Cette fille – Chapitre VII

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À la fin d’un cours, Mahaut vint vers Clotilde pour lui proposer de venir travailler chez elle, ce qu’elle accepta. Après tout, Monsieur Kermarrec lui avait dit qu’il fallait laisser faire pour voir ce qui allait se passer. Clotilde se retrouva donc dans la petite chambre de bonne de Mahaut, non loin de la place de la Victoire. C’était mal rangé. Tout juste sous le toit. Il y avait tous les clichés possibles de la chambre d’étudiante gauchiste. Une tenture à motifs indiens, un poster de Che Guevara et une reproduction de Danaé de Klimt, des cartons de pizzas entassés sur un fauteuil sur lequel le chat faisait ses griffes, un plot de chantier, une table basse suédoise, un cendrier fait en canettes de bières par des punks à chiens, des tracts de syndicats étudiants en écriture inclusive, des bouquins qui traînaient, les Filles du feu de Nerval, À rebours de Huysmans, les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, l’Église de Céline, une grammaire d’ancien français, une couette Che Guevara était roulée en boule, posée sur un clic clac où dormait le chat. Ce jour là, Mahaut s’était habillée simplement, avec un t shirt trop large à l’effigie de Gollum tenant l’anneau. Ses cheveux étaient réunis de chaque côté de la tête en couettes qui lui donnaient un air enfantin. Clotilde avait voulu se faire jolie, sans trop savoir pourquoi. Elle avait enfilée un chemisier blanc, et une jupe décorée de dentelles. Pour la première fois depuis des mois, elle s’était même maquillée. Juste un trait de crayon autour des yeux, mais c’était tellement rare que sa mère l’avait remarqué lorsqu’elle sortit de la maison.

Mahaut et Clotilde étaient assises par terre, autour de la table basse, un paquet de Leffe ouvert, chacune avec sa bouteille. Clotilde n’aimait pas trop la bière, mais là, elle n’osait rien dire. Elle se disait que dans l’ambiance, cela lui palirait. Et elle ne voulait pas passer pour trop prude. La conversation tournait évidement autour de l’exposé. Mahaut avança une idée.

« Bon, on a le thème du voyage, de l’échange culturel, ça peut faire une bonne partie, et ça on le trouve autant dans la poésie que dans le jazz, ça fait une sorte de point commun.

– Genre I) le voyage, A) la rencontre de l’Afrique et de l’Europe ?

– On peut même dire « des Europes », parce que t’as la musique savante, la musique militaire, la musique religieuse, l’influence irlandaise, espagnole, allemande…

– Même française. La batterie découle des percussions militaires et la caisse claire telle qu’on l’utilise vient de la caisse claire napoléonienne.

– T’aimes bien Napoléon toi ?

– Il a mis fin au bazar de la révolution dite française, mais il n’a pas rétabli l’Ancien régime.

– T’es folle avec tes histoires de retour du roi, on est pas dans le Seigneur des anneaux.

– Dommage, j’aime bien le dessin animé de Bakshi.

– Pas vu. Bon, sinon, faudrait faire quelque chose sur la rencontre entre le jazz et la poésie.

– Ça c’est simple. Les chansons. C’est le lien entre musique et poésie depuis toujours. T’as les bardes celtes, les aèdes grecs, les scaldes germains, les troubadours du pays d’Oc et les trouvères du pays d’Oïl, même les griots africains si t’as suivi le cours de ce matin sur le francophonie. Verlaine disait même dans Art poétique « de la musique avant tout, et pour cela, préfère l’impair ».

– Et pour le jazz ?

– Je t’ai déjà dit. Kerouac. T’as internet ?

– Bien sûr.

– Cherche Blues and haikus. »

Et alors que la vidéo se lançait, une voix virile et claire de ténor, à l’articulation limpide résonna, à laquelle répondirent alternativement deux saxophones, Al Cohn et Zoot Sims, dans un style cool, plein de dynamisme, alternant pures phrases lyriques et poétiques, avec celles plus virtuoses où les soufflants se lâchaient un peu. Mahaut reprit.

« Et ben voilà, on a le jazz, la poésie, et l’orient. Tu crois qu’on a dans l’autre sens ?

– Comment ça ?

– Ben, là tu parles de gens qu’on retient surtout comme poètes qui utilisent de la musique, mais des musiciens qui vont vers la poésie, ça serait bien. Comme ça on a un II) avec une dialectique, A) les poètes qui vont vers la musique, B), les musiciens qui vont vers la poésie.

– Faut voir du côté de la musique illustrative, impressioniste. Genre Miles Davis qui enregistre la BO d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Et du spoken words, les débuts du rap. Les mecs samplent du funk, doit bien en avoir un ou deux qui le font avec du jazz. »

Mahaut commença à fouiller dans un tiroir, sans rien dire à Clotilde. Elle s’arrêta, décapsula une autre bière, et se remit à chercher. Elle sortit alors des feuilles à roules, longues, un paquet de tabac et un pochon d’herbe. Clotilde la regardait.

« Tu fais quoi ?

– Un joint.

– Non, mais j’ai jamais fumé.

– Si t’en veux pas, ça m’en fera plus. »

– Clotilde pensait à Monsieur Kermarrec qui lui avait dit de laisser aller. Elle accepta. Une fois le joint roulé et allumé, Mahaut inspira quelques tafs et le passa à Clotilde, qui essaya d’aspirer et s’étouffa. Mahaut rit. Entre deux quintes de toux, Clotilde gémit :

« Te moque pas.

– Bon, laisse moi faire, je vais te montrer.Tu me laisses faire et tu aspires »

Elle s’assit à califourchon sur les genoux de Clotilde, mit le joint dans sa bouche, ses mains entourant sa bouche ainsi que celle de Clotilde et souffla. Clotilde aspira. Elle sentit très vite l’effet monter. Mahaut avait reposé le joint et la regardait en riant. Les deux se souriaient, et Mahaut tout d’un coup l’embrassa, à pleine bouche, sans prévenir. Tout doucement, tendrement, passant ses lèvres sur les siennes, ses joues, son cou, quand soudain, Clotilde se redressa. Elle ne savait pas quoi faire, ni que dire.

Elle se leva et balbutia :

« Je dois rentrer. »

Elle rassembla ses affaires, sortit, dévala l’escalier et courut jusqu’à chez elle. 

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