L’aube est grise, humide, vaporeuse.
Le soleil ne se soumet plus à l’horizon. Il apparaît en retard et, le soir, disparait en avance dans un bref éclat rougeoyant, une ligne d’éclat blond sur l’échine des cumulus.
Parfois l’aurore éclate en un long sanglot orageux qui brutalement brise le verre du ciel et tient l’air dans sa fraicheur ; d’autres fois le jour patiente sagement jusqu’à étouffer en échappant des éclairs partout dans les ténèbres du déclin.
En ville, des parfums de plastiques et métaux brûlés glissent comme une rosée. D’autres effluves de moustiques, d’eau stagnantes, abondent, partout des zones humides, marécageuses, des rivières et marigots enveloppés de fourrés dans les creux des collines.
Et c’est cela le pays du Haut-Ogooué avoisinant la ville de primitive appellation Masuku : les collines d’un vert intense qui ondulent comme les dos arrondis de dévots prosternés. Une foule de collines comme une foule de croyants qui supplient et implorent on ne sait quoi de mystique qui nous dépasse en totalité. Chacune, chacun agenouillés, mains et regards contre terre jusqu’au plus lointain horizon et jusqu’à convoquer la vénération des forêts, impénétrables.
Entre chacun de ces dévots coule une source, chaque fois richesse et offrande, soit une source que les secrets tiennent à flots même au fort de la saison sèche, soit un marigot, détenu sur les faiblesses d’un relief. Il faut tenter d’imaginer, de pénétrer cette scène verdoyante de savane montueuse mouillée de flots foncés, et s’étendant avec la grâce confidentielle d’une nature à première apparence immaculée, destinée à la spiritualité.
Si certains des africains que ces terres ont fait naître portent maintenant quelques fois un peu de l’ordre occidental en eux, la plupart restent autant énigmatiques que la forêt mystérieuse et dévorante d’où leurs racines proviennent. Si mystérieuse, si pleine d’un sommeil naïf, peu communicante ou secrète, remplie d’une vie secrète au sein de laquelle tout jugement se dépose dans une absolution totale, y devient un humus transformé.
Le peuple de l’Afrique centrale, à l’image de sa forêt, nécessite que l’on s’y plonge, que l’on s’y fonde, à ce point que l’instinct soit manifesté en répercussion du palabre de chaque oiseau. Qu’on les écoute chacun, comme une hosanna qui enseigne, qui exprime un souhait, un but, un rôle.
Ces subtilités que l’observateur le plus intime et le plus soucieux d’une culture peut déceler après des années d’une longue immersion. Après avoir tout sacrifié, il devient une part intégrante de la forêt, de la savane, du village, de la famille.
Il en est de cela pour comprendre le peuple africain. Une seule et unique manière se présente : s’intégrer entièrement en y laissant participer son individualité comme une harmonique qui s’intègre parfaitement à sa fondamentale.
Et c’est cela qui est fondamental. Tout espace qui nous est vierge et étranger demande les sacrifices les plus complets, ou alors il nous rejette.
Si l’être humain esquisse un geste en guise de rejet, la forêt, elle, offre une morsure de vipère à l’étranger qui bientôt se décompose.
Savane.
Prudence du nouveau-né qui pénètre un environnement inconnu, peut-être sacré.
Les graminées dépassent les tailles humaines de trois, quatre têtes, on les repousse d’un revers de la main qui laisse d’insignifiantes graines semées sur la peau.
Coloration vert pâle des paquets de savanes qui se dressent.
Elle est parfois entièrement brûlée, la savane, pour trouver les boules de fruits sauvages acides bien connus des villageois. Parfums de cendres, de savane grillée. La frange révèle un champ de charbon sur lequel émergent, ci et là et partout, les champignons des termitières.
Sur le sommet de la colline, deux silhouettes comme des traits de fusain paraissent. Elles descendent, les pieds nus, les épaules chargées d’oseille dans des sacs de liane tressée. Elles traversent mystiquement le coteau brûlé, venues d’un village au-delà de l’horizon, allant vers un autre comme deux atomes entrechoqués sur les savanes. Deux électrons contraints sous les nécessités de leurs territoires.
C’est ainsi que de nombreuses femmes évoluent les pieds nus sur le goudron dont les axes relient les quartiers, louvoyant entre bris de verre et décharges sauvages qui remblaient les bords de chaussée comme de fantastiques, colorées apparitions.
A mesure que l’on approche de quartiers, on est attrapé par des effluves de manioc roui, de légendaires parties de football de rue, des salutations en langues : amboulou, amboulabé. Larges sourires provoquant jusqu’aux fous rires sur les faces des mamas.
Puis, le soleil tombe derrière un haut nuage, le soir approche sous les voltiges d’opulentes chauve-souris venues grignoter les mangues fraiches sur les arbres, les corossols bien mûrs, jaunis.
Toutes les vapeurs de la terre s’exhaussent alors lentement, prêtes à saturer l’air et l’ambiant.
Et voici que de puissants grillons ouvrent leurs yeux noirs sur la nuit. Ils se laissent emporter à ces chants occultes, leurs stridences, les stridulations festives. Irréelles résonances qui emmènent la scène dans un tourbillon d’arcanes impénétrables, tendues vers des infinis d’apparitions. Leur monde emploie cette tonalité divine qui confesse en un grand murmure épars quelques maux perdus, quelques mots étrangers du réel, et à la fois si proche de l’intimité du vivant, du sensible, de l’organique universel.
Très belle peinture, poétique et presque picturale de ce merveilleux continent qu’est l’Afrique, et de son non moins merveilleux peuple. J’aime beaucoup, bravo !