu’on ne l’écoute pas jusqu’au bout.

Livia montrait un détachement pourtant très étudié à l’égard de tout ce qui l’entourait. Elle apparaissait aux yeux de Pauline comme la personne la plus cool de la terre, à la fois mystérieuse et gentille.

Pauline était l’enthousiaste du groupe, celle qui avait tellement hâte de faire des découvertes qu’elle transmettait cette envie aux deux autres. En débarquant sur le quai, elle put ajouter un atout dans sa main: la directrice du camp l’appela par son prénom et l’embrassa vivement sur les deux joues. Les deux autres se regardèrent: rester proche de Pauline, ce serait être au coeur de ce qu’il se passerait d’intéressant au camp.

La directrice leur parut sans âge: les cheveux tout blancs coupés court, toute petite, les épaules un peu voutée, elle aurait très bien pu être leur grand mère. Mais en même temps, elle faisait preuve d’un dynamisme assez redoutable pour une femme de cet âge. 

Le transfert entre la gare et le lieu des fouilles se fit en minibus, et Nicole Bouvier fut la première à lancer les chants de colonie de vacances pour mettre à l’aise les enfants. Les choses sérieuses arriveraient suffisamment tôt le lendemain. Elle savait que ce choix de vacances était relativement exigeant, fatiguant aussi, et qu’il y en avait toujours un ou deux qui jetaient l’éponge au bout de quelques jours passés à porter des seaux de terre sous un soleil de plomb.

Elle jeta un coup d’oeil dans le rétroviseur à la fille d’Ange. La petite avait ses cheveux bruns et raides mais en dehors de cela, elle ressemblait beaucoup à sa mère. Elle ne l’avait rencontrée qu’à quelques réceptions données par le doyen de l’université de Nice mais c’était frappant. Elle avait su pour le drame et déplorait qu’elle doive grandir sans sa mère. 

Lorsque Mathilde arriva à son tour en gare d’Arles, elle partit à pied vers la chambre d’hôtes qu’elle avait louée, pas trop loin du centre historique. Pas trop loin, mais en portant la cage du chat, elle se demandait si c’était une si bonne idée que cela. Le soleil commençait à peine à plonger vers l’horizon mais la chaleur était encore écrasante. Elle aurait pu prendre un taxi climatisé mais elle avait préféré se fondre parmi les touristes, sentir l’ambiance de la ville qui vibrait presqu’autant qu’en période de feria. Les enfants mangeaient des glaces qui fondaient à toute vitesse, les parents s’énervaient, les jeunes se déplaçaient en bandes joyeuses. Elle arriva enfin à l’adresse indiquée sur le GPS de son téléphone. Une jeune femme blonde l’accueillit et lui montra la chambre qu’elle avait prévu d’occuper dans les quinze prochains jours.

Mathilde avait choisi cette adresse pour sa localisation et parce que les propriétaires acceptaient les animaux. Elle ferma la porte sur son hôtesse et s’empressa de libérer le chat qui préféra rester dans sa cage. Il se contenta de s’étirer, de laisser sortir un patte nonchalante et d’allonger sa grosse tête dessus. 

— Tu as l’esprit de contradiction, murmura-t-elle plus pour elle-même que pour l’animal. 

Elle consulta l’heure sur son téléphone et se demanda si elle essaierait de localiser le chantier de fouilles où se trouvait Pauline ou si elle se mettrait à la recherche d’un bon restaurant. Il était encore tôt et elle opta pour la première option. Elle nourrit le chat et descendit l’escalier où elle croisa son hôtesse.

— La chambre vous plait?

— Elle est très jolie, et j’adore la vue sur les arènes.

— Je préfère vous prévenir qu’elle n’est pas très calme, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle était encore disponible en cette saison.

— Ce n’est pas grave, j’habite Paris et je n’arrive pas à m’endormir sans le bruit des voitures et des sirènes. 

— Ici, ce sont plutôt les fêtards qui risquent de vous empêcher de dormir, il y a pas mal de bars et de restaurants dans le quartier.

— Justement, une adresse à me conseiller?

— Ça dépend, vous préférez rester dans le coin ou ça ne vous dérange pas de marcher un peu dans le centre-ville?

— Je suis venue de la garde à pied, alors j’avoue que je préférerais quelque chose de pas trop loin.

— Alors, vous allez juste contourner les arènes, et quand vous verrez que la rue remonte vous avez deux restos sympas, un végétarien, l’autre plus classique, mais vous ne vous ruinerez ni chez l’un ni chez l’autre. A moins que vous cherchiez du gastronomique peut-être?

— Non, non ce sera parfait, merci. Au fait, j’ai oublié de vous demander votre nom. Moi, c’est Mathilde, enchantée.

— Je m’appelle Sylvia. Passez une bonne soirée.

