Petites amours > 18. Seul

3 mins

Sapiosexuelle, bisexuelle, demisexuelle, pansexuelle, polysexuelle, hétérosexuelle, lithromantique, autosexuelle, aromantique, skoliosexuelle, graysexuelle, je crois que je les ai toutes rencontrées et n’ai constaté, sur la forme, aucune différence. A chaque fois nous avons eu une relation pleine et complète.

Les annonces des sites de rencontres sont constellées de ces spécialités. Le macho (sexuel) que je suis ne s’en offusque pas, une femme, pour autant qu’elle ait un vagin demeure une femme. Suis-je moins homme, moins humain de ne pas y prêter attention ? Devrais-je moi aussi m’affubler d’un préfixe qui déterminera ma pratique ?
Ma quête d’amour s’est, avec le temps, transformée en une consommation irraisonnée. Sans le savoir je suis devenu polysexuel. Les sites sont des marchés dont les étalages débordent. Je sélectionne sur la base des photos, je ne lis le profil que rapidement, uniquement pour trouver l’angle d’attaque qui me permettra de décrocher un rendez-vous. Je limite les échanges de messages au maximum, il faut se rencontrer, vite. Faire connaissance, vite. Baiser, vite. Si l’expérience est concluante ; éventuellement, on se pose ; peut-être, on explore ; incidemment, on se regarde ; potentiellement, on tente l’extraction d’un sentiment, pour, le cas échéant, faire durer, un jour, une semaine, rarement un mois.

S’engager prend du temps, il faut s’impliquer, accepter la naissance d’une routine, d’une émotion. On ne parle jamais d’amour, on ne fait pas de projet. Pourquoi s’attarder, les supermarchés du cœur regorgent de marchandises. Un clic et l’aventure reprend.

Ma vie, depuis cinq ans, se résume à cela. Je m’ennuie, consulte mes différents profils, relève mes filets, arrange des rendez-vous.
Je suis devenu un professionnel de la rencontre, la scénographie est bien réglée, ne change presque pas. Dans la plupart des cas, j’arrive à mes fins dès le premier ou deuxième soir.

Ma voisine de palier, vieille célibataire, me fait même des remarques sur mes conquêtes.

– J’ai trouvé celle d’hier soir très jolie, celle de lundi un peu négligée, celle de ce week-end sympathique.

Je me suis lancé dans une course effrénée et à l’arrivée je suis toujours perdant car seul. Alors je m’ennuie et recommence ce cycle infernal.
Je suis un monstre. Mon phallus, Baal omniprésent, demande à être nourri. Je dois constamment lui trouver de nouvelles victimes, sacrifiées en son honneur.

Comment en suis-je arrivé là. D’où provient cette inclinaison, cette vision distordue des femmes. Articles de consommation courante, je les choisis, les prends, les consomme, les jette. Je n’apprécie plus leur amour, leur tendresse, leur sensibilité, leurs envies.

J’aurais pu me mettre à boire, me droguer, jouer à l’argent. Non, je me suis mis à baiser. Un bonobo qui ne se pose plus de questions, qui se sert de son sexe comme d’un trait d’union, de désunion dans mon cas, pour se connecter aux femmes, qu’il aime paradoxalement plus que tout. J’ai toujours préféré leur compagnie à celle des hommes.

Durant des années mon coeur a pourtant primé sur le bas de mon ventre. Pourquoi alors cette inversion ? Ma tendance à la paresse, à la facilité ? J’applique à merveille le principe de Pareto, 20% d’effort pour 80% de résultat, voire parfois plus.
Ma sensibilité, mon empathie pour la gente féminine ? Une certitude est que la découverte de ces sites a été un formidable terrain de jeu. J’y ai très vite compris les codes, les rites, les étapes de la séduction, les façons de conclure.

Ai-je des remords ? Non. J’y ai rencontré des femmes extraordinaires, qui ont eu l’intelligence de me tenir tête. Certaines sont devenues des amies très proches, celles qui ont su me cerner, prendre du recul et me renvoyer l’image de ce que je n’étais pas et de ce que je pouvais être. Beaucoup n’ont pas eu cette force, cette compréhension et j’en ai abusé.

Oui, je regrette d’en avoir blessées. J’ai menti, trahi, trompé. J’y ai laissé mes sentiments, mon cœur s’est asséché d’avoir trop bu à ces calices alors qu’il aurait dû s’épanouir, grandir.

Ce quinquennat licencieux m’a noyé dans le plaisir et sa recherche. Le plaisir de se sentir vivre, d’en donner, mais à quel prix. Jamais je n’aurais pu penser que cela irait au-delà de la redevance prélevée par ces sites. Je n’avais pas vu les œillères qui me faisaient marcher droit malgré mes multiples écarts. Chacun finalement est libre de son corps. Mais est-on libre des émotions que l’on génère, des promesses non tenues, des mensonges ?

Trahir l’amour d’une femme est insupportable. Surtout quand elle s’est accrochée comme un lierre, qu’elle a tout accepté, tout donné, tant attendu, tant pleuré.
On n’en ressort pas indemne.

La blessure ne se referme pas contrairement à tous les profils que j’ai ouverts. Tous mes filets sont maintenant à terre. Mailles après mailles je les ai rendus inutilisables et pour être certain de ne plus pouvoir les remettre à l’eau, je les ai brulés et enterrés.

Je regrette, oui, je regrette, de ne pas avoir eu plus de discernement, de n’avoir pu remonter ma senne à temps, de n’avoir pu soigner et épargner celles que j’avais piégées. D’elles-mêmes, elles se sont échappées à jamais.

Je suis seul.

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