Chapitre 4.2 – L’empereur (La prophétie des morts antiques)

5 mins

Mathilde voyait le soleil de la fin d’après-midi filtrer entre ses paupières. Elle savourait entièrement le moment présent. Assise sur les marches du théâtre antique, elle brûlait littéralement sous la chaleur des rayons qui étaient aussi renvoyée par les blocs de calcaire. La sueur perlait à son front et dans sa nuque. Elle frôlait le coup de chaleur mais elle restait concentrée. Ici avec les touristes et les groupes bruyants elle trouvait une sorte de sérénité, perdue et anonyme au milieu de la foule.

Elle essayait de rassembler tout ce qu’elle avait appris sur la mort de Tristan. Après avoir écouté ce que Pauline et ses amis avaient à dire, elle était retournée sur le chantier. La police était partie à présent mais avait posé les scellés sur les entrées. Mathilde passa par les préfabriqués et se faufila sous les rubalises. Elle se retrouva au bord de la fosse d’où elle avait été extraite la nuit précédente. D’en haut elle voyait bien l’ensemble des squelettes qui avaient été mis à jour par Tristan. ça représentait un boulot colossal pour une personne seule et il avait dû travailler une partie des nuits pour aboutir à ce résultat en si peu de temps. C’était peut-être lui que Mathilde avait vu le premier soir; ou alors il avait dérangé un voleur par sa simple présence. Pour des outils? Elle en doutait.

Les os affleuraient à peine du sol. La plupart des corps étaient encore pris dans la gangue de terre qui leur avait permis d’être protégés jusqu’à la découverte. Les positions suggéraient des souffrances avant la mort, les membres étaient recroquevillés, ce n’étaient pas des cadavres qui avaient été enterrés avec les honneurs de funérailles classiques. Ils avaient été enfouis après qu’il ce soit passé quelque chose d’inhabituel: quoi? Un accident? une catastrophe naturelle? Le bâtiment s’était-il écroulé sur leur tête, avaient-ils été ensevelis sous les blocs de pierre qui constituaient les murs? En tout cas, elle trouvait cette découverte parfaitement sinistre. Elle frissonna.

Ce qu’elle avait sous les yeux était d’autant plus inquiétant qu’au centre des squelettes anciens s’étalait une grande tâche de sang brunie, beaucoup plus récente et qui ajoutait à l’impression de souffrance. Ce lieu semblait concentrer à travers les siècles les morts tragiques. Malgré le dégoût qu’elle ressentait, et à la peur qui lui tenaillait à nouveau le ventre à l’idée qu’elle aussi aurait pu perdre la vie dans ce trou, elle se força à observer toute la scène. L’excavation avait mis à jour des squelettes qui formaient une sorte de cercle. Autour, la fosse était rectangulaire mais Mathilde se demandait si la pièce était aussi petite ou si les vestiges des murs se trouvaient plus loin. Ce qui était sûr, c’est qu’en face d’elle s’élevait sur environ un mètre cinquante une paroi bien visible. Et sur cette paroi, un bas-relief était lui aussi en partie extrait de la terre et des décombres. Mathilde n’arrivait pas bien à distinguer ce qu’il pouvait représenter. 

Elle répugnait à le faire, mais elle descendit dans la fosse. Elle prit ses précautions pour ne pas marcher sur les squelettes et pour gagner le fond de la pièce, se planta devant la sculpture. Son regard s’attarda sur les creux, sur les aplats, mais elle n’arrivait pas à donner un sens à ce qu’elle voyait, bien que cela ne lui soit pas complètement inconnu. Une chose était sûre, une forme se dessinait, une forme oblongue, qui n’était pas sans rappeler la disposition des corps un peu plus loin. Ce ne pouvait pas être une coïncidence.

Bien qu’elle ne soit pas beaucoup plus avancée, ce point lui parut intéressant. A priori inutile pour le moment, elle devrait cependant demander à Nicole de l’aider à en savoir plus sur cette figure. Mais, si elle voulait devancer la police – et elle le voulait absolument – il lui fallait d’abord commencer par interroger l’entourage de Tristan. Elle retourna dans les préfabriqués et s’installa dans la salle de réunion où l’équipe de recherche prenait aussi ses repas d’habitude. Elle voulait rappeler Sam pour savoir si elle avait avancé.