Mathilde la salua après l’avoir remerciée à nouveau. Elle trouva facilement l’adresse indiquée par Sylvia et opta pour le végétarien, pour se donner bonne conscience en suivant les conseils de Sam, qui avait repris son hygiène de vie en main depuis qu’elle était rentrée chez elle. Elle fut plutôt agréablement surprise et passa un agréable repas. Avant de demander l’addition, elle trouva l’endroit du chantier de fouille et rentra l’itinéraire dans le GPS de son téléphone. Il était presque neuf heures du soir mais il faisait encore jour et Mathilde se sentit à nouveau d’attaque pour marcher environ quinze minutes comme le lui indiquait son application. Une promenade de santé en somme. 

En suivant les indications, elle s’éloigna sensiblement de la partie animée de la ville, et après avoir dépassé le musée d’archéologie, elle ne croisa presque plus personne. Elle repéra le chantier. Il n’était pas complètement hors des habitations mais on était un peu éloigné des grands bâtiments antiques du centre ville ou même des Alyscans. Elle se demanda quels types de vestiges avaient bien pu être retrouvé ici. Elle en saurait sûrement plus demain. 

Pour le moment le chantier était désert. Entouré d’un grillage, comme s’il s’agissait d’un bâtiment en construction, on pouvait voir l’état des fouilles. Enfin, pour un oeil non initié il s’agissait d’un vaste espace plein de terre. On devinait des tas de remblais de-ci de-là, des fosses, dont certaines étaient recouvertes partiellement d’une bâche. Sur un des côtés, des outils étaient regroupés, pelles, truelles, mais aussi de grands seaux en plastiques et toute une collection de pinceaux et de brosses. Au loin, Mathilde devinait plusieurs baraquement en préfabriqués. Sûrement le logement des archéologues, car des lumières étaient allumées, et qu’elle percevait des voix. Les enfants, eux étaient logés dans l’internat d’un lycée qui se trouvait à proximité. Elle ne pourrait voir Pauline que le lendemain mais elle lui envoya un petit texto.

Je suis devant le chantier des fouilles. J’espère que ça te plaira, j’essaierais de passer demain matin. J’espère que ta chambre est sympa. Biz.

Elle reçu une réponse presqu’instantanément, ce qui la fit sourire. C’était bien une ado avec son téléphone en permanence avec elle.

L’internat est super. On a mangé dans la cantine du lycée, c’était bof. On se raconte des histoires de fantômes avec les copains. A demain, j’ai hâte!

Mathilde lui envoya un coeur en émoji et rempocha son téléphone. Elle se rappelait à peu près du chemin par lequel elle était arrivée. Elle commença à s’éloigner lorsque sa vision périphérique perçut un mouvement. Elle se retourna et distingua une silhouette qui se déplaçait sur le chantier. Sans doute quelqu’un avait-il oublié quelque chose, pensa-t-elle en continuant à s’éloigner quand quelque chose la retint. Elle se glissa derrière un de ces gros conteneurs de poubelle pour le recyclage des déchets de construction qui bordait le chantier et qui devait être mis à la disposition de ceux qui fouillaient. Elle essaya de se concentrer sur le détail qui avait retenu son attention. Pourquoi cette personne lui avait-elle parue déplacée? Parce qu’il ou elle portait un pantalon et un sweat à capuche noir en plein mois d’août, finit-elle par penser. Elle se glissa lentement le long de la benne pour essayer de jeter un nouveau coup d’oeil, mais elle ne distingua pas grand chose. Maintenant, la nuit était tombée et l’éclairage public ne permettait pas de voir l’ensemble du terrain consacré aux fouilles. Le baraquement où brillait une fenêtre un peu plus tôt était lui aussi dans l’obscurité à présent. Mathilde plissa les yeux, attendit plusieurs minutes mais ne vit rien bouger. 

Soudain, un bruit de ferraille la fit sursauter, mais ce n’était que deux chiens qui se battaient pour une boite de conserve trouvée dans une poubelle. Mais cela la ramena à la réalité: elle se trouvait seule, dans une rue mal éclairée, avec des animaux en liberté et peut-être un rôdeur qui essayait de voler des outils sur un chantier. Elle décida de rentrer au plus tôt dans la jolie chambre d’hôte où l’attendait un chat maintenant devenu affectueux.

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3 Commentaires
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d'Hystrial Haldur
1 année il y a

Toujours curieuse cette bonne Mathilde. C’est pour ça qu’elle a un chat.
Peux-tu me dire depuis combien de temps s’est écoulé depuis ton précédent volume ? Il me semblait que Pauline était bien plus petite, mais peut-être n’était-ce qu’une impression.

lui avait léguer -> é

d'Hystrial Haldur
1 année il y a

Je te crois sur parole ! C’est que je la voyais plus petite c’est tout.

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