Markus Schmock est beau. Il est avocat d’affaires.
Sa spécialité : L’optimisation. Avec lui tout est simple, il contourne, enfume, biaise, dissimule, masque. Indéniablement, il a du talent pour la mystification et ses services sont reconnus du Moyen-Orient au Kazakhstan. Il est à la tête d’une multitude de sociétés, fondations et associations écrans qu’il a créées de toutes pièces.
Markus Schmock a une belle propriété au bord du lac Léman, une belle maison, une belle voiture de sport, un gros 4×4 pour tirer la remorque de son beau bateau, un beau chien de race, un enfant et une femme. Sa vie est parfaite.
Tous les matins Markus se regarde longuement dans le miroir de sa salle de bain. Il ne fait pas ses cinquante ans, il est encore très fin, élancé et son ventre est plat. Il a un visage d’ange, de grands yeux bleus qu’il ourle d’une discrète touche de mascara. Une abondante chevelure blonde, légèrement ondulée, repose aristocratiquement sur le haut de ses épaules. Une calvitie naissante le perturbe, elle ne se voit presque pas car il est grand, mais tout de même cela le dérange, alors il porte un chapeau, ce qu’il trouve très chic.
Dans le coin de la glace, il observe sa femme qui se lève. Elle a du mal à émerger; l’effet du Dormicum pense t’il. Sous sa chemise de nuit, son opulente poitrine commence à s’affaisser, elle prend des fesses, du ventre et ses hanches s’alourdissent. Markus ne se rappelle plus quand il lui a fait l’amour pour la dernière fois, il ne lui propose d’ailleurs plus de l’accompagner aux nombreuses réceptions auxquelles il est invité.
Il s’éclipse dans le dressing room attenant pour éviter de la croiser. Enfile un chino couleur sable, une chemise blanche, ses docksides marron. Il fait un peu frais, la bise s’est mise à souffler, il prend un pull bleu marine en mérinos, sait-on jamais, et son borsalino. Il quitte la maison sans même embrasser son fils. Il le trouve moins beau depuis qu’il est entré dans l’adolescence. Il n’a pas sa finesse, son visage est devenu ingrat. Il était si beau petit.
Markus travaille peu et s’il s’arrête à son étude de la rue du Rhône à Genève, c’est principalement pour prendre le café, lire le journal, relever son courrier et signer quelques documents préparés par sa secrétaire. Son business roule, il se paie directement sur le compte des sociétés dont il est le président. Il n’accepte du reste plus de nouveaux clients, à quoi bon, il les oriente chez des confrères qui lui reversent une commission sur chaque affaire.
11h, il retourne chez lui, sa femme dort encore, son fils est dans sa chambre, il l’entend jouer sur sa PlayStation. Il est en échec scolaire et ne va plus à l’école. Après sa troisième tentative de suicide, sa psy a préconisé de le laisser tranquille. La situation devrait s’améliorer avec le temps a t’elle dit.
Il sort son Boesch 750 Portofino De Luxe de son hangar et embarque pour se rendre au club nautique dont il est membre. Il amarre son bateau devant la terrasse du restaurant et s’assied à sa table. Markus aime sa routine. On le connaît, on le salue, on l’admire peut-être. Le maitre d’hôtel lui apporte sa coupe de champagne et lui décrit la composition du plat du jour, qu’il prendra invariablement. Markus est seul. Il n’a pas d’amis, il n’a que des relations d’affaires.
A la table d’à coté, deux membres de la section ’’Hélice’’, comme lui, prennent l’apéritif.
Ils sont concentrés sur leur téléphone portable, les femmes qui les accompagnent font de même.
Markus sort son smartphone, il a reçu un message de Serena. Ils se sont rencontrés sur Tinder il y a moins de 24 heures. Il conçoit le manque de glamour de la démarche… nécessité fait loi se justifie t’il.
Serena a 28 ans, d’une sensualité folle. Son décolleté est profond et sa bouche pulpeuse. Son profil indique qu’elle aime les hommes mûrs, qu’elle est très ‘’open’’ et qu’elle a envie d’une vraie relation, pleine et respectueuse. Dans son dernier message elle lui écrit ‘’anywhere, anyways’’… Elle accepte de le rencontrer et un rendez-vous est fixé le soir même. Markus propose de venir la chercher en bateau au débarcadère des Eaux-Vives, ce qu’elle accepte.
