Dans l’université de médecine Paris-Descartes, une grande pièce est consacrée au musée d’histoire de la médecine. Cela va des amulettes égyptiennes jusqu’aux innovations sanitaires du début du XX ème siècle.
La nuit, je fais ma ronde pour surveiller que tout va bien dans l’université, qu’il n’y a pas d’intru. De temps à autre, je rentre dans le musée. À part des collectionneurs aux goûts morbides, je ne vois pas qui viendrait cambrioler ici.
En le traversant, on peut trouver un petit guéridon au milieu des outils du XIX ème siècle.
C’est l’œuvre d’Efisio Marini, un scientifique italien, surnommé il Pietrificatore, le Pétrificateur, pour sa maîtrise de la conservation des chairs par l’usage de produits chimiques. En 1867, il fut invité à Paris pour l’exposition universelle, magnifique occasion pour chaque nation de montrer ses prouesses, la richesse de sa culture, l’étendu de son empire et l’avancement de ses sciences. Marini attira l’attention de Napoléon III par son procédé de pétrification. Il reçut même la légion d’honneur pour cela. Il donna un guéridon à l’empereur. Fait de cervelle, de sang, de bile, de foie, de poumons, de glandes pétrifiées, dessinant une délicate mosaïque légèrement arabisante, de blanc, de rouge, de violet, de vert et d’ocre, le centre orné d’un pied entier, entouré de quatre oreilles et de vertèbres.
Marini est mort depuis longtemps, l’empire a chuté pour être remplacé par bien des régimes. Mais parfois, quand je fais ma ronde, j’ai l’impression que les oreilles de la table, les oreilles pétrifiées m’écoutent, que les poumons, bien secs depuis des décennies, essayent d’expirer. Et une fois, alors que j’écoutais de la musique, j’ai cru entendre le pied battre le rythme. Je n’écoute plus de musique. Visiteur, n’hésite pas à venir.