Partie III – Exceptionnelle
Un an et quelques mois plus tard
1.
– Aïe !
– Vous êtes vraiment douillette
– J’aimerai vous y voir !
– Un peu de courage ma Lady, j’ai presque fini. Sa femme de chambre tira de nouveau sur les fils du corset d’Astrée. Elle eut le souffle coupée. –
Uriel, sous la forme d’un chat noir aux poils longs, avait trouvé sa place assit sur la coiffeuse et il regarda la scène amusé.
– Pourquoi les femmes s’infligent tant de souffrance ?!?
– Si jamais vous avez la réponse vous me le direz Madame. Astrée sourit, elle aimait bien Bonnie. Cette dernière avait un fort accent écossais et ne pouvait pas s’empêcher de jurer sur le bon dieu dès qu’elle le pouvait. Sa poitrine énorme avait eu pour effet de tourner quelques têtes. Sous la protection d’Astrée elle avait eu un peu de paix face aux maîtres et employés de maison un peu trop insistants, ce qui faisait d’elle une employée fidèle.
– Voilà ! Maintenant la jupe. Astrée leva un sourcil en voyant la robe rouge de cérémonie. Elle avait toujours détesté le rouge, bien que la couleur aille bien avec son teint pâle et ses cheveux châtains. Le bleu et le vert étaient ses couleurs de prédilections et la voilà obligée de porter une couleur qu’elle considérait comme agressive.
– Étouffez-vous avec !
– Bon sang de bon dieu vous n’allez pas être désagréable un jour pareil !
– Je vous attends en bas.
– C’est ça !
Uriel sauta sur le sol et se frotta contre les cuisses de Bonnie.
– Au revoir mon bon chat. Arrête de passer sous mes jupes, petit coquin ! Le chat miaula en guise de réponse et trottina dehors. Astrée le sourire aux lèvres se redressa et enfila la jupe.
– Vous êtes radieuse Madame ! – Cette dernière se regarda dans le miroir en grimaçant. – Je vais serrer derrière.
Tandis que Bonnie ajusta sa robe, la Mage repensa aux différentes choses qui allaient se bousculer aujourd’hui. D’abord un repas à l’Université avec tous les Mages, puis une cérémonie afin qu’elle et les autres lauréats de cette année reçoivent leur statut de Mage officiel et leur premier poste. Là, elle recevra sa bague de Dévouement, un anneau de couleur bronze qui contenait un diamant blanc.
Les Mages devaient le porter constamment à leur index gauche ou droit afin de montrer aux humains qu’ils étaient Mages mais également pour indiquer leur lot de magie. La bague indiquait surtout s’ils étaient sur la fin, le diamant blanc devenait rouge quand ils l’avaient presque vidé. Astrée était impatiente de pouvoir mettre cet anneau à son doigt, elle voulait enfin pouvoir montrer au monde qu’elle était une mage
Après cette cérémonie, tous les membres de l’Université se retrouveront devant le Roi et la Reine au bal des Lunes Rouges, d’où la robe rouge, qui avait lieu chaque année pour célébrer la venue des nouveaux Mages. Là, trois Mages, les meilleurs de cette quatrième année, devaient faire une présentation devant les souverains.
Bien entendu Astrée faisait partie des trois meilleurs, enfin, elle était la meilleure et de loin.
Après quatre ans de lectures, de conférences, d’examens et de lutte, elle avait enfin eu ce qu’elle voulait. Elle ne put s’empêcher d’émettre un petit soupir de satisfaction.
On frappa à la porte et son Majordome dit au travers.
– Ma Lady, Sir D’Argyll, votre cousin, vient d’arriver, il vous attend dans le salon. J’ai fait venir la voiture.
– J’arrive. Merci. Ha ! Bonnie, profitant de la distraction de sa maîtresse, serra la robe un peu plus. Astrée était sûre qu’elle faisait exprès de la faire souffrir.
Uriel attendait, vêtu d’une tenue de soirée strict, il tapotait nerveusement sur l’accoudoir de son siège. Il regarda autour de lui en soupirant. Il était aussi nerveux que sa maîtresse. Après quatre ans elle allait enfin être Mage. Enfin ils allaient pouvoir s’amuser un peu.
