Pour faire connaissance, Bella a voulu que nous dînions dans un restaurant de Lausanne, non loin du pink beach, un des premiers hammams gay du canton.
J’arrive avec un peu d’avance. Il est 18h30, le restaurant est presque plein. Le maître d’hôtel me guide vers l’unique table disponible. A ma droite un couple, à ma gauche un autre couple, j’ai le sentiment diffus de me retrouver dans une succursale du site internet où nous nous sommes rencontrés. Les conversations, en stéréo, confirment mon impression. Les hommes parlent, les femmes écoutent ou font semblant. Joseph (elle a prononcé son prénom), mon voisin de droite a un bras entièrement tatoué. Des mandalas de couleur me semble-t-il. Sa chemise entrouverte laisse apparaître un torse musclé et imberbe, il porte à son poignet un Mala tibétain en pierre de lave et œil de tigre. C’est un bel homme, hâbleur, j’imagine qu’il séduira sans mal la femme que je ne peux vraiment observer sans tourner ostensiblement la tête. Le décolleté est généreux et la robe moulante… Je suis un peu jaloux.
J’ai le trac, c’est un blind date, j’espère qu’elle sera jolie. Je commence à avoir chaud, j’essuie mon front qui se met à perler. Je commande un double gin & tonic, j’ai besoin de me donner une certaine contenance… à côté de Joseph, j’assure moyen.
A l’autre table le style est plus sport-chic. Elle doit avoir une petite cinquantaine, lui 20 ans de moins, (enfin je crois). Son chignon est très travaillé, elle porte une chemise Etro sur un soutien-gorge pigeonnant rouge. Ses attaches sont fines, à son poignet une Rolex or et acier pour homme et un bracelet de perles de Maimiti.
Je la trouve très troublante, tout à fait mon genre. Elle parle très peu, son mignon ne dit pas grand chose, j’ai très envie de prendre sa place.
Le gin& tonic est bien tassé, je commence légèrement à me détendre et j’attends, elle a un quart d’heure de retard, le quart d’heure vaudois certainement…
Je me suis assis sur la banquette pour tenter de la repérer rapidement lorsqu’elle arrivera. Je regarde l’heure sur ma Calibre Diver de Cartier, la dame au chignon a repéré ma montre ; je me noie dans le bleu caribéen de ses yeux.
Soudain, vraisemblablement, la voilà, elle me regarde, elle hésite. Je me lève pour aller à sa rencontre, Bella ? Thomas ? Mon rendez-vous est arrivé, j’ai envie de me sauver.
Je l’aide à s’asseoir et conserve la banquette, comme le mignon à mes côtés, j’aimerais tant échanger ma place avec lui…
Bella est particulière, très vite elle s’impose et prend les choses en main. Elle parle un peu fort, d’une voix stridente, elle me dit qu’elle aime le vin rouge espagnol, le Rioja de préférence. Elle a un nez en bec d’aigle, des lèvres fines et une abondante crinière blonde et bouclée partant dans tous les sens. Je jette un coup d’œil au merveilleux chignon de ma voisine.
Je commande une bouteille de Marques de Riscal et un deuxième Gin & Tonic, j’ai envie de disparaître, m’enfuir, me sauver.
Bella est directrice marketing dans une entreprise de soins capillaires très cotée, elle fait deux heures de fitness par jour, danse tous les week-ends, a des amis merveilleux, connaît beaucoup de monde, voyage dans le monde entier, est passionnée par la vie.
Nous trinquons, mon verre ballon heurte son verre à vin, ses petits yeux gris lancent des éclairs. Mon front se remet à perler… Je suis un peu ému lui dis-je, moi aussi me répond-elle.
La carte des mets est longue et compliquée, Bella se décide très vite, je commande la même chose qu’elle.
Un homme qui ne boit pas de vin ne peut être passionné par la vie me dit-elle.
