Comme pris au piège, au milieu de nulle part, venait s’éclater contre le froid des murs de pierres l’inlassable claquement de gouttes d’eau et de silence. Quelle heure était-il ; jour ou nuit ; où était-il concrètement ? Tant de questions simples aux réponses si difficiles.
C’était un long couloir rempli par l’humide vide, un dédale de tours et de détours ; n’importe qui en deviendrait fou.
Le silence par instant était dérangé par le bruit de pas traînants, soyeux frottement de la semelle sur le sol, douloureuse sensation que l’écorchure de la pierre au creux de la paume ; sentir le vent, mesquin, caresser la roche, courant d’air sournois déroutant l’exaspérante recherche de la sortie.
Dérangées par la lumière faiblarde de la lanterne, les chauves-souris s’envolent en tourbillons d’ombres et d’ambre, emplissant l’antre noir du claquement bref du cuir de leurs ailes. Le silence finalement revient, mais se brise de nouveau à un ricanement nerveux. La trop longue solitude ne réussit pas l’Homme.
Mais maintenant, il était trop tard pour abandonner.
Poursuivre le chemin, couloir après couloir, l’oreille perdue au moindre bruit, à la recherche d’un rêve ou de l’infini. Finir par croire à un conte, un songe éveillé ; fut-il si bête pour y croire ? Mais pourquoi, toujours, croire qu’un rêve n’a pas de réalité, pourquoi éternellement assurer qu’un rêve est un rêve et ne sera jamais réalisé ?
Seul au milieu du silence, malgré l’esprit lassé et fatigué, il voulait encore y croire. Il y avait bien une sortie quelque part ! Cela lui apprendra à être trop sûr de lui.
Levant les yeux vers la voûte de pierre, un soupir passa ses lèvres. Le paysage ne daignait changer. Toujours ces mêmes rochers, colorés par des filets d’eau ruisselant sur la surface rugueuse comme quelques veines irriguant le ventre de ce monstre de roc.
“Reprends-toi, Edward. Tu n’es peut-être pas entré de plein grès, mais tu en sortiras de ton propre chef.” Se prit-il à murmurer, alors qu’il se décourageait.
Les yeux fermés, à écouter le silence. A chercher la brise qui guiderait vers la lumière de la lune ou du soleil. Ne trouvant rien, soupirant, posant la lanterne, il se laissa glisser au sol, les jambes endolories. Depuis combien de temps errait-il ?
Il sentit l’air frais venir chatouiller son visage. Rouvrant les yeux, il fut sur ses pieds en un rien de temps. Une échappatoire ne devait pas être loin ! Reprenant sa seule source de lumière, il se laissa guider. Mais tout ce qu’il trouva fut un trou béant, s’ouvrant devant lui ; antre noir et semblant sans fond, ouvert dans le sol tel la gueule d’une bête prête à happer tout passant imprudent. Un grognement de rage vint s’éclater contre la cavité, alors qu’il faisait demi-tour. Un écho lui parvint alors, de la crevasse, mais répété aussi sur sa droite. Il fronça les sourcils, et y dirigea sa lampe : une galerie courbait tranquillement, une faible lumière se reflétant sur le gris de ses murs naturels. Il ne put retenir un sourire.
Engagé dans le couloir, sans perdre prudence, il espérait que cela ne fut pas un jeu de son imagination. Il se figea. Une grimace de surprise sur ses traits. Devant lui, l’impensable. Ce n’était pas une sortie.
L’immense salle avait été creusée par le travail de milliers d’années par les ruisseaux brillants sur les murs. La voûte était presque parfaite, et un trou tout en haut laissait passer la lumière d’un soleil matinal, l’odeur y règnant, celle de mousse humide. Une rivière souterraine avait fait son lit là, entre les pierres, et lui donnait une impression de Styx. Sur chaque rive, un léger parterre herbeux, couvert de poussière rocheuse, dressée sur un rocher, tel sur un promontoire, une statue toute d’or vêtue, et au bord de l’eau, quatre autres, plus sobres étaient éparpillées. Etait-ce les portes de l’Eden, ou le chemin vers l’Enfer ?