– Cousin ? Il leva la tête et retint son souffle. Qu’elle était belle et grandiose dans sa tenue officielle de Mage ! Il était impatient de la voir en action devant toute la cour royale. Uriel sourit et s’approcha d’elle pour lui offrir son bras. Elle le prit volontiers et se laissa guider dehors.
– Vous êtes radieuse chère cousine. Elle fronça les sourcils, il savait qu’elle n’arrivait pas à déterminer s’il se moquait d’elle ou non. Il leva les yeux au ciel et l’aida à entrer dans la voiture.
– Nerveuse ?
– Un peu.
– Tout se passera bien, on s’est entraîné des heures. Vous ne pouvez pas échouer !
– Promettez-moi que vous serez là ? Il sourit et se pencha vers elle, la forçant à le regarder. Il se noya un temps dans ses yeux bleus.
– Je serais là, ne vous en faites pas. Elle sembla rassurer. Il descendit avant elle, prétextant avoir oublié quelque chose à son appartement. En réalité, dès qu’il fut à l’abri des regards, il se transforma en air et la retrouva. Il se logea dans son collier. Durant ces quatre ans, ils avaient mis en place différentes méthodes pour qu’il soit avec elle sans être un insecte. L’une d’elle était de se mettre dans les perles des bijoux de la Mage. Personne ne remarquait et elle pouvait l’avoir proche si elle avait besoin.
– Vous êtes là ?
– Oui. Il répondit une fois bien installé dans la perle du collier.
Ils arrivèrent et Uriel appréhenda le long repas des Mages, il allait s’ennuyer. Sa maitresse fut présentée à de nombreux Mages, mortels et immortels. Elle rencontra des Mages femmes également. Ils discutèrent de tout et de rien. Certains tentèrent d’être drôles, d’autre sérieux, se chamaillaient sur des problèmes politiques. D’autres encore se plaignaient, disant que les « Mages d’aujourd’hui » naissaient avec moins de magie dans leur lot que les générations précédentes. Astrée avait pour habitude d’écouter et de faire quelques commentaires bien placés afin qu’ils aient un plus grand impact. Uriel de temps en temps lui disait une ou deux remarques bien ciblées pour la faire rire. Mais pour le reste du repas et de la cérémonie, il somnola.
Il fut secoué par les applaudissements de l’assemblée lorsqu’elle fut appelée, son statut de meilleur de sa promotion fut mentionné. Elle devint officiellement, Duchesse D’Argyll, Mage Immortelle. On lui donna sa Barrière de Dévouement puis le poste de second chef à la Morgue de l’Université. Un premier rôle qu’elle avait visé, conseillé par son démon, pour avoir un pied dans l’Université et près des Archives. Uriel sourit, sa maîtresse était officiellement une grande Mage. Il était temps que le monde le reconnaisse.
– Félicitation Astrée. Il ne l’appelait pas souvent par son prénom, mais quand il le faisait c’était toujours pour des occasions importantes et aujourd’hui était un moment capital dans la vie de la jeune Mage.
– Merci.
La cérémonie terminée, ils partirent tous au Bal des Lunes Rouges.
2.
– La Duchesse Astrée D’Argyll, Mage Immortelle. Lorsque le valet annonça son arrivée, Astrée se figea. Elle était impressionnée, nerveuse et inquiète. Elle n’avait jusqu’à présent jamais été confronté à la cour ou au Roi et à la Reine. La Mage sentit ses jambes se ramollir.
– Ca va aller, vous êtes prête, je suis là. Le petit mot d’encouragement de son démon l’aida à passer la porte. Elle le vit dans un coin de la salle de bal. Il était venu par ses propres moyens et avait souhaité assister à la soirée sans être coincé dans une perle. Il était donc dans sa forme humaine et ses grands yeux noirs encadrés par ses cheveux blonds cendrés observaient avec intensité sa maîtresse. Cette dernière fit un petit hochement de tête à peine perceptible en sa direction. Elle se prosterna ensuite devant le Roi, puis devant la Reine. Des deux, la reine était la Mage. Elle était également enceinte de son troisième enfant.