Elle n’attend pas ma réponse et poursuit son soliloque, cela va faire trois mois que j’ai quitté mon compagnon me raconte t’elle. Nous avons vécu une histoire passionnelle, il était très beau, très fort et gagnait très bien sa vie. Je l’adorais, nous menions grand train jusqu’au jour ou je me suis rendue compte qu’il ne m’aimait plus comme je le méritais. Il travaillait beaucoup et s’occupait moins de moi. Moi j’ai besoin de vivre pleinement les choses, j’ai alors décidé de partir. Je ne voulais pas vivre sans passion.
L’entrée arrive et m’évite de lui répondre.
Joseph a pris la main de la femme au généreux décolleté, je sens le mignon se tortiller sur la banquette, le dos de ma chemise colle sur le skaï, la femme au chignon consulte son IPhone.
Le plat principal arrive enfin, je commande une autre bouteille pour Bella.
Comment me trouves-tu me demande-t-elle ? Je te trouve belle… Bella lui dis-je pour m’en sortir. Si je suis belle c’est parce que je suis heureuse me répond-elle. Te rends-tu compte que je gagne 10’000.- francs à 80%, le reste du temps je travaille sur un projet qui sera un véritable succès. Je ne peux rien te dire pour l’instant, je dois être prudente car l’idée est géniale poursuit-elle.
J’insiste un peu pour lui faire plaisir, je sens que cela la flatte… un jour je te dirais me dit-elle. Je sens que tu en vaux la peine, je sens de la passion en toi !
Les cafés arrivent, je commande un Mount Gay pour me requinquer.
Joseph a embrassé la dame à la robe moulante. La chemise Etro a payé l’addition et est partie avec son mignon sous le bras. J’hésite, le rhum me monte à la tête.
Et si nous allions danser me demande-t-elle ? J’accepte par lâcheté, sans vraiment savoir pourquoi. Je paie, elle prend mon bras, nous sortons du restaurant et marchons jusqu’au quartier du Flon.
L’air frais me fait du bien, Bella se colle à moi, il pleuvine et nous n’avons pas de parapluie. Le Mad n’est pas encore ouvert, nous allons boire un verre au Zapoï.
DJ Bazooka est aux platines ce soir me dit-elle. Je commande un double gin & tonic, elle prend un Spritz. Je me remémore cette citation de Gainsbourg : « La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu’elle ne disparaît pas avec le temps». Je me tourne vers elle et l’embrasse à pleine bouche… avec passion, celle du désespoir. Elle a un goût un peu acide qui résiste à mes papilles neutralisées par le gin.
Nous redescendons avec peine les escaliers escarpés du Zapoï et nous dirigeons vers le Mad. C’est Igor Blaska qui officie ce soir me dit-elle.
Le club est plein et nous nous réfugions au RedLounge. Cette fois Bella prend aussi un gin & tonic. Elle me dit que je suis grand et qu’elle aime ça. Elle me regarde droit dans les yeux, son léger strabisme me perturbe, je détourne mon regard vers la piste de danse.
Allons danser me dit-elle. Bella bouge bien, on la regarde, elle y prend du plaisir. Un homme, chemise noire ouverte sur le torse, pantalon de flanelle coupe carotte et mocassin blanc, danse devant elle en mimant un jeu de guitare. J’ai très envie de lui laisser ma place et de filer à l’anglaise. Le DJ passe « Work » de Kelly Rowland. Bella s’applique à reproduire tous les mouvements de la chorégraphie. Je m’écarte un peu de peur d’être associé à cette représentation.
En nage, nous nous asseyons sur un des sofas. Je la sens excitée…
je tourne la tête pour observer une jeune maghrébine en chasse. Elle s’approche de moi et se frotte le sexe contre mon genou. Ses seins pointent sous son t-shirt blanc, elle porte un jeans moulant, troué aux genoux et aux bas des fesses. Vous êtes beaux tous les deux, vous allez bien ensemble nous susurre t’elle. Un threesome vous tente ?
Bella rit, Je n’arrive pas à esquiver son baiser. Je décline l’offre de la beurette.
Je veux qu’entre nous ce soit grandiose me dit-elle. J’ai un haut le cœur.