«Je suis comme ces temples où l’on pratique l’exorcisme, où il faut ôter ses chaussures pour entrer, où l’on purifie l’air avec des encens, où on lave les croyants avec de l’eau bénite», Alexandre Jodorowsky, La voie du Tarot.
La grande prêtresse avait revêtu le manteau pourpre qu’elle porterait durant toute la période de la formation de ses jeunes officiants. Elle devrait maintenant leur dévoiler les mystères du culte de leur divinité. Elle soupira et s’apprêta à leur parler. Elle retoucha sa coiffure, refit la tresse qui retenait son imposante chevelure brune: tout devait être parfait pour le rituel et son image impressionante. La divinité qu’elle servait représentait l’alpha et l’omega du cosmos, la plénitude du monde et du temps. Elle s’avança vers les flammes du brasero et observa les douze jeunes gens devant elle.
— Mes enfants, laissez-moi vous parler de Phanes aux milles visages, laissez-moi vous conter l’histoire du monde.
Même ceux pour qui ce discours n’était pas nouveau se turent et écoutèrent en silence. Donna Major se lança dans le long récit qu’elle connaissait par coeur depuis le temps. Elle avait passé toute sa vie au temple. Elle-même avait eu leur âge, et maintenant alors que des fils d’argent striaient les boucles de ses cheveux noirs, elle regardait avec fierté toutes les années dédiées à son sacerdoce. Elle inspirait le respect à toutes les prêtresses du temple, ainsi qu’aux jeunes officiants qui constituaient le coeur des rituels et des cérémonies. Dans la cité aussi, sa puissance était reconnue, et bien qu’elle vécut en quasi recluse, les magistrats venaient encore souvent lui soumettre problèmes, dilemmes et cas de conscience. Ils appréciaient tous sa sagesse et ses conseils avisés, qu’elle dispensait toujours après mûre réflexion. Elle était consciente de son pouvoir et de son influence.
Une influence qui commençait à susciter des rumeurs et des oppositions. Certains commençaient à murmurer dans les rues de la cité, sur l’agora et dans les bas-fonds. Certains lui déniaient son autorité, certains voulaient reléguer le culte qu’elle rendait à Phanès à une pratique archaïque, dépassée. Surtout on voulait la faire taire, instaurer un nouvel ordre dans la cité, voir naître de nouveaux hommes de pouvoir. Depuis qu’un empereur régnait sur Rome, certains voulaient voir la cité changer les visages de ses représentants.
Elle gomma l’inquiétude qu’elle sentait pointer dans sa voix quand ces pensées sombres l’assaillait. Pour le moment, son devoir était de former ces jeunes gens, de faire perdurer le culte, coûte que coûte. Ce soir, dans l’intimité de sa cellule, elle consulterait les oracles, mais l’avenir s’annonçait sombre.
***
Au matin, les jeunes gens prirent leur petit déjeuner bruyamment et en faisant preuve d’une énergie de bon augure. Nicole Bouvier les observait en buvant elle-même son troisième café depuis qu’elle s’était levée. Elle avait déjà prévu ses équipes. Chaque archéologue avait à sa charge, un étudiant en thèse, un étudiant de troisième année qui devait valider un stage pour son master et trois des adolescents du groupe. Les étudiants étaient là pour former rapidement les jeunes et leur éviter d’endommager de potentielles découvertes. Chacun groupe était assigné à un espace bien défini du site. Elle seule avait pour le moment une vision d’ensemble, et ce qu’il laissait présager promettait d’être assez spectaculaire. Ils n’avaient pas découvert une zone d’habitation banale mais plutôt un grand bâtiment qui paraissait imposant. S’agissait-il d’un édifice administratif? religieux? ou bien simplement d’une grande halle de stockage? Elle l’ignorait pour le moment, et l’éloignement du reste des vestiges antiques d’Arles ne permettait pas de trancher, mais cette session de fouilles promettait d’être passionnante.
Elle signifia le départ à toute l’équipe d’un signe à son assistante, la jeune blonde qui avait accompagnée les adolescents dans le train depuis Nice.
Pauline et ses nouveaux amis marchaient en tête du groupe en arrivant sur le site. Ils étaient plus que convaincus que cette première journée leur apporterait des découvertes fantastiques, faites de poteries richement ornées, de statues de marbre ou même de bijoux en or sertis de pierres précieuses. L’exposé, assez long, d’un vieil archéologue en short leur expliquant qu’ils allaient surtout porter des sacs de terre les ramena à la réalité. Les soupirs commençaient à s’élever du groupe des adolescent quand Nicole coupa court à ce discours déprimant et répartit les équipes.
Le trio infernal, comme les avait déjà surnommé in petto Nicole, se retrouva avec un archéologue d’un âge avancé mais qui saurait intéresser ces jeunes motivés, elle en était persuadée. Les deux étudiants qui l’accompagnaient avaient déjà pris les choses en main, ramassé les outils et les seaux, et se dirigeaient vers le coin qui leur avait été attribué. Nicole se dépêcha de répartir le reste des équipes et elle chercha du regard son plus jeune collaborateur, un jeune homme qui n’avait pas trente ans et qui était déjà titulaire d’une chaire d’archéologie à l’université de Rome. Il était venu spécialement à sa demande, ravi cependant de pouvoir aider celle qui avait été son professeur, plusieurs années auparavant.
— Ah, Tristan, je te cherchais. On doit parler. Dis-moi si tu as du nouveau, hier j’ai senti comme de l’électricité dans l’air quand tu es arrivé pour prendre ton dîner.
— Oui, il faut absolument que je te fasse un rapport sur ce que j’ai trouvé hier, c’est totalement exceptionnel.
— Viens, montre-moi.
Ils se dirigèrent un peu à l’écart du groupe qui débordait d’enthousiasme en portant les premiers seaux de terre. Tristan, souleva le bord d’une bâche qui recouvrait une grande fosse rectangulaire.
— Tu vois ce que j’ai mis à jour hier soir?
Nicole plissa les yeux pour distinguer quelque chose sous l’ombre de la bâche. Elle crut reconnaître une forme courbée, blanche.
— Des ossements?
— Oui, madame.
— Humains?
— La réponse est encore oui, tu peux repérer une côte, et on a toute la cage thoracique.
— On est dans quelle strate?
— Période romaine, sans doute Ier siècle de notre ère. Mais on pourra affiner en faisant des tests.
— Ce serait une sépulture? on serait dans une sorte de cimetière? mais on n’a pas encore trouvé de tombeau.
— Non pas de stèle ou quoi que ce soit d’approchant à proximité. Je crois que c’est différent. Et je crois qu’il n’y a pas qu’un seul corps.
— Bon très bien, pas un mot pour le moment. Je ne veux pas que tout le monde s’en mêle et y aille de sa petit théorie. C’est ta trouvaille, c’est toi qui creuse, et c’est toi qui communiqueras. Prends Elvis et sa copine avec toi. Et tu leur donne les mêmes consignes. Pour le moment, pas un mot.
Tristan acquiesça d’un hochement de tête et n’attendit pas un seul instant de plus pour se remettre au travail.
***
Merci Esther, les choses avancent tout doucement, c’est bien