Le Roi semblait s’ennuyer ferme. Il avait lancé une politique anti mage depuis qu’il était monté au pouvoir après avoir épousé la princesse, maintenant reine, Diane, suivant les pas de l’ancien Roi. Les droits des mages commençaient à être sérieusement réduit et une rumeur circulait que la Reine elle-même ne pouvait plus utiliser sa magie ni convoquer des démons. Toutes ses pensées perturbèrent Astrée qui s’empressa de s’éloigner. Si le Roi était ennuyé par sa présence, elle n’allait pas attiser sa colère en restant plus longtemps devant lui.
Une fois que tous les nouveaux Mages furent introduits, on lança le début du bal et la musique s’éleva. De nombreux Mages et hommes s’approchèrent d’Astrée pour lui demander la première danse. Gênée elle tenta par tous les moyens de trouver une excuse quand un homme de grande taille interrompit tout le monde.
– La Duchesse m’avait promis sa première danse. Astrée se retourna et eut le souffle coupée. Devant elle se trouvait le Marquis de Berkley, un Mage Immortelle qui était le représentant des Mages au gouvernement et ami personnel du Roi. Un des derniers être de magie que le souverain semblait encore tolérer. Il avait une telle puissance et influence dans le monde des Mages, mais également des humains, que personne n’osait le contrarier.
Il tendit la main et la Mage n’eut pas d’autre choix que d’accepter. Ils se trouvèrent sur la piste de danse rapidement.
– C’est un honneur Marquis.
– L’honneur est pour moi Duchesse. J’ai cru comprendre que vous étiez la meilleure cette année. Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu une femme avec ce titre.
– Je n’arrive pas à votre cheville Monsieur, de nombreux enseignants m’en ont fait la remarque. Il éclata de rire.
– Mage, vous êtes définitivement exquise. Elle sourit, ne sachant pas vraiment quoi répondre à un tel compliment. Ils dansèrent sans rien dire pendant un temps.
– Dites-moi Mage ?
– Oui ?
– Pourquoi avoir demandé la Morgue ?
– Sir ?
– Avec votre puissance et votre place parmi les meilleurs, vous auriez pu viser un poste au Ministère, vous auriez même pu demander à travailler avec mon équipe. Je ne m’en serais pas plaint, si vous voyiez les Mages qui se trouvent à mon service, un joli visage aurait été une bouffée d’air frais.
Astrée réfléchit avant de répondre. Elle savait très bien qu’elle ne pouvait pas viser si haut, elle était femme. Etre femme Mage avait des avantages, comme garder le titre, l’argent et la liberté d’aller et venir comme bon lui semblait sans avoir besoin de chaperon et sans pression de se trouver un époux. De plus, officiellement, on la traitait comme un homme, contrairement à ses homologues humaines. Cependant et elle l’avait vite compris, elle était limitée par la misogynie qui abritait les murs poussiéreux de l’Université. Elle décida de lui donner comme réponse la fausse raison qu’elle avait donnée lorsque ses enseignants lui avaient également posé la question.
– J’admets ne pas avoir pensée à cela. Mais, vous n’êtes pas sans savoir que mon père a été assassiné par un démon.
Le Marquis surprit leva un sourcil, ce qui l’encouragea à poursuivre.
– On n’a jamais retrouvé le coupable. J’aimerai contribuer, à mon échelle, à résoudre des meurtres afin d’aider les familles à faire leur deuil. Le Marquis sourit et sembla la dévorer du regard. La Mage était impressionnée par cet homme. Il était âgé, elle le savait très ancien, il avait été ami du précédent Roi, le père de la Reine actuelle. Cependant il avait choisi de garder son apparence de jeune homme, environ une trentaine d’années, seuls ses yeux trahissaient sa vieillesse. Sa Barrière de Dévouement était encore active et pleine, malgré son âge, il n’utilisait pas souvent la Magie. Il était beau, grand, athlétique et elle s’attarda sur ses lèvres. Elle n’avait jamais autant désiré embrasser quelqu’un à cet instant précis et l’idée lui traversa l’esprit quand elle se concentra sur le sourire du Marquis. Était-ce sa beauté qui provoqua ce désir soudain ? Sa puissance ? Ses paroles ? Elle ne savait pas et elle fut soulagée lorsque la danse se termina.
