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La nuit, seule dans sa chambre chez ses parents, elle se retournait dans son lit. Elle ne comprenait pas ce qui la faisait s’agiter autant. Mahaut ne lui avait que touché la main. Après tout, pourquoi s’en soucier ? Elle avait déjà tenu des amies par la main. Ne serait que les autres jeannettes durant les camps scouts. Alors, pourquoi s’en soucier ? Pourquoi y réfléchir ? Elle réfléchissait à ce geste. Avait-elle fait exprès ? Ou était-ce un accident ? Probablement un accident. Et alors que Clotilde s’enfonçait doucement dans les bras de Morphée, elle pensait de plus en plus à Mahaut, à ses mains, ses doigts, ses ongles…
En plein milieu de la nuit, elle se réveilla en nage, et les draps mouillés. Cela ne lui était pas arrivé depuis le CP. Elle se leva alors pour changer les draps, et mettre ceux souillés dans la panière de linge sale. Ernestine s’en occuperait demain sans difficulté. Mais ce qui étonna Clotilde, c’est que cela ne sentait pas fort. Pourtant, elle connaissait bien l’odeur de l’urine, vu le nombre de fois qu’elle avait dû changer les draps des jeannettes dont elle avait la charge en plein milieu de la nuit.
Le lendemain, en grec, le prof, d’un air entendu donna une version à faire. Pour changer, il voulut faire travailler le dialecte éolien. Et de la poésie. Ce qui n’est pas si courant. Il proposa donc un texte de la poétesse Sappho. L’Ode à Aphrodite. Clotilde ne la connaissait que de réputation, et fut assez surprise qu’on l’étudiât à la fac. Mais bien scolairement, elle s’attela à la traduction. Il s’agissait là d’une hymne religieuse élégante, un peu suprenante quant à certaines tournures éloignées du dialecte attique ou du phrasé homérique. Mais ce fut l’avant dernière strophe qui troubla le plus Clotilde :
καὶ γὰρ αἰ φεύγει, ταχέως διώξει,
αἰ δὲ δῶρα μὴ δέκετ’,ἀλλὰ δώσει,
αἰ δὲ μὴ φίλει, ταχέως φιλήσει
κωὐκ ἐθέλοισα.
Elle déchiffra quelque chose comme : « Celle qui te fuit, bientôt courra après toi ; celle qui refuse tes présents, t’en offrira ; celle qui ne t’aime pas, t’aimera bientôt, qu’elle le veuille ou non. » Clotilde ne croyait pas aux signes, mais elle fut troublée. Comme si ce texte s’adressait directement à elle. Et malgré sa profonde foi catholique, elle avait toujours eu une certaine tendresse pour les paganismes anciens. A fortiori certains dieux. Dionysos, l’inspirateur du théâtre, de la tragédie, le chant de l’épeautre selon certains, liant ivresse et inspiration, Apollon, accompagné des neuf muses, Aphrodite, tout comme le Lugh gaulois, l’omniscient, Épona la cavalière, ou Odin sacrifiant un œil pour acquérir le savoir et donner les runes aux hommes. Quand elle en aura le temps, elle apprendra sans doute le norrois et le gaélique.
Je poursuis toujours assidûment ma lecture.