— Allô Sam? Comment tu vas? Tu as pu avancer?

— ça va, sauf qu’il fait des trombes d’eau dehors, un orage terrible. Il fait froid et humide, enfin tu connais.

— Ici, il fait une chaleur étouffante.

— Arrête, tu me fais envie. Bon j’imagine que la météo ne t’intéresse que partiellement. J’ai pu faire des recherches très générales sur Tristan. Tu veux que je t’envoie le tout par mail?

— Oui, mais fait moi un résumé s’il-te-plaît.

— Alors, je n’ai rien trouvé de bizarre. Il est né Cannes, de parents qui étaient dans le milieu du spectacle. Il a fait des études d’histoire à l’université de Nice, avec Nicole notamment. Il s’est spécialisé en archéologie. Tout ça tu le sais déjà. Il est parti plusieurs années en Italie, et là, j’ai beaucoup moins d’informations. Je sais juste qu’il est rentré pour rendre service à Nicole et venir fouiller ici, mais l’enjeu doit être important, il a annulé une série de conférences pour venir. Il n’est pas venu tout seul, sa petite amie, Chiara, est venue avec lui. Elle est en vacances.

— Ici, à Arles?

— Ils ont loué un gîte aux Beaux de Provence, un truc super chic. 

— Tu crois que la police est déjà allée la voir, elle est prévenue?

— Si ce n’est pas le cas, ça ne va pas tarder, je n’ai pas eu de mal à trouver ces infos, en consultant ses contacts téléphoniques.

— Et tu as fait comment pour avoir ça?

— Je préfère ne pas répondre à cette question. Tu vas faire quoi maintenant.

— Je dois interroger les autres archéologues qui travaillaient avec lui sur le chantier et puis les jeunes m’ont appris quelque chose.

— Quoi? Quels jeunes?

— Pauline et ses amis, ils ont voulu enquêter sur le rôdeur, ces idiots. Ils se sont contentés d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, d’après eux.

— Je le crois pas…et au moins ça valait le coup?

— Justement, ils ont entendu Tristan qui parlait de sa découverte à quelqu’un au téléphone.

— ça pourrait être sa petite amie?

— non, il vouvoyait la personne au bout du fil. Et puis, il essayait de se cacher, il parlait tout bas. Tu crois que tu pourrais retrouver le numéro?

— Ils se rappellent de quand à eu lieu l’appel?

— Il y a deux jours, la veille de sa mort.

— Je devrais y arriver, mais si c’est un téléphone jetable, ça ne nous avancera pas beaucoup. Je te tiens au courant. 

Il était trop tard pour partir aux Baux de Provence, d’autant qu’il lui faudrait se procurer une voiture, soit qu’elle la loue, soit que Nicole puisse lui en prêter une. Elle préférait retourner à l’internat et essayer d’interroger l’équipe des archéologues. Le soir commençait à descendre sur la ville et cette zone était obstinément déserte. Elle ne serait pas fâchée de la quitter. Elle s’éloigna du chantier le plus vite possible, mais elle sentait que la fatigue commençait à faire vaciller ses fondations. Outre la migraine qui s’était installée au fil de l’après-midi, elle sentait sa tête s’embrumer et les vertiges arriver. Depuis son affaire début juillet, les malaises s’étaient comme évaporés mais la tension qui s’était réinstallée depuis la veille pouvait à nouveau la faire basculer.

Elle essaya de ralentir sa respiration et fit une pause. Elle se rendit compte qu’elle s’était égarée. La rue qu’elle remontait était déserte et assez délabrée. Elle voyait au loin une avenue plus animée, on entendait au loin de la musique ce qui la rassura mais elle semblait ne jamais arriver au bout, elle avait l’impression d’être dans un tunnel sans fin. Elle dût s’assoir sur l’escalier d’une porte cochère. Son souffle était saccadé et elle ferma les yeux.

Quand elle les rouvrit, une très vieille femme, une gitane, se tenait devant elle. Ses yeux très noirs étaient vrillés dans les siens. Elle posa une main sur son épaule et d’une signe de tête, l’invita à entrer dans l’immeuble devant lequel elle était assise. Mathilde se leva, comme hypnotisée, et la suivit dans un vieil escalier vermoulu.

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