Ils se rapprochèrent d’une table où se trouvaient des rafraîchissements. Il lui tendit un verre de brandy qu’elle accepta volontiers. Elle lui informa qu’elle devait rejoindre son cousin à qui elle avait promis une danse. Avant de partir, il lui attrapa la main, il posa ses lèvres sur ses doigts et lui dit.
– J’espère que vous me réserverez une autre danse plus tard dans la soirée. Astrée, légèrement troublée, hocha la tête. Était-elle en train de rougir ?
3.
Astrée était la dernière des trois Mages à se présenter devant le Roi et la Reine, la nervosité et l’inquiétude commençaient à monter. Les deux Mages avant elle avaient accomplis leur acte avec brio. L’un avait fait une rune presque parfaite qui avait fait apparaître plusieurs démons à la fois, un exploit. Le deuxième avait transformé une personne de l’assistance en plusieurs animaux, provoquant l’hilarité dans l’assistance avec une rune créé par ses soins.
– Ça va aller.
– J’ai l’impression d’être une bête de foire à un concours bovin !
– Si c’est le cas, vous êtes la plus belle vache que je connaisse. Maintenant, allez sur cette scène et faite ce que vous savez faire de mieux.
– C’est-à-dire ?
– Faire la plus belle Magie que ce monde ait connu.
Astrée sourit et chercha dans l’assistance son démon. Il se tenait devant la scène, fière et souriant. Encouragée par sa présence elle s’avança quand on appela son nom.
Uriel se sentit nerveux. C’était le moment de gloire pour sa maitresse. Ils s’étaient entrainés tellement de fois. Il se rappela de tous les pas, les gestes, les incantations qu’elle devait dire. Il retint son souffle quand elle s’avança sur la scène qui avait été monté au milieu de la piste de danse, devant les trônes royaux. Astrée se prosterna devant le Roi puis la Reine. Ces derniers ne firent pas attention à elle, ils discutaient avec les Mages qui étaient déjà passés. Un peu perturbée par leur absence d’intérêt, elle hésita. Leurs regards se croisèrent et voyant qu’elle tremblait encore un peu, il lui dit.
– Faites-le pour moi. Les autres ne comptent pas. Elle sembla s’apaiser. Il lui avait souvent dit cela quand elle s’était entraînée, quand elle était passée plusieurs fois devant des amphithéâtres remplis de monde pour présenter ses recherches et valider ses années.
La Mage prit une grande bouffée d’air et enfin commença. Avec une grande précision et sous les yeux bienveillants de son démon elle sortit une craie de sa manche et elle dessina une rune avec une vitesse et une précision impressionnante. La Reine s’était arrêtée de parler pour la regarder.
Astrée se redressa ensuite et commença ses incantations. A la surprise générale rien ne sembla se produire, hormis une lumière bleuté qui s’échappait de traies de craie. La rune avait ouvert un lien avec l’Ether. Quand elle eut finit la Mage pointa vers les bougies de la salle de bal. Elles diminuèrent pour seulement laisser une pénombre sereine. Une fois qu’elle sentit toute l’assistance concentrée sur elle, elle entra dans la rune. Certains Mage hurlèrent, d’autre tentèrent de courir vers la scène.
Uriel ne put s’empêcher de sourire, il était dangereux pour un Mage d’entrer dans une rune au risque d’entrer dans l’Ether. Mais contrairement à ce que tous pensaient, elle n’avait pas créé une rune pour communiquer avec les démons ou faire un simple sort. Depuis trop longtemps les Mages avaient limité l’utilisation des runes, ils en avaient oublié toutes les possibilités qu’elles offraient. Mais pas Astrée, elle avait étudié avec ferveur tout ce qu’elle pouvait sur les runes avec son aide. Avec fierté il regarda la rune parfaite briller.
Quand elle fut installée dans la rune, elle leva la main pour signifier qu’elle allait bien. Elle s’assura que la foule s’était calmée puis elle recommença à réciter ses incantations. Avec la connexion avec l’Ether, la Magie était infini et ne puisait pas dans le lot des Mages, ils pouvaient donc prendre leur temps, contrairement à un sort sans rune. Depuis les traits de la rune sortirent de la lumière bleutée qui se mouvait comme de l’eau. Elle l’attrapa des doigts et la jeta en l’air. La lumière sembla se transformer en pluie et elle alla toucher la foule. Des murmures se soulevèrent, le contact était froid, comme avec de l’eau mais étrangement agréable.
