Mathilde ne s’attarda pas à la pension de famille. Elle fit une bise à Pauline et s’organisa rapidement avec Nicole pour la suite de l’enquête. Cette dernière n’était pas naïve, elle avait de l’affection pour son ancien élève et souhaitait que justice soit faite de préférence en arrêtant le véritable coupable et pas un pauvre bouc émissaire. Par contre, elle insista plusieurs fois pour qu’elle soit le plus discrète possible. Apparemment elle ne voulait pas de vague avec la mairie et la police, ce qui agaça un peu Mathilde.
— Je serai transparente si tu veux mais est-ce que je pourrai parler aux assistants de Tristan ça me paraît essentiel? tu sais où je peux les trouver? ils seront déjà sur le chantier?
— Non, ils sont un peu choqués. Je les ai envoyé faire des recherches de base à la bibliothèque comme ça ils sont occupés et ils ne pensent pas trop, mais ils ne risquent pas de passer à côté d’un truc important. C’est moi qui vais reprendre les fouilles de la parcelle de Tristan.
— Ne préjuge pas de tes forces et tiens moi au courant si tu trouves quelque chose, je ferai pareil de mon côté.
Elles se séparèrent alors que Mathilde sentait la migraine monter en elle. Mais elle s’accrochait à l’idée que cette journée serait de bon augure pour la suite de son enquête.
La bibliothèque, rebaptisée médiathèque se trouvait à côté de l’hôtel de ville, dans un vieux bâtiment où avait été inauguré un espace Van Gogh. C’est là que se trouvaient les deux jeunes assistants de Tristan. Ils consultaient des documents très anciens sur des tables ultramoderne et Mathilde ne put s’empêcher de regretter les tables aux bois patinés par le temps et le frottement de toutes les couvertures de livre. Elle n’eut pas besoin de se présenter étant donné qu’elle trainait sur le chantier depuis plusieurs jours, ils s’étaient croisés plusieurs fois et puis Nicole les avaient prévenu de sa venue. De leur côté, ils semblaient assez méfiants. Il semblerait que l’arrestation providentielle d’un type pris au hasard arrange tout le monde finalement, pensa Mathilde. Elle les salua le plus chaleureusement possible, il lui fallait des réponses, sinon Nicole se lasserait et elle devrait passer à autre chose.
Elle commença par la jeune femme, qui se prénommait Joséphine et voulut savoir depuis combien de temps elle travaillait avec Tristan.
— Je le connaissais déjà mais c’était la première fois qu’on faisait un chantier de fouille avec lui. On n’a pas passé beaucoup de jours à ses côtés.
— Oui mais vous étiez presque toute la journée avec lui, alors vous êtes ceux qui avaient peut-être le plus de choses à dire sur lui. D’où le connaissiez vous?
— Il commençait à faire des publications intéressantes et puis des conférences. Nicole nous encourageait à suivre le plus de séminaires possibles, alors on a vu certaines de ses interventions, une à Paris, c’est sûr et puis une en Italie. On est en train de finir notre thèse, on doit se tenir au courant des dernières découvertes et avec Tristan on savait qu’on pouvait compter sur ce qui se faisait de mieux.
— Vous travaillez sur quoi tous les deux? et pourquoi vous aviez été choisis pour le seconder?
— Moi je travaille sur les cultes religieux marginaux de la fin de l’Antiquité et leur réappropriation par l’Eglise chrétienne et Noah il fait des recherches sur les reconstitutions de plan en 3D à partir des découvertes archéologique, il fait beaucoup de modélisation. Il scanne aussi les fouilles au fur et à mesure pour reconstituer toutes les strates qu’on enlève au fur et à mesure. Je pense que si on a été choisis comme vous dites, c’est parce qu’on avait le plus d’ancienneté dans les fouilles, je crois que Nicole et Tristan voulaient que cette zone soit particulièrement traitée avec sérieux. Et ils avaient raison, c’est très rare de retrouver des ossements humains comme cela.
— Vous avez compris à quoi ça correspondait?
— Je croyais que vous vouliez des informations sur Tristan pas sur notre découverte, intervint Noah qui semblait beaucoup moins vouloir coopérer que sa compagne.
— Tout à de l’importance.
— Vous pensez que son meurtre est lié à la découverte? Je croyais que c’était un pauvre type qui passait par là qui l’avait tué.
— Sans raison? moi je n’y crois guère.
— Peut-être qu’il voulait de l’argent, ou qu’il était drogué?
— Oui tout est possible, je ne fais que vérifier que toutes les pistes ont bien été envisagées. Je crois que c’est mieux pour vous, vous ne voudriez pas que ces découvertes soient entachées d’une histoire un peu louche, ça ne ferait pas bien sur votre CV de futurs docteurs.
Mathilde sentit qu’elle avait su trouver les mots pour avoir leur pleine attention si ce n’est leur pleine collaboration.
— Alors, vous n’avez rien remarqué de bizarre chez Tristan? sur le chantier?