18h, Markus a remplacé son borsalino par un panama. Il est légèrement en retard. Il effectue, comme à son habitude, une manœuvre impeccable et amarre son Boesch au taquet du débarcadère. Serena n’est pas là. Il regarde sa montre.
Elle arrive enfin, enlève ses Louboutin et monte à bord. C’est presque sans un mot que Markus prend le large.
Le double V8 du moteur rend toute conversation impossible. Il s’arrête en plein milieu du petit-lac, à quelques encablures de l’ambassade de Chine. Sort de la glacière une bouteille de Roederer vintage rosé et lui propose une coupe. Il a également prévu des flûtes au beurre et de la viande des Grisons. Serena est enchantée.
Markus parle peu, ils échangent quelques banalités, les verres se remplissent, les bouches se rencontrent, les corps se collent.
Serena enlève son chemisier, dégrafe son soutien-gorge et dirige le visage de Markus contre sa poitrine. Il la déshabille complètement et la prend sur la banquette du bateau. Elle est insatiable, complètement offerte. Le battement des hanches de Markus contre ses fesses s’accélère, elle l’encourage. La transpiration perle, les fluides se répandent et rendent le rembourrage en polyester glissant. Markus la retourne, elle s’agrippe au dossier, lui à ses seins, il la pilonne frénétiquement. Elle prend son pénis d’une main et l’insère avec force dans son fondement. Markus est au comble de l’excitation, le rythme s’intensifie, son sexe est un marteau-piqueur doublé d’un métronome ; un voilier approche, il empanne avant de les croiser, des enfants sont à bord ; il vient à grand flot en poussant un petit cri.
– Je ne voulais pas que tu viennes en moi, je ne prends pas de contraceptif lui dit-elle.
– Tu ne risquais rien, j’ai subi une vasectomie lui répond-il en regardant la banquette toute poisseuse.
Serena plonge nue dans le lac. Il sort un spray nettoyant et une éponge. Ses cheveux sont collés sur son front, sa calvitie fait une petite étoile sur le sommet de son crâne.
Serena est aux anges, cela va faire un mois qu’elle fréquente Markus. La différence d’âge étant, malgré tout, importante, elle est restée discrète sur sa relation. Armande, sa meilleure amie, la taquine souvent à ce sujet et se moque gentiment d’elle.
Elle se retrouve chez ‘’ Berger’’, un tea-room de Plainpalais et c’est devant un macaron fruits de la passion-framboise qu’elle lui annonce enfin sa relation avec Markus :
– II est beau, il est avocat, il est prévenant, généreux, fidèle et sa libido est étonnante. Nous nous voyons plusieurs fois par semaine et il parle de me de donner les clés de son appartement. Le rêve. Nous avons prévu de passer nos vacances ensemble à l’île Maurice. Il m’a même offert une bague en diamant, regarde comme elle brille.
– Je suis tellement contente pour toi, lui répond Armande. Moi aussi j’ai rencontré un homme, c’est assez récent et quelle coïncidence, il est aussi avocat. Il est divorcé depuis longtemps et n’a pas d’enfant. Il s’appelle Mark. Il m’a fait une déclaration d’amour enflammée et je crois que je vais bientôt craquer…
Il m’a invitée sur son bateau, je crois que ça va être hyper romantique.
– Il a aussi un bateau ! C’est incroyable. Peut-être se connaissent-ils ?
– Je n’en ai aucune idée, les avocats se ressemblent tous un peu j’imagine. Et puis il est tellement élégant avec son chapeau !
– Il porte aussi un chapeau !
La conversation s’interrompt, un long silence s’installe, entrecoupé par les sons de leur smartphone qu’elles se sont mises à tripoter frénétiquement, aucun message sur leurs comptes WhatsApp, Instagram ou Facebook.
– Tu as une photo de ton Markus ?
Serena lui tend son Iphone, Markus est en gros plan, à la barre de son bateau.
Armande pâlit, elle lui montre la dernière photo que Mark lui a envoyée, c’est exactement la même.
– Ton Markus c’est mon Mark… !!!
Serena, hystérique, se met à crier.