Puis elle claqua dans ses mains et la lumière revint dans la rune. Elle leva le bras et le bleu la recouvra entièrement et elle disparut. Un cri d’effroi s’éleva. Astrée réapparut de l’autre côté de la scène. Cela aurait pu être ordinaire si la rune ne l’avait pas suivi. Tous le remarquèrent et même les humains qui n’avaient pas beaucoup de connaissance en magie savaient très bien que déplacer une rune était presque impossible.
Elle revint à sa place originelle et continua sa performance. Elle claqua des doigts et la lumière l’engloutit. Quand elle fut de nouveau visible sa robe avait changé de couleur pour devenir dorée, puis orange, bleu et enfin blanche. La Mage ne s’arrêta pas là, elle claqua de nouveau dans ses doigts, elle fut recouverte et son corps changea d’apparence. Elle devint le Marquis de Berkley. Ce dernier, assit auprès du roi, éclata de rire et applaudit. La foule un peu timide imita le Marquis.
Astrée sourit, enfin le Marquis, puis elle claqua des doigts et se métamorphosa en la Reine. Tous dévisagèrent cette dernière qui n’avait pas bougé de son trône, son visage resta impassible mais elle regardait avec intérêt la scène. Avec différents artifices et sorts, la tenue qu’Astrée donna à la reine était celle qu’elle avait porté lors de la grande cérémonie où elle avait été sacrée reine. Elle ajouta cependant différents symboles qui montraient la gloire du Roi et de la famille royale. Puis elle ferma les yeux et la lumière l’enveloppa de nouveau. Elle disparut pour laisser place à une scène de combat où on voyait le Roi mener ses troupes à la victoire.
Tous applaudirent, certains, qui avaient été présent lors de cette bataille décisive, s’exclamèrent face à tant de réalisme. La salle de bal sentit la poudre de canon. Personne n’avait vu un tel réalisme auparavant dans un sort d’illusion. Presque tous les sens étaient sollicités. Enfin un claquement de doigts se fit entendre. La lumière enveloppa la scène de nouveau et Astrée réapparut.
Elle sortit de la rune et la lumière disparut avec les traits qu’elle avait tracés avec sa craie, les bougies brillèrent à nouveau. Essoufflée et un peu sonnée par tout ce qu’elle venait de faire, Astrée se prosterna devant l’assistance et devant le Roi et la Reine.
Un lourd silence s’installa. Uriel fronça les sourcils, que se passait-il ? Avait-elle été trop loin ? Devait-il faire quelque chose ? Il était prêt à bondir et l’attraper pour disparaitre si jamais le Roi et la Reine n’avaient pas apprécié la performance ou si on souhaitait faire du mal à sa maitresse.
Contre toute attente la Reine se leva. Tous retinrent son souffle. Elle regarda son époux qui hocha la tête. Leur mariage n’était pas un mariage d’amour, ils avaient été unis pour le bien de leur pays. Cependant cela ne semblait pas les avoir pas empêchés de développer une complicité. Uriel se dit que cela ne devait pas être facile pour la Reine, elle était tout de même confrontée à un époux têtu qui détestait la magie et elle était Mage, une très bonne Mage. Que pouvaient-ils s’être dis à cet instant ? Il retint son souffle.
La Reine descendit les quelques marches qui surélevaient son trône et invita la jeune Mage à s’approcher. Cette dernière la rejoint et quand elle fut à quelques pas d’elle se prosterna de nouveau. Malgré son gros ventre la Reine se pencha, elle mit son doigt sous le menton de la jeune Mage et elle la força à lever la tête et la regarder. Elle ne dit qu’un mot, mais il résonna dans la toute la salle comme un écho.
– Exceptionnelle. Elle l’invita à se relever et ce fut au tour de la Reine de se prosterner devant la jeune mage. Uriel se retint d’hurler de joie, il se mordit la lèvre inférieure et sautilla légèrement, ce qui fit rire ses compagnons qui étaient à ses côtés. Le Roi se leva aussi et applaudit. Tous firent de même.