— Il ne parlait pas beaucoup une fois la journée terminée, mais pour être honnête j’ai pensé qu’il avait un peu la grosse tête, pas forcément qu’il était bizarre. Tu en penses quoi Jo?
— Il était souvent sur son téléphone, il envoyait des textos, il prenait des photos aussi.
— Il envoyait des textos ou il prenait des notes? Maintenant les téléphones ça peut être un outil de travail.
— Sur le coup c’est ce que je me suis dit mais maintenant je me demande s’il n’envoyait pas des informations à quelqu’un?
— A qui? Pourquoi vous vous dites ça?
— D’abord parce qu’on a du matériel avec des logiciels spécialisés, intervint Noah sur des tablettes pour faire les photos à exploiter ensuite. Et puis maintenant qu’il est mort, on peut se poser des questions.
— Non je suis sûre que vous dites ça parce que vous avez remarqué quelque chose d’autre, même inconsciemment.
Ils s’entreregardèrent, l’air concentré pour essayer de se rappeler.
— Allez creusez vous les méninges je suis sûre que vous avez quelque chose pour moi.
— Si, je crois que je sais. Une fois qu’il avait utilisé son téléphone, on entendait vibrer ensuite, comme si quelqu’un répondait, c’est pour ça que j’ai pensé que c’était des messages et pas juste des documents ou des notes qu’il gardait pour lui.
— C’est maigre mais c’est déjà ça. Et quelle est votre mission de la journée?
— Rien de bien palpitant, mais je crois que Nicole ne nous voulait pas sur le chantier aujourd’hui. On fait des recherches dans les textes du Moyen Age et de l’époque moderne pour savoir ce qu’il y avait à cet emplacement et puis si on trouve des traces dans les mémoires des vestiges antiques. Mais pour l’instant nous n’avons rien trouvé d’intéressant. Je pense qu’il faudra qu’un groupe travaille dessus plus sérieusement quand nous aurons repris les fouilles.
— Vous pensez que vous allez récupérer le chantier de Tristan? Qui va être considéré comme les parents de cette découverte?
— Nicole nous a dit que nous serions crédités de la découverte si nous continuons, au même titre que Tristan.
Noah intervint à nouveau, toujours sur la défensive.
— ça nous rend suspects d’avoir notre nom sur le compte rendu alors qu’on va faire tout le boulot d’analyse et de restitution?
— On a tué pour moins que ça. Vous avez des alibis pour la nuit du meurtre?
Noah se renfrogna un peu plus mais Joséphine répondit.
— On était ensemble. On a mangé avec l’équipe, dans les préfabriqués, il faisait très chaud alors on a décidé de se promener un peu en ville. On a mangé une glace et puis on est rentré à l’internat. On ne s’est pas quitté ensuite, on partage une chambre. Y’a que deux petits lits mais c’est mieux que de partager les chambres à 4 avec trois autres étudiantes.
En disant cela, Joséphine sourit à Noah qui esquissa un faible rictus. Mathilde regrettait que Sam ne soit pas encore arrivée. Elle trouvait se discours un peu préparé et n’arrivait pas à s’expliquer l’attitude du jeune homme, et elle aurait bien aimé un regard extérieur.
— Bon très bien, vous n’avez rien remarqué dans la soirée? Vous n’avez pas vu Tristan repartir sur le chantier? Vous ne lui avez pas parlé?
— Si on l’a vu en rentrant, il était dans la cour. Et je crois qu’il regardait son téléphone, encore. Il nous tournait le dos, alors on ne l’a même pas salué.
— Vous vous rappelez de l’heure?
— Non, mais il faisait déjà très sombre. Je ne sais pas à quelle heure la nuit tombe en ce moment.
Mathilde les remercia et elle alla chercher l’information en se connectant à un ordinateur de la salle publique. Le soleil s’était couché vers neuf heure moins le quart donc elle estimait la tombée de la nuit vers neuf heures et demi environs. Elle voulait préciser la chronologie de la soirée du jeune archéologue. Elle même l’avait vu arriver vers 23 heures. Il avait pu faire beaucoup de choses avant de revenir sur le chantier de fouilles. Elle se demandait aussi pourquoi il était complètement absorbé par son téléphone. Elle espérait que Sam pourrait l’aider sur ce point là. Elle en profita pour regarder les derniers messages qu’elle avait reçus de sa collaboratrice à la recherche du numéro de la petite amie de Tristan.
Elle préférait l’appeler avant de faire le trajet jusqu’aux Beaux de Provence. Elle espérait ne pas avoir à affronter la foule des touristes qui devaient se masser sur le piton rocheux qui abritait le charmant village. Elle avait été bien inspirée puisque la jeune femme lui répondit qu’elle était à Arles et elle accepta de partager un repas avec elle dans un des petits restaurants qui se trouvaient dans les rues piétonnes à proximité de la place de la mairie. Mathilde restait accrochée à son idée de journée parfaite. Tout s’enclenchait à merveille.