Il osa un pas, éteignant la flamme de la lanterne, son regard s’attachant aux moindres détails. Finalement, il s’avança, méfiant, vers l’une des quatre statues du bord de l’eau.
Il fronça les sourcils. Elle lui paraissait familière. Il s’en écarta, pour en rejoindre une autre. L’impression fut la même. Et ce pour les deux autres également. Il les détailla encore un instant.
La première, portait sur ses traits, une expression de vaine satisfaction, la seconde, semblait surprise, la troisième, une attitude guerrière, et la quatrième semblait aux prises avec une violente peur.
Il les observa longuement… Soudain, il lui sembla les reconnaître. Oui, il les connaissait, ces quatre hommes ! C’était ceux-là même qui l’avaient perdu ici, ceux qu’il avait cru cerner ; ayant partagés son chemin en quête d’une légende, pour retrouver l’un des plus inestimables et magnifiques artefacts d’une civilisation oubliée depuis des années. Ils avaient conclu, qu’une fois la pierre trouvée, il irait la vendre au musée le plus offrant, et qu’ils se partageraient le prix une fois cela fait.
Mais ils avaient décidé, une fois la grotte trouvée, de se débarrasser de leur meneur, afin de se partager, entre eux seuls, le prix d’une vente au marché noir, plus avantageuse sans doute, mais qu’il n’aurait pas accepté.
A peine entrés, ses escrocs considéraient ne plus avoir besoin de lui, il se souvenait avoir pris un coup, et s’être réveillé au milieu de nulle part, dans le silence et l’humidité. Ils avaient eu la décence -ou l’ironie- de lui laisser une lanterne, à la lueur faiblarde. Il s’en était emparé, une fois ses esprits repris, et était parti à la recherche d’une sortie, ruminant sa naïveté…
Délaissant finalement l’angoissante question de savoir s’il s’agissait bien de ces piètres compagnons, et de ce qui avait bien pu les changer en statue de pierre, un petit rire moqueur lui échappa. Est pris qui croyait prendre ! Lui, partirait peut-être sans trésor, mais il sortirait vivant !
Il prit de nouveau la lanterne et la ralluma, après avoir constaté que l’ouverture dans le plafond était trop haute, et de toute façon trop petite pour lui, et reparti en sens inverse, à la recherche d’une autre sortie.
***
Il y repensait, maintenant, quelques jours plus tard, assis à son bureau, le nez perdu dans un vieux livre. Après des heures, il avait réussi à trouver enfin une sortie, et n’avait pas traîné plus longtemps aux abords de la grotte, ayant mis sa vision des quatre hommes-statues sur le compte de la fatigue et de la trop longue solitude. Mais ce livre, plus exactement ce qu’il y lisait, lui rappelait ce mauvais souvenir.
C’était une légende, décrivant une rivière souterraine, surmontée d’une grande statue dorée, sous le promontoire de laquelle dormait une pierre inestimable. Une atmosphère douce et tranquille, un avant-goût d’infernal paradis au beau milieu d’une galerie millénaire… Quiconque tenterait de dérober la pierre, provoquerait la colère de son gardien, l’être d’or la surplombant, décidant dans sa furie, de les changer en pierre.
Un sourire incrédule se dessina sur ses lèvres, alors qu’il refermait le livre, s’appuyant un peu plus dans le fond de son fauteuil. Son métier d’historien, doublé d’archéologue lui avait fait voir d’étranges histoires, mais jamais de telles.
Il posa les yeux sur la lanterne l’ayant accompagnée dans sa longue épopée, et qu’il n’avait pu se résoudre à bazarder, posée fièrement sur l’un des meubles de la pièce, et finalement, prit son carnet.
« Les légendes sont comme les rêves. Parfois elles ont un semblant de réalité, parfois elles en sont complètement détachées. Nous les voyons comme fausses, nous les admettons comme irréalisables. Mais pourquoi toujours croire que l’impensable n’est pas possible ? Ce que j’ai vu, ce qui est raconté, cette ressemblance ; jeu de mon esprit ou d’une chimérique vérité ; cependant, n’est-ce pas juste ce que ce bas monde nomme ‘‘coïncidence,, ? »