Le mage des deux époux royaux choisissait toujours un vainqueur, c’était la tradition, mais d’ordinaire on l’annonçait de manière plus officielle à la fin du Bal. La prestation de la jeune mage avait été tellement impressionnante qu’elle bouscula un peu les habitudes.
Ce fut la consécration de la Duchesse Astrée D’Argyll, Mage Immortelle. Uriel dans le rôle du cousin dévoué à sa cousine se jeta dans ses bras, fière de la voire couronner de succès. Elle rit et fut encerclée par bientôt toute la cour et ses confrères.
4.
Vers une heure du matin, Astrée se sentit fatiguée, elle prévint Uriel et s’excusa auprès de ses connaissances. Puis elle enfila ses gants et sa cape pour disparaître dans les couloirs de la grande salle de Bal.
Alors qu’elle était sur le point de sortir rejoindre sa voiture une main l’attrapa par le bras et la fit rentrer dans une pièce qui ressemblait à une autre salle de réception plus petite. Elle commença à dire une incantation pour se défendre quand la fameuse main la posa sur ses lèvres, l’empêchant de terminer.
Mais cela ne l’arrêta pas. Elle avait caché sous sa peau un tatouage magique. Elle commença à l’activé quand elle reconnut la personne qui l’avait « enlevée ». Quand il comprit qu’elle l’avait reconnu il lui fit un signe qu’il ne lui voulait aucun mal et il retira sa main de sa bouche.
– Marquis ?
– Duchesse. Elle se sentit rougir, de peur, de rage mais également d’autre chose qu’elle refusa de formuler à cet instant précis.
– Vous m’avez effrayé Sir. Vous auriez pu tout simplement m’appeler je serai venue vous voir. J’étais sur le point de puiser ma Magie pour rien ! Le Marquis de Berkley rit en remettant une mèche de ses cheveux sombres derrière l’oreille.
– Cela n’aurait pas été aussi drôle.
– Sans aucun doute. Que puis-je pour vous ? Il leva les yeux au ciel en s’approchant d’elle.
– Vous ne m’avez pas donné de seconde danse.
– Oh.
Ce fut tout ce qu’elle put dire. Elle se sentit acculée dans cette salle sombre et vide, la porte était fermée derrière elle, mais paradoxalement elle était contente d’être seule avec lui. Elle sentit ses jambes tremblées et son souffle s’accélérer. Astrée dut admettre que le désir qu’elle avait éprouvé plus tôt pour ce Mage était encore bien présent. Il s’approcha d’elle et la força à le regarder.
– Il y a d’autres danses que nous pouvons faire vous et moi. Elle sut qu’elle était perdue à cet instant.
Uriel attendait depuis un moment dans la voiture et commença à s’inquiéter. Il était persuadé qu’il avait vue Astrée dire au revoir et se diriger vers la sortie. Il sortit sa montre et fronça les sourcils. Il y avait-il un problème ? Il tenta de la contacter mais elle ne répondit pas. Alors qu’il allait sortir, la porte s’ouvrit et la Mage entra, aidé par un valet. Elle s’installa en face de lui et tapa sur le plafond pour ordonner le départ.
Ils se regardèrent en silence. Elle avait les joues rouges et ses cheveux étaient décoiffés. Qu’avait-elle fait ? Il soupira agacé et finalement demanda.
– Où étiez-vous ?
– Hm ?
– Vous avez disparu plus d’une demie heure. J’allais vous chercher. Elle le regarda et il pouvait lire dans son regard de la gêne et… de l’excitation ! Ses pupilles dilatées ne trompèrent pas.
Le démon réfléchit et il prit une grande inspiration. Il sentit soudain une odeur qu’il connaissait très bien, mêlé au parfum d’un homme. Il retira sa bague afin d’avoir ses pouvoirs de démon, la Mage le remarqua mais elle ne dit rien. Puis, il se concentra se demandant à qui pouvait bien appartenir cette odeur. Finalement, n’y tenant plus, il se pencha vers la Mage et inspira. La grande bouffée lui permit d’identifier aussitôt l’amant qui avait osé toucher sa maîtresse et la réponse le terrifia.
– Uriel ? – Il sembla reprendre ses esprits et il regarda la jeune femme devant lui. Elle était en colère, il pouvait deviner pourquoi, il l’avait reniflé comme un animal. – Uriel ! Qu’est-ce qui vous prend ?
