Vers la fin de la matinée, Mathilde arriva enfin sur le chantier de fouille. Elle repéra immédiatement Pauline. Elle l’observa de loin un instant. Le jeune fille, un peu dégingandée pour son âge, portait un short, et un chapeau de toile comme presque tous ses camarades. Mathilde la vit courir dans tous les sens avec son seau de terre, s’impliquer au maximum dans sa tâche, se coucher à plat ventre pour observer un vieux type qui creusait prudemment avec une truelle. Elle imaginait très bien les étoiles dans les yeux de sa nièce et elle était contente qu’Ange l’ai laissée venir pour ces vacances. L’expérience serait enrichissante pour la petite, elle n’en doutait pas.
Soudain, elle leva les yeux et repérer sa tante. Elle se mit à lui faire de grands signes, dit quelques mots au groupe qui était autour d’elle et courut vers le grillage devant lequel se tenait Mathilde.
— Super, tu es là, je suis trop contente!
— Salut ma belle. Je suis contente aussi, comment tu vas?
— Super. Super bien même. J’adore ce qu’on fait ici! C’est super, tu n’imagines même pas!
— Ça a l’air physique quand même. J’espère que tu ne te fatigues pas trop et que tu as mis de la crème solaire, le soleil est vraiment fort, même le matin.
— Ne t’inquiète pas! Je suis une grande fille maintenant et puis papa m’a déjà dis tout ça hier soir, dit-elle d’un ton plus boudeur.
Mathilde observa la gamine en se disant qu’effectivement elle avait bien grandi, même depuis qu’elle l’avait vue quelques semaines auparavant. A cet âge-là, elle avait l’impression que les jeunes prenait dix centimètres à chaque fois qu’on ne les regardait pas. Mais elle était encore petite à ses yeux, une petite qu’elle voulait protéger coûte que coûte contre tous les dangers qui pourraient surgir. Et pourtant elle ne se sentait pas capable d’endosser ce rôle, d’être auprès d’elle pour la regarder grandir. Elle soupira.
— Et ton père justement, j’imagine qu’il ne sait pas encore que je suis ici, à Arles?
— Non mais promis je lui dis bien bientôt! Bon allez, viens, on va voir Nicole, sinon les autres vont se demander ce qu’on fait. Regarde, suis le grillage jusqu’au baraquement, je te rejoins là-bas. A toute!
Mathilde appréhendait un peu la rencontre avec Nicole, elle la savait très proche d’Ange et très rigoureuse. Elle avait une responsabilité vis-à-vis de ces jeunes et elle se doutait que cela lui tenait à coeur. Elle ne devait pas plaisanter avec les autorisations parentales et ce genre de choses. En la voyant approcher, elle la reconnu immédiatement bien qu’elle ne l’ait plus vue depuis plusieurs années.
— Mathilde! La petite m’a prévenue que tu passerais, ça me fait plaisir de te voir!
— Moi aussi, tu ne changes pas!
— Tu parles, mes articulations ne sont pas d’accord avec toi. Dis, Pauline, retourne avec ton groupe, je vais discuter un peu avec ta tante et puis on passera voir ce que vous faites. D’accord ma belle?
La jeune fille acquiesça et repartit en courant, toujours aussi légère et enthousiaste. Nicole la regarda partir en souriant et puis se retourna vers Mathilde.
— Elle est super cette gamine. Je suis contente qu’Ange me l’ait confiée, elle a besoin d’aller de l’avant, de voir du monde.
— Je suis d’accord, mais en parlant de son père, il faut que tu saches que…
— Je t’arrêtes tout de suite, Pauline m’a expliquée la situation et je ne crois pas que ce soit bon qu’il la coupe de la soeur de sa mère. C’est une idiotie. Fais-moi confiance, je me charge d’Ange, je lui expliquerais la situation et gare à lui s’il gronde sa fille ou s’il s’en prends en toi. Je l’adore, mais s’il faut lui remettre les idées en place, je le ferais sans problème.
— C’est gentil, mais tu ne connais pas tous les tenants et les aboutissants parce Pauline ne les connaît pas non plus. Le mois dernier, j’étais sur une affaire compliquée, et au cours de l’enquête Ange et Pauline ont été trop près de moi, ils auraient pu être sérieusement en danger. Et puis, ça a soulevé de nouvelles informations sur la mort de Louise, et on s’est fâchés. Je lui ai posé des questions, il n’a pas voulu me répondre et depuis on ne se parle plus.
— C’est plus grave que ce que je croyais, mais ça ne change rien pour moi. La petite n’a plus que toi du côté de sa mère, ce n’est pas juste de vous priver l’une de l’autre. Je te l’ai dit, je m’occupe de son père, ça va s’arranger.
— Je l’espère honnêtement, je ne crois pas qu’on puisse continuer ainsi.
— En tous cas, tu peux revenir ici quand tu veux. Et ce nouveau métier, alors, c’est vraiment ce qui te convient?
— Oui, je crois qu’on peut le dire ainsi, ça me convient, ça a changé toute ma vie, je ne pourrais plus faire autre chose, pour le moment. J’ai appris de nouveaux réflexes, une nouvelle façon de penser, d’observer les objets, les gens. D’ailleurs, il faut que je te dise quelque chose. Hier soir, je suis venue repérer l’adresse du chantier et alors que la nuit tombait j’ai aperçu un rôdeur.
— Un rôdeur, tu es sûre?
— Je ne peux rien affirmer, c’est peut-être juste quelqu’un de ton équipe qui revenait chercher quelque chose sur le chantier, mais son attitude m’a parue suspecte, tu n’a rien remarqué, pas de vol de matériel? Il y a peut-être des antiquités à voler, il n’y a rien de valeur ici?
— De valeur pas tout à fait, mais un de mes collaborateurs a fait une découverte assez intéressante, quelque chose qu’on a du mal à expliquer pour le moment et je n’ai pas envie que ça s’ébruite, si quelqu’un traîne sur mon chantier, ça ne me plaît pas beaucoup. Je vais faire attention et puis je te tiens au courant, ça pourrait m’aider que tu sois devenue détective privée. Bon allons, voir ce que font ces jeunes, pour le moment ils sont pleins de vigueur mais ce soir ils vont pleurer sur leurs courbatures.
Mathilde suivit Nicole jusqu’au chantier du groupe formé par Pauline, ses amis et leurs encadrants. Ils lui furent tous présentés, et elle fut contente de voir que sa nièce était bien entourée. Ensuite Nicole battit le rappel, il était presque midi, la chaleur devenait difficilement supportable, il était temps de passer dans les préfabriqués pour déjeuner et prendre un temps de repos bien mérité. Ils ne reprendraient le travail qu’à partir de 16 heures, Nicole ne voulaient pas se retrouver avec des insolations dès le premier jour. Elle fit boire toute le monde copieusement et proposa à Mathilde de rester pour partager leur repas. Elle déclina mais accepta l’offre de repasser quand elle voudrait. Pendant le temps calme, elle pourrait profiter de Pauline et même l’emmener en ville si elle le souhaitait.
La semaine se poursuivit ainsi. Mathilde passait tous les jours soit en fin de matinée soit en début d’après-midi, elle prenait quelques heures pour parler avec Pauline et souvent ses amis. Ils voulaient tout savoir de son métier, elle essayait de les aiguiller plutôt sur un compte rendu détaillé de leurs fouilles, jugeant qu’il n’était pas nécessaire que de jeunes adolescent fantasment sur son métier.
Ils n’avaient personnellement pas trouvé grand chose en dehors de quelques tessons de poterie, mais ils avaient entendu parlé du rôdeurs et menaçaient de revenir en douce sur le chantier pour vérifier que personne ne volaient rien. Mathilde les mit en garde, interdit formellement à Pauline de tenter quoi que ce soit de ce genre et espéraient qu’ils ne se lanceraient pas dans une aventure genre “Club des Cinq”. Elle prévoyait d’en parler à Nicole.
Ils avaient aussi remarqué qu’une partie du chantier paraissait plus intéressante que les autres.
— Nicole est toujours là-bas ou presque et puis celui qui s’en occupe est tout seul, il n’a pas de jeune avec lui, je suis sûr qu’il a trouvé quelque chose de mieux que nos bouts de poterie, affirma Théo aux autres.
— Tu crois qu’on pourrait en savoir plus, on pourrait peut-être aller jeter un oeil discrètement? demanda Pauline.
— Vous feriez mieux de vous concentrer sur votre travail, c’est peut-être vous qui ferez une découverte décisive, vous n’en savez rien. Je vais essayer de questionner Nicole pour vous mais arrêtez d’essayer de fouiller partout, sinon je préviens vos parents, menaça Mathilde.
C’était le vendredi soir. Mathilde se dirigea vers Nicole qui s’apprêtait à faire retourner tout le monde vers le chantier.
— Je vais vous laisser reprendre le travail mais je voulais savoir si tu avais remarqué des choses étranges? Pas de rôdeur en définitive?
— Je crois que si, tu avais sans doute raison. On dirait que quelqu’un vient chaque soir pour soulever une bâche de-ci, de-là, comme s’il voulait savoir l’avancée du chantier ou s’il cherchait quelque chose.
— Et cette découverte dont tu me parlais l’autre jour, il n’y a pas eu de dégradation?
— Non, mais ça m’inquiète. C’est vraiment important ce qu’on a découvert. C’est une fosse avec plusieurs corps, je ne sais pas encore ce que ça signifie, mais c’est majeur. Je ne veux pas qu’on sache ce que c’est et je ne veux pas non plus qu’on abîme quoi que ce soit.
— Tu sais que tes jeunes ont pas leurs yeux dans leurs poches, ils se doutent qu’il y a un truc plus important que les autres, les bruits circulent déjà.
— Je crois que ce soir je vais planquer ici, je veux savoir ce qu’il en est.
Mathilde ne trouvait guère raisonnable qu’une femme de son âge, en charge de tout un groupe, prenne sur elle de venir faire une planque de nuit et lui proposa son aide; après tout, pourquoi ne pas profiter de ses compétences?
Nicole se rangea à ses arguments et décida de l’employer dûment comme détective pour surveiller le chantier la nuit. Mathilde venait de passer de vacances à peine reposantes à un emploi à temps plein. Elle ne mesurait pas encore l’ampleur de cette simple décision, car les morts dormaient encore dans le sol de l’histoire. Le présent allaient tous les rattraper.