4. Lettres gabonaises, Enfant des pluies.

3 mins

Il y a eu d’abord un soupçon, une évolution des formes dans la couche grise du ciel.

Les cumulus ont formé des cotons rangés, serrés en une flottille un peu plus ombrageuse, cheminant vers un exutoire à l’ouest. Un tel évènement où le noir crépuscule serait celui d’un soleil achevé dans les ténèbres, un soleil au regard tellement assombri qu’il engloutirait de noirceur tout le pan de l’horizon qui lui sert de divan.

Quelqu’un a dit « On y va, maintenant. » La noirceur s’est relevée du sol, son dos s’est allongé jusqu’à couvrir la masse de toute l’atmosphère. Ça a pris quelques brefs instants, de ces instants qui échappent à coup sûr à notre attention.

C’est dans ce cadre que la scène s’est initiée.

Une valse d’air frais surgit. Elle arrache une sonorité au vide, monte, déchire instinctivement le silence qui la précède. Alors une larme préliminaire descend en piqué, rencontre un atome de sable qui s’incline. Cela fait un son mât comme la gifle d’une main de fer forgé. L’évènement prend une proportion de conflagration, le ciel remue tout d’un bord, la révolution est faite.

L’homme entend la valse. Il dit tout de suite « C’est arrivé en avance » et en disant cela il lève un sourire mystique, plein d’une divination sagace, un soulèvement de vérité comme une aura autour de son prophète.
Un instant long, sans bruit, sans silence, exempt de temporalité. Un de ceux-ci qui s’exerce au néant.

Ce sont les visages qui ont senti en premier. Le torrent a trainé une rame dans les airs, le ciel en décomposition. L’averse n’est devenue plus qu’un seul corps, entier, unique.

Elle balaie d’un seul coup la campagne, avance par trames, par saillies ambulantes. C’est un rideau zébré qui ondule et entame une ronde langoureuse. Toutes flèches portant vers le sud, et les feuillages qui suivent cette orientation messagère en se laissant fouetter, elle traque l’argile de la piste, encore chaud de l’embrasement matinal. C’est le ciel en chasse contre la terre.

Corps unique de l’averse qui inonde la savane. Tout est dilué dans ce nuage, tout horizon semble avalé, régurgité même au milieu d’un chaos. Les lumières d’argents sont filtrées sous d’inconsistants abîmes, emmenées vers la dissolution, vers un fond de toile achevé de hachures aqueuses. Cliché monochrome lavé de coloration. L’ondée divine assoit son ouvrage. Elle fait fondre les atmosphères rivales comme des carrés de sucre blond.  

Les chemins charrient des agglomérats de boue du ciel, ruissellent vers des débouchés indéfinis, cherchant les alibis d’un mouvement libérateur. Boues natives de l’immobilité primaire, réductrice, les voici qui, fluidifiées, s’empressent et dérivent toutes à ce même instant vers des aboutissements incomplets, prétextant la métamorphose. J’ai ma part de cette image. Moi-même, je me suis bien souvent rué vers mon destin, comme si celui-ci allait appeler une métamorphose plus vive, plus intense, plus remarquable. Mais le mouvement hâté de ces argiles vers un but inconsistant ne leur restitue après coup que trop bien le même état originel. Leur avancée bientôt se termine et ne semble plus que dérisoire. C’est à peu de choses près une image africaine exemplaire. Tous déploient d’incommensurables efforts pour survivre. Tous ces efforts, lorsqu’ils portent la graine d’une évolution, sont souvent très vite amenées vers un point de dérision qui annule tout. Il faut recommencer, fournir à nouveau, attendre que tout s’annule encore. Cela fait fonction d’usage dans ces contrées où rien n’est prédit. Leur monde est déconstruit presque à la mesure de sa construction.

Une empreinte de pied dans la boue fauve et luisante. La femme marche ainsi sous les perles, rincée d’averses mais coite. Est-elle bercée, prise à la transe des ondes, ou est-ce elle-même berçant les cieux, les ravissants de la quiétude qu’elle manifeste sous l’adversité ?

Elle chemine, indéchiffrable, le dos voûté. Des bûches foncées hérissent le haut béant de son sac en liane et qu’elle porte entre son champ lointain et son village. La jupe de pagne vert et rose qui la couvre des brumes est insignifiante sous le déluge. Divine dame grisonnante, presque nue sous les éléments, le cuir entièrement poli d’un ruissellement continu, imperméable à toutes les tempêtes.

Tout à coup son regard se rive, et je perçois par-delà sa cataracte du vieil âge la trempe d’esprit invraisemblable qui fait sa résilience. Aux tréfonds de nos orages, sa lueur est certaine mais sans douceur, et sa figure impassible fait proue contre la nuit qui est venue se fondre sur son corps. Elle tend alors sa silhouette vaporeuse contre une autre route, une route d’un autre semblant d’infini au-devant d’elle, s’éloigne, frêle et puissante à la fois, et dans un ultime trémoussement se dissout enfin.

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Les chemins incarnent la terre ancrée, l’immobilité décidée. Antithèse de la forme sur la symbolique. Pour les territoires, pour les voyageurs, ils sont la mobilité même, l’avancée, la promesse de déplacement continu. Pourtant, quoi de plus statique que la terre chargée de porter le voyageur au long cours.

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