– Dites-moi que je me trompe.
– Je vous demande pardon ? Astrée changea de position sur son siège, mal à l’aise.
– Vous n’avez pas eu une relation à l’instant avec le Marquis de Berkley. La réaction de la Mage lui confirma ce qu’il avait deviné. Il jura en se prenant le visage dans ses mains. Il murmura ensuite de façon à ce qu’elle entende tout de même.
– Vous êtes folle.
– Comment ! – Elle hurla en se penchant vers lui. – Faites attention Uriel ! N’oubliez pas à qui vous parlez !
– Il fallait l’impressionner pas lui donner envie de faire de vous sa maîtresse ! Vous avez besoin de sa protection pas de son corps ! La jeune Mage rougit et ventila son visage avec son éventail. Elle regarda dehors.
– Il est dangereux, vous ne pouvez pas avoir laissé faire ça ! Comment allez-vous faire maintenant ? Lorsqu’il ne voudra plus de vous il…
– … Il quoi ? Uriel, je ne vous ai rien demandé et encore moins de commenter mes relations. Je fais bien ce que je veux, je suis mage après tout et ce soir était une soirée couronnée de succès.
– Oui, je vois ça, enfin je le sens surtout. Il prit une grande inspiration, cette odeur… il n’arrivait pas à retenir sa colère. Il savait qu’il allait regretter cette conversation.
– Uriel… Elle répondit avec menace.
– Je tiens à vous signaler que l’on ne couronne pas les putains !
La gifle atterrit sur sa joue droite, Astrée était gauchère. Uriel surprit se figea. Il était plus médusé par la réaction de la mage qui était en larme devant lui que de son acte de violence. Elle tremblait de colère mais également, et il pouvait le voir dans son regard, elle était blessée. Il ne se contrôla plus et se jeta sur elle, la main sur sa gorge. Il la serra un peu, mais pas trop, il voulait simplement la plaquée contre la voiture. Un son animal sortit de sa gorge, il savait à cet instant que son côté bestiale de démon souhaitait sortir et exploser. Sa colère était trop grande, et il ne savait pas pourquoi.
Uriel sentit sa peau brûler sous ses vêtements. Sa forme originelle commençait à apparaître. Il savait qu’il devait se contrôler mais il n’arrivait pas à calmer cette brûlure en lui. Il grogna de nouveau. Il était penché au-dessus de la Mage, sa main sur sa gorge et la seule chose qu’il voulait faire était d’hurler et de détruire tout autour de lui et de serrer. Rien n’aurait pu l’arrêter jusqu’à ce qu’il croise son regard. Elle était terrifiée.
Uriel se reprit et recula le plus loin possible d’elle. Cette dernière se redressa et réajusta sa robe parfaitement bien mise, un semblant de contrôle pour reprendre ses esprits. Il avait déjà vu un visage effrayé de cette façon, il y a longtemps, des millénaires même, Elle, toujours et encore Elle. Il sentit qu’Elle souhaitait venir, sortir de là où il l’avait enfermé dans ses pensées sombres.
Uriel était confus et désorienté. Il n’avait jamais menacé un mage de la sorte, il n’avait jamais perdu le contrôle de cette façon, peu de personnes connaissaient sa vrai forme, même dans l’Ether il ne se montrait pas. Elle n’en avait vue qu’un fragment et c’était suffisant pour qu’il se sente à découvert, nu, vulnérable.
Après un certain temps leurs regards se croisèrent. Ils se contemplèrent longtemps sans rien se dire. Puis Astrée se tourna vers l’extérieur de la voiture qui avançait difficilement dans les rues, il y avait beaucoup de passage, c’était la saison des bals. Le démon regarda la nuque de la jeune femme, elle était belle, élégante et très blanche. Il comprit pourquoi certains avaient envies de l’embrasser alors que lui avait tenté de l’étrangler.
Qu’est-ce que je raconte !
Uriel se ressaisit. Il fallait qu’il disparaisse, qu’il parte loin d’ici, loin d’elle, loin de ses pensées noires.
– Je… je dois vous laisser, je dois partir. La Mage se tourna vers lui, surprise.
– Uriel ?
– Astrée, veuillez m’excuser je… au revoir